Scandale du «blackface», «le monde de Trudeau se retourne contre lui»

© AFP 2023 John WoodsJustin Trudeau
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Justin Trudeau est dans la tourmente pour s’être peint le visage en brun lors d’une soirée déguisée en 2001, un geste vu par certains comme raciste. Pour le sociologue Joseph Yvon Thériault, ce scandale n’aura toutefois pas d’impact sur la prochaine élection fédérale, car il ne choque que les élites américanisées. Entrevue.

Justin Trudeau, l’arroseur arrosé? C’est du moins l’hypothèse de certains observateurs de la vie politique canadienne. Grand défenseur du multiculturalisme canadien, Justin Trudeau se voit maintenant accusé… de racisme pour s’être maquillé le visage en brun à l’occasion d’une soirée déguisée en 2001. Le 18 septembre dernier, pour tenter de réparer les pots cassés, le Premier ministre canadien a choisi de présenter ses «profondes excuses».

«C’est quelque chose que je ne considérais pas comme raciste à l’époque, mais je reconnais aujourd’hui que c’était raciste, et j’en suis profondément désolé», a déclaré Trudeau, l’air affligé, lors d’un point de presse en marge de sa campagne.

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Sociologue québécois reconnu, Joseph Yvon Thériault estime que cette affaire n’aura pas tellement d’impact sur l’issue de l’élection prévue le 21 octobre prochain. Des sondages montrent que les Libéraux de Trudeau souffrent déjà de l’affaire, mais il ne s’agirait selon lui que d’un contrecoup médiatique sans impact durable. Professeur honoraire de sociologie à l’Université du Québec à Montréal, M. Thériault a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie de 2008 à 2015.

«La réaction dit plus sur l’époque que le phénomène lui-même. Que cette pratique soit considérée comme une insulte envers les populations dites “racisées” dénote des changements importants dans l’opinion publique canadienne et surtout dans la presse. En fait, les réactions sont beaucoup plus fortes dans les milieux progressistes et libéraux –que l’on trouve dans les universités et les journaux– que dans la population en général. La population trouve ça assez étrange que ce genre d’événement puisse revenir ainsi à l’avant-scène», observe le sociologue.

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Selon le professeur, l’affaire dénote surtout une «américanisation de la vie politique canadienne», les enjeux liés au racisme n’étant pas du tout les mêmes au Canada et aux États-Unis. Il s’étonne donc que l’on ait associé le comportement du Premier ministre à celui d’organisations suprémacistes blanches américaines. Aux États-Unis, la pratique du blackface consistait autrefois pour un acteur blanc à se peindre le visage en noir de manière à se moquer des Afro-américains durant des spectacles.

«L’affaire dénote aussi une forme de moralisation de la vie politique et ne permet pas d’avoir une vraie discussion sur les enjeux liés à la discrimination. On est toujours dans l’accusation. On assiste à une américanisation de la vie publique. Le phénomène du blackface est essentiellement américain, il est lié à des rapports sociaux proprement américains. On essaye d’expliquer et de comprendre des phénomènes canadiens avec des concepts qui ont été développés aux États-Unis. Les Canadiens n’ont pas du tout le même rapport à l’esclavagisme que les Américains», a-t-il poursuivi.

Comme d’autres analystes, Joseph Yvon Thériault considère en quelque sorte que Trudeau s’est fait prendre à son propre piège.

​Connu pour ses sorties contre le «racisme systémique», l’image progressiste de Justin Trudeau s’en trouverait donc entachée, au Canada comme ailleurs dans le monde.

«Justin Trudeau est vraiment l’arroseur arrosé, c’est son propre monde qui se retourne contre lui. Il n’est d’ailleurs pas capable de réagir autrement qu’en se confondant en excuses. C’est curieux de voir plusieurs de ses adversaires le défendre. […] L’affaire n’aura pas beaucoup de conséquences sur l’élection, mais en aura sur son image internationale», a ajouté M. Thériault.

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Le sociologue observe aussi que les Québécois semblent beaucoup moins choqués par l’affaire que les Canadiens anglophones. Une réalité qu’il attribue au caractère distinct du Québec au sein de la fédération canadienne.

«Les sociétés anglo-américaines ont été les premières à faire du multiculturalisme une politique d’État. Cette réalité explique peut-être la réaction plus forte au Canada anglais. Le Québec est encore un peu à l’écart, malgré cette américanisation de la vie politique et intellectuelle. Le Québec réagit moins à cette affaire du blackface, notamment en raison de ses influences européennes, et en particulier françaises», a expliqué notre interlocuteur.

Rappelons que le jour même où Trudeau a présenté ses excuses pour s’être déguisé en Aladin avec un blackface, d’autres images le montrant avec le visage maquillé en brun ont refait surface. La chaîne de télévision Global a ressorti une vidéo montrant le chef d’État avec le visage noirci, tout sourire, vêtu d’un tee-shirt blanc et d’un jean.

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