Regain de violence en Haïti: «les jours du Président Moïse sont comptés»

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La perle des Antilles est à nouveau plongée dans le chaos. Émeutes, forces de l’ordre attaquées, commissariats incendiés: quelles sont les causes de ce nouvel embrasement en Haïti? Sputnik fait le point sur la situation avec Franck Vaneus, avocat haïtien, fondateur du cabinet Équité et Droit à Port-au-Prince.

En Haïti, la situation se tend encore plus. Le pays, qui semble frappé par une véritable malédiction, connaît déjà une période noire depuis février 2019, des citoyens multipliant les manifestations pour dénoncer la corruption et l’économie en chute libre. Les opposants au Président Jovenel Moïse l’accusent d’avoir détourné des fonds du Petrocaribe, un prêt accordé à Haïti par le Venezuela. Menée par la Cour supérieure des comptes, une enquête a déjà conclu que le Président avait participé à cette fraude.

Le 22 juillet dernier, l’arrestation du chef de gang Arnel Joseph avait remis le feu aux poudres. La police judiciaire soupçonnait le sénateur Garcia Delva d’avoir pris part à un enlèvement impliquant ce criminel. L’arrestation de Joseph a eu pour effet d’attirer l’attention sur d’autres cas de corruption majeurs impliquant des politiciens.

Instabilité politique, un effet domino  

Mais voilà que la perle des Antilles se voit replongée dans une série de violences et d’émeutes sur fond de colère populaire. Le 23 septembre dernier, le sénateur Jean-Marie Ralph Fethière tirait même à bout portant sur des manifestants ayant pris d’assaut le parlement. «Je me suis défendu. La légitime défense est un droit sacré», se justifiait par la suite le sénateur Fethière, en s’adressant à un média local. Le sénateur a aussi blessé un journaliste de l’agence Associated Press.

​Pour l’avocat haïtien Franck Vaneus, qui s’exprime régulièrement dans les médias, le pays est à bout de souffle. Il décrit une situation alimentée par les scandales de corruption, les pénuries en nourriture, eau et carburant, notamment, l’emprise du crime organisé, le chômage et bien sûr la pauvreté endémique.

«La confusion est totale. Dans certaines villes, les forces de l’ordre n’arrivent plus à contenir la population en colère. Certains commissariats de police sont incendiés. Les policiers prennent la fuite. Leur équipement est brûlé. La grande question qui trotte dans toutes les têtes: combien de temps le Président pense-t-il encore tenir?», demande Franck Vaneus en entrevue avec Sputnik.

Selon l’avocat principortain, le scandale du Petrocaribe demeure l’une des principales causes du regain de violence. Toutefois, il explique que la colère qui gronde s’enracine dans un contexte politique complexe, qui remonte à plusieurs années. De fait, l’histoire haïtienne est ponctuée d’innombrables désordres.

«Le scandale du Petrocaribe est toujours au cœur de la crise, mais elle est plus profonde que cela. L’affaire du Petrocaribe est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En réalité, nous avons un pays qui depuis 30 ans fait face à des changements de gouvernement factices. La corruption s’appuie sur la continuité. Les besoins primaires des Haïtiens ne sont jamais satisfaits. C’est facile d’expliquer la crise quand on considère que les milliards de dollars détournés par des politiciens du fond Petrocaribe auraient pu servir à aider la population», s’est-il indigné.

M. Vaneus ne s’explique pas que le Président Moïse soit toujours soutenu par les États-Unis. En février dernier, malgré la grande impopularité du Président, l’ambassadrice américaine en Haïti est même allée lui renouveler son appui dans la capitale.

Précisions qu’une bonne partie de la population attribue l’élection de Jovenel Moïse à Washington. Depuis le terrible séisme de 2010, qui a causé la mort de 280.000 personnes, un sentiment antiaméricain est palpable au pays du vaudou. D’autres scandales impliquant des ONG américaines durant la reconstruction auraient également contribué à jeter de l’huile sur le feu.

«La situation me paraît simple dans sa complexité. Le Président Jovenel Moïse ne gouverne plus rien. Cependant, ses amis du Core Group [l’organisation interétatique les amis d’Haïti, ndlr], notamment les États-Unis et le Brésil, ont tout fait pour le maintenir au pouvoir. Pour une fois, la France et le Canada ont exprimé une position dissidente», a précisé M. Vaneus.

Dans ce contexte, certains observateurs estiment que le président Moïse pourrait rapidement être contraint de démissionner, voire de quitter l’île pour assurer sa sécurité.

«Les Haïtiens sont furieux. Je crains même que l’on revienne à des pratiques rappelant des périodes sombres de notre histoire. Les jours du Président Moïse sont comptés. Il tiendra moins d’un mois s’il est conscient du gouffre dans lequel il peut précipiter le pays. Il tiendra un mois tout au plus s’il sollicite l’aide de puissances internationales pour boucler son mandat», a conclu M. Vaneus.

Devant l’impasse, Jovenel Moïse a demandé aux manifestants de conclure une «trêve historique pour entamer les réformes institutionnelles sociales et économiques indispensables au développement national». Une demande qui risque fort de rester lettre morte auprès de la population.

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