Pédocriminalité: «j’ai vécu le pire mais j’ai aussi vécu le pire dans mon parcours judiciaire»

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«Sputnik donne la parole»… à Mikaël. Victime de violences dans son enfance, il a accepté de partager son histoire pour la première fois face caméra. Son vécu, le processus judiciaire et la remise en question de sa parole font écho à ce que des millions d’enfants vivent encore aujourd’hui. Où en est la protection de l’enfance? Entretien.

Chaque année dans le monde, des millions d’enfants sont victimes d’abus, sexuels ou autres: environ une fille sur trois et un garçon sur cinq sont concernés. Les mineurs sont les plus en proie aux violences, qui touchent d’ailleurs toutes les catégories sociales de la population et tous les milieux, que ce soit dans le cadre familial ou celui d’institutions scolaires, religieuses ou sportives.

Mais quantifier ces agressions reste encore très difficile. D’une part, peu d’enquêtes sont diligentées et quand elles le sont, les victimes se sentant honteuses, ne dénoncent pas forcément les abus dont ils sont victimes et se murent dans le silence. Un silence qu’a décidé de briser Mikaël. C’est par le biais d’une lettre ouverte diffusée sur Twitter qu’il a décidé de partager son histoire, mais aussi d’interpeller le gouvernement, notamment sur la communication, qu’il juge bien trop faible autour du numéro d’urgence pour les enfants en danger: le 119.

Mikaël a six ans lorsqu’il est confié à la garde de sa tante paternelle, à cause du travail trop prenant de ses parents. Les premières violences physiques et morales commencent alors de la part de sa tante, mais aussi de l’un de ses cousins: il devient alors le souffre-douleur de cette famille. Les violences se transformeront en violences sexuelles de la part de son cousin, alors âgé de 15 ans. Quand il rentre chez ses parents le week-end avec le nez fracturé, sa mère finit par l’enlever de chez cette tante et veut porter plainte pour coups et blessures, elle est encore loin d’imaginer l’horreur infligée à son jeune garçon.

La mère renoncera finalement à sa plainte, dissuadée par son mari, les violences conjugales faisant partie du quotidien de cette famille, qui continuera de vivre comme si de rien n’était. Mikaël, lui, souffre en silence. Il ne fera pas partie de ces victimes à avoir des périodes d’amnésies, près de quatre victimes sur dix selon une étude Ipsos.

Il se souvient de tout, il aurait préféré oublier.

«Pour ma mère, j’étais un menteur et mon père était accusé à tort.»

Les années passent. À l’âge de 11 ans, derrière le huis clos du domicile familial, son père l’agresse sexuellement et le viole durant un an. Un jour, il dit Stop, appelle la police et dénonce son père. Un long processus judiciaire et émotionnel s’engage alors. Son père nie les faits, accusant même sa femme d’être à l’origine des accusations. Sa mère se constitue d’abord partie civile, puis finit par se rétracter, bafouant ainsi la parole de son fils malgré les examens médico-légaux qui prouvent les agressions. La veille du procès, un nouvel avocat a été commis d’office à Mikaël et le président du conseil général devint son tuteur légal.

La justice lui donnera raison et condamnera son agresseur à 12 ans de réclusion criminelle; il sortira de prison au bout de huit ans grâce à des remises de peine. De son côté, Mikaël, par amour pour sa mère, appuie la demande de libération de son père. En sortant de prison, les parents se retrouveront et feront encore une fois comme si de rien n’était. 

Au moment de l’instruction de son père, Mikaël jeune garçon de 13 ans, se rend à la piscine et se fait agresser sexuellement par un homme. Lorsque la police arrive, Mikaël comprend que son agresseur est lui-même policier, sa parole est évidemment mise en doute. Fort heureusement, les caméras de surveillance de la piscine lui donneront raison. Le policier écopera de six mois de prison avec sursis pour l’agression d’un mineur de moins de 15 ans.

«Six mois avec sursis, c’est le prix d’une agression d’un gamin de 13 ans dans une piscine par un adulte. Je respecte la justice de mon pays, mais il y a un moment où il y a un problème quelque part.»

Une nouvelle enquête Ipsos pour l’association Mémoire traumatique et victimologie, publiée le 7 octobre, dresse un constat alarmant sur les violences sexuelles subies dans l’enfance. Lors des premières violences, l’âge moyen est de 10 ans, elles touchent des filles dans 83% des cas et 44% de ces violences sont incestueuses.

Une prise en charge désastreuse

Au sein même du foyer, la victime ne peut en parler, de peur de briser sa famille, et la proximité avec l’agresseur l’influence pour se taire. Quand la victime trouve finalement le courage de dénoncer son bourreau, l’agresseur n’est éloigné que dans 6% des cas. Les conséquences psychotraumatiques sont alors dramatiques: plus de la moitié d’entre elles feront face à des troubles alimentaires et des conduites abusives (drogues, alcool, sexualité à risque…), et une personne sur deux tentera de se suicider.

«Quand on dénonce un viol, il y a cette suspicion du mensonge. Quand vous allez porter plainte parce qu’on vous a volé votre scooter, il n’y a pas cette suspicion-là. Et c’est terrible, en fait. Moi, j’ai vécu le pire effectivement, mais le pire s’est aussi déroulé dans mon parcours judiciaire, parce que la prise en charge n’est pas la bonne.»

Ne pouvant oublier cette tante et ce cousin, Mikaël se rend en 2006 au commissariat de police pour déposer plainte, quinze ans après les faits. La prise en charge par un fonctionnaire de la brigade des mineurs va l’en dissuader. «Au moment des faits, aviez-vous une attirance sexuelle pour votre agresseur?» lui demande le policier, Mikaël avait six ans lorsque son cousin l’a sexuellement agressé.

«Ça m’a non seulement blessé, mais aussi profondément choqué, parce que finalement c’était rejeter la faute sur moi. Est-ce que j’avais une attirance pour lui? Quelque part, c’était: est-ce que je l’ai cherché? Je suis parti et la plainte a été classée sans suite. Et chaque année, j’y pense.»

Cette année, Mikaël a décidé de ne pas aller voir la police. Il compte déposer une plainte avec constitution de partie civile pour les violences, les actes de torture et de barbarie, les viols et la tentative d’assassinat perpétrés par sa tante et son cousin.

Encore aujourd’hui, dénoncer un viol ou une agression sexuelle est tout de suite remis en question, qu’il s’agisse d’une femme ou d'un enfant. Comment un enfant pourrait-il imaginer une agression sexuelle? Une défiance qui fait écho à une affaire datant de début septembre. Un animateur d’un centre de loisirs de Villiers-sur-Orge est accusé de viol sur un enfant de trois ans. Sa mère a déposé plainte. Mais l’animateur de 32 ans a été mis en arrêt maladie, pas suspendu. La brigade de protection des mineurs a été saisie de l’affaire. La mère de l’enfant a expliqué au Parisien que son enfant été depuis très perturbé: «Il hurle pour faire la sieste ou quand je le lave, ce qu’il ne faisait pas avant. Je crois mon fils. Quand un enfant de trois ans vous raconte plusieurs fois la même chose, il ne ment pas.» Mais Thérèse Leroux, maire de la ville, attend les résultats de l’enquête: l’animateur étant présumé innocent, il est retourné dans le centre. L’enfant, lui, a changé d’école.

Pousser la prévention

«Il ne faut pas se leurrer, des agressions il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Les empêcher, ce serait un peu utopiste.»

Depuis le 10 juillet 1989, une loi relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance a été votée à l’unanimité par les parlementaires. «Allo Enfance maltraitée» a vu le jour. En mars 1997, le 119 est créé et son affichage est obligatoire dans tous les lieux recevant des mineurs. Aujourd’hui, appelé «Allo Enfance en danger», c’est la communication autour de ce numéro que dénonce Mikaël. En effet, peu d’enfants ont accès à ce numéro ou connaissent son existence. Il est souvent mal affiché, voire pas du tout. Le numéro est aussi peu présenté aux enfants. C’est ce que préconise Mikaël, en collant un encart dans le cahier de textes ou le carnet de liaison, expliquant le but de ce numéro, afin que les parents sachent aussi que l’école s’intéresse à la vie de leurs enfants. En 2017, 465.942 appels sont tout de même parvenus au 119 soit 1.277 appels par jour.

Parce que la prévention permet une meilleure identification d’une victime, elle peut aussi permettre aux enfants de mieux identifier un agresseur. C’est la mission de l’association «Les Colosses aux pieds d’argile» fondée par l’ancien rugbyman Sébastien Boueilh, lui aussi victime de viol dans son enfance. L’association intervient dans les clubs sportifs et les établissements scolaires afin de sensibiliser et prévenir sur les risques de pédocriminalité, de bizutage et de harcèlement. Elle s’occupe aussi de la formation des éducateurs et de l’accompagnement et l’aide aux victimes. Sur le site, les parents pourront trouver des documents et autres fascicules pour entamer le dialogue avec leurs enfants et ainsi mieux les protéger.

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