Vives réactions face au verdict prévisible du procès des rebelles tchadiens

© AFP 2023 DJIMET WICHE / Procès des rebelles tchadiens du 6 juin 2019Procès des rebelles tchadiens du 6 juin 2019
Procès des rebelles tchadiens du 6 juin 2019 - Sputnik Afrique
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Arrêtés lors d’une sévère répression de l’armée française et jugés le 26 août dans la prison de haute sécurité de Koro Toro, les 243 membres de l’Union des forces de la résistance (UFR) ont écopé de lourdes peines de prison. Sputnik revient sur un procès qui a suscité beaucoup de critiques au Tchad.

Accusés d’actes de rébellion et de terrorisme, les 243 rebelles tchadiens jugés entre le 19 et le 26 août dernier ont été condamnés à des peines allant de 10 ans de prison jusqu’à la perpétuité pour leur leader. Ils avaient été arrêtés à la suite de leur offensive au nord du Tchad début février 2019, qui avait été stoppée par l’aviation française. 

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Le procès s’est déroulé devant une cour criminelle spéciale – délocalisée pour la circonstance à Koro Toro, une prison de haute sécurité installée dans le désert au nord du Tchad, à environ 573 kilomètres de la capitale –, loin des caméras et des micros. Il a eu lieu en présence de quelques avocats ainsi que du ministre de la Justice, Djimet Arabi, qui a effectué exprès le déplacement.

La France soutient le Président Deby contre ses opposants

Début février, alors qu’une colonne de 40 pick-up était en progression sur la capitale tchadienne, une patrouille de Mirage 2000 de l’armée française était intervenue pour arrêter l’offensive armée.

Selon un communiqué de l’Élysée, c’est à la demande du Président tchadien Idriss Deby Itno que les mirages français ont été engagés. Il s’agit de la deuxième intervention de la France au Tchad pour maintenir au pouvoir Idriss Deby, après celle de 2006, toujours face à l’agression armée du groupe rebelle UFR.

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Une intervention que Youssouf Hamid qualifie d’ingérence française dans un problème interne. «C’est la France qui soutient les tyrans et les aide à bombarder et tuer des civils», a écrit Youssouf Hamid sur  son compte Tweeter, appelant la France à «cesser de tuer et de soutenir des tyrans».

De lourdes condamnations

Les accusés appartiennent tous à l’Union des forces de la résistance (UFR), le mouvement rebelle dirigé par Timan Erdimi, le neveu d’Idriss Deby Itno. Absent à ce procès mais figurant sur la liste des inculpés, celui-ci a été jugé par contumace.

Il a été condamné à la perpétuité tandis que 12 de ses plus proches collaborateurs ont écopé de 20 ans de prison ferme, 231 se sont vu prescrire à des peines allant de 10 à 15 ans d’emprisonnement et 24 mineurs ont été remis en liberté, selon le procureur général de la cour d'appel de N’Djamena, Moukhtar Abdelhakim Doutoum, qui s’était rendu à Koro Toro pour le verdict.

L'UFR est un groupe armé né en 2009 et dont la majorité de ses membres est à l'origine de la tentative de putsch de 2008.

Les réactions face à ce procès ont été nombreuses au Tchad et sur la toile. L’un des porte-paroles du mouvement rebelle, Youssouf Hamid, a affirmé ne pas avoir été surpris par le verdict.

«Nous savions d’ores et déjà comment le procès allais se dérouler. Les autorités tchadiennes en place ont obtenu tout ce qu’elles souhaitaient. Mais ce n’est pas cela qui va nous décourager de continuer le combat contre le régime dictatorial de Deby», a déclaré Youssouf Hamid dans un entretien téléphonique à BBC au lendemain du verdict.  

Absentes devant la cour, les organisations de la société civile ont également dénoncé des «condamnations abusives». Mahamat Nour Ahmat Ibedou, le secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme, a fustigé ce procès.

«Ces condamnations sont abusives car elles ne sont basées que sur des accusations de terrorisme et de rebellion. Si ces Tchadiens se sont opposés avec des armes, c’est parce qu’ils estiment que la gestion du pays est devenue opaque au point où les dirigeants refusent d’admettre des critiques pour permettre une gestion plus saine du Tchad», a indiqué le défenseur des droits de l’homme au micro de Sputnik. 

Mais les autorités n’en ont pas pour autant remis en question la validité du jugement.

«Ce procès, même s’il s’est déroulé en l’absence des défenseurs des droits de l’homme et des organisations de la société civile, est équitable», a indiqué le ministre de la Justice Djimet Arabi.

Sur sa page Facebook, Mahamat Anadif, un observateur de la scène politique tchadienne, a également dénoncé un semblant de procès. 

Me Midaye Guerimbay, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme, a également critiqué le verdict. Selon lui, quand les dossiers de près de 300 personnes sont classés en seulement quelques jours, on peut s’interroger non seulement sur la crédibilité de la procédure, mais aussi sur le fait de savoir s’il ne s’agit tout simplement pas d’un procès politique.

«Quel temps ont-ils eu, ces juges, pour prendre minutieusement connaissance du contenu du dossier de chaque condamné?», s’est interrogé Me Midaye lors d’un entretien téléphonique à Sputnik au lendemain du procès, alors qu’il n’a pas réussi à faire le déplacement à Koro-Toro pour assister aux audiences.

Ce verdict vient augmenter le nombre de personnes incarcérées pour «rebellion armée» au Tchad.

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Trois anciens chefs rebelles avaient déjà été condamnés le 6 juin dernier par la Cour criminelle à la prison à vie pour participation à des mouvements insurrectionnels. Il s’agit de Hassane Boulmaye, Ahmat Yacoub Adam et Abderaman Issa Youssouf, respectivement secrétaire général, porte-parole et membre du mouvement rebelle «Le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR)».

Ils avaient été arrêtés le 4 octobre 2017 à Agadez, au Niger, puis extradés à N’Djamena au Tchad. L’un d’eux, Abderaman Issa Youssouf, est mort en prison. Cette information a été confirmée à Sputnik par un avocat qui a souhaité garder l’anonymat. Celui-ci a révélé qu'il est décédé à la suite des tortures perpétrées par ses geôliers. Interrogées, les autorités tchadiennes n’ont ni confirmé ni démenti cette information.

Pourquoi tant de rébellions au Tchad?

Le Président tchadien Idriss Deby Itno est arrivé au pouvoir le 1er décembre 1990 avec l’appui de la France. Il a chassé l’ex-Président Hissein Habré, aujourd’hui exilé au Sénégal. Plusieurs élections ont été organisées depuis l’accession au poste suprême du «Lion» (surnom donné au Président tchadien, NDLR), mais il en est toujours sorti vainqueur.

De ce fait, ses opposants arguent que la seule alternative qui reste à la classe politique tchadienne, si elle veut réussir une alternance au sommet de l’État, c’est de «prendre le pouvoir par les armes». Soutenu par son indéfectible alliée – la France –, sans laquelle il n’aurait pas survécu à la Bataille de N’Djamena en 2008, puis au double sursaut de 2008 et 2018, Idriss Deby Itno a réussi contre vents et marées à défaire les différents mouvements rebelles qui ont fait incursion à maintes reprises sur son territoire pour tenter de le renverser.

Le Tchad n’en a pas encore fini avec le cycle des violences perpétrées par des mouvements rebelles qui opèrent depuis le sud de la Libye. Depuis la chute du guide libyen Mouahamar Khadafi en 2011, ceux-ci ont réussi à recruter régulièrement des jeunes désœuvrés qui n’ont d’autre choix que de regagner le chemin des maquis.

Selon les chercheurs d’International Crisis Group (ICG) qui travaillent sur le Tchad, cette attaque rebelle lève le voile sur un régime d’Idriss Déby affaibli par la crise économique et la grogne sociale que traverse le pays depuis plusieurs années.

«Les jeunes du Kanem et du Bahr El Gazel, régions de l'ouest traditionnellement tournées vers la Libye, partent vers le nord pour trouver du travail et faire du commerce en Libye ou dans les mines d'or du Tibesti tchadien. Ces jeunes peuvent parfois rejoindre des rébellions armées tchadiennes basées dans le sud libyen», selon un rapport d’ICG paru en février 2019.

Au Tchad, toutes les transitions politiques se sont faites par la voie des armes depuis l'indépendance, en 1960.

Hippolyte Marboua

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