«Macron souhaite une autonomie stratégique européenne, mais cela reste une illusion»

© REUTERS / Pool / Bertrand Guay Emmanuel Macron
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Dans un entretien accordé à Sputnik, le responsable du centre de recherche géopolitique pour le site Eurocontinent, Pierre-Emmanuel Thomann, expose sa vision de l’évolution de la position du Président français sur le projet européen, les relations au sein de l’Otan et la nécessité d’une nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe.

Emmanuel Macron change progressivement de position par rapport à sa position initiale au début de son mandat présidentiel, ses projets concernant l’Union européenne ne coïncidant pas toujours avec ceux de l'Allemagne, a déclaré à Sputnik Pierre-Emmanuel Thomann, responsable du centre de recherche géopolitique pour le site Eurocontinent.

«Somme toute, l’Allemagne et la France ont des idées différentes sur la coopération en matière de défense de l'UE. La France souhaiterait plus d'autonomie stratégique par rapport aux États-Unis et à l'Otan, alors que l'Allemagne estime que l'UE n'est qu'un cercle restreint de la coopération euro-atlantique au sein de l'Otan», a précisé l’expert.

Selon ce dernier, comme d’autres Présidents français, Emmanuel Macron s’est appliqué à convaincre l'Allemagne et les États-Unis de se rapprocher des priorités françaises, afin de parvenir à un meilleur équilibre géopolitique, mais cela n’a pas marché.

«Puis, à l’instar des anciens Présidents, il a compris que la Russie pouvait être un partenaire utile pour mieux équilibrer l’Allemagne et les États-Unis. S’agit-il du retour en force de la doctrine gaulliste ou seulement d’une posture gaulliste en communication? Voilà ce qui est à savoir», a poursuivi M.Thomann.

Et de rappeler que, lors d’une conférence de presse, le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg avait déclaré que l'Alliance devait gérer la menace venant de la Russie et de la Chine, ce qui était en contradiction avec la position du chef de l’État français.

Le commentaire sur la «mort cérébrale» de l'Otan suscite de la colère

«Le commentaire sur la "mort cérébrale" de l'Otan était une communication perturbatrice calculée visant à prévenir que la France n'était pas prête à discuter de questions de partage de la charge entre les États-Unis et les Européens, sans redéfinir qui est l’ennemi des alliés de l'Otan. Macron a répété lors de cette même conférence de presse avec Stoltenberg que c’était le terrorisme islamiste et non pas la Russie et la Chine qui était leur ennemi», s’est souvenu l’analyste.

D’après lui, comme on pouvait s'y attendre, ce commentaire sur l'Otan a suscité de nombreuses réactions de colère et d'inquiétude, la plupart des gouvernements européens se situant dans une ligne très atlantiste et ne soutenant tout simplement pas l’autonomie stratégique de l'UE.

«Les Européens souhaitent que l'Alliance reste le principal pilier de leur défense, car ils ont peur des nouvelles responsabilités. […] Trump reproche à l'Otan que les Européens n’achètent pas davantage d'armes américaines. En même temps, il n'est pas prêt à engager la force américaine si les intérêts de Washington ne sont pas directement touchés. En réalité, les États-Unis n’ont pas besoin de l’Otan, car ils trouveraient de toute façon des alliés dans des coalitions de partisans parmi les Européens, qui seront de plus en plus divisés», a expliqué le spécialiste.

Pour lui, le problème est que le Président français souhaite une autonomie stratégique européenne, mais que cela reste une illusion.

«En réalité, si l’Otan est en état de "mort cérébrale", l’Union européenne l’est également, étant donné que l’UE ne complète l’Alliance qu’aux yeux de ses partenaires européens, en particulier de l’Allemagne. Et après, si Macron ne prend pas de décision après le diagnostic, parce que les autres gouvernements sont en désaccord, sa communication perturbatrice n’est qu’une simple communication sans suite», a constaté M.Thomann.

Il relève que c'est ce qui s'est passé notamment avec le moratoire proposé par le Président russe sur les forces nucléaires à portée intermédiaire.

«De toute évidence, le secrétaire général de l'Otan, ses partenaires et les États-Unis exercent une énorme pression sur le Président français pour qu’il n’accepte pas le moratoire russe. Et Emmanuel Macron a finalement décliné l'offre de la Russie, bien qu'il ait accepté de l'examiner au départ, sous prétexte de négocier un nouveau traité. Mais cette offre de moratoire aurait pu être une mesure de renforcement de la confiance utile pour engager une discussion plus large sur le futur traité. Bref, c'était une occasion manquée, par manque de résistance aux pressions externes», a souligné l’interlocuteur de Sputnik.

Il signale que bien que le retrait unilatéral des États-Unis du Traité FNI entraîne évidemment une dégradation de la sécurité européenne et que, par conséquent, l'offre de la Russie aurait dû être accueillie favorablement, les Européens craignent de faire autre chose que les États-Unis, de peur que les États-Unis ne s'éloignent davantage de l'Europe.

«Si l'Otan est en état de "mort cérébrale", c'est parce que la plupart des gouvernements européens atlantistes le sont également à cause de leur inertie et de leur peur de la responsabilité. […] Il existe en France un débat interne entre des atlantistes et des experts et conseillers néo-gaullistes d'Emmanuel Macron. La France, comme beaucoup de pays européens, est divisée sur la question. La "nation française profonde" est plus gaulliste que les gouvernements français les plus récents avec leur bureaucratie diplomatique "américanisée" et leurs magnats de la finance et des médias», a détaillé l’analyste.

Emmanuel Macron n'est pas de Gaulle

Il relève que de nombreux experts avisés et raisonnables savent que la France et l'Europe ont besoin d'une nouvelle architecture de sécurité européenne avec la Russie.

«Cette idée avait déjà été avancée par de Gaulle, alors que le contexte de la guerre froide rendait sa mise en œuvre difficile. La guerre froide est terminée, mais il existe encore de puissants réseaux atlantistes et réactionnaires qui tentent de bloquer la nouvelle configuration. […] Bien que de Gaulle ait maintenu la France dans "l'alliance atlantique", il l’a retirée du commandement intégré de l'Otan et, lors de sa présidence, il a opposé à plusieurs reprises son veto à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne», se souvient l’expert.

Il souligne que de Gaulle utilisait jusqu'à la fin une crise qu'il provoquait pour faire bouger ses partenaires, mais M.Macron semble déjà en phase de rassurer ses partenaires atlantistes.

«Cependant, Emmanuel Macron n'est pas de Gaulle», a conclu Pierre-Emmanuel Thomann.
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