En réplique à la taxation des GAFA, «l’attaque de Trump est en dessous de la ceinture»

© AP Photo / Alex BrandonDonald Trump
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Le champagne, les fromages, la maroquinerie et les cosmétiques sont dans le collimateur de Washington, en représailles de la volonté de Paris de taxer les GAFA. S’il est légitime pour un Président de défendre les intérêts de son pays, l’avocat Olivier Piton rappelle qu’on ne peut pas comparer les GAFA aux acteurs français... qui paient leur dû.

S’entendront, s’entendront pas? La tension est montée d’un cran entre Paris et Washington quelques heures avant l’ouverture du sommet de l’Otan à Londres le 3 décembre. La veille, l’administration Trump, par la voix de son représentant au commerce, a déclaré que près de 2,4 milliards de dollars d’importations de produits français pourraient être surtaxés jusqu’à 100% en représailles de la fameuse «taxe GAFA» (acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon) instituée en juillet par Paris. Une taxe de 3% qui s’applique aux entreprises numériques réalisant un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros au niveau mondial et de 25 millions en France.

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Estimant que celle-ci «constituait un fardeau anormal pour les entreprises américaines affectées», en violation des «principes de politique fiscale» internationaux, le Bureau du Représentant américain au Commerce (USTR) a ainsi dressé une liste des produits tricolores qui seront ciblés au plus tard le 14 janvier. Nouveauté, si les spiritueux étaient jusqu’à présent épargnés par d’autres surtaxes (25%) imposées par les autorités américaines sur fond de l’affaire des aides publiques européenne à Airbus, le champagne, des fromages, tout comme les produits de luxe et de beauté des groupes LMVH et L’Oréal sont cette fois-ci ciblés. Les groupes concernés ont, mardi, accusé le coup en bourse.

Face à des menaces américaines qu’il juge «inacceptables», Bruno Le Maire a déclaré chez nos confrères de Radio Classique espérer une riposte européenne «forte». Dans la foulée, le porte-parole de la Commission, Daniel Rosario, a précisé que «comme dans toutes les autres questions liées au commerce, l’UE agira et réagira comme une seule et elle restera unie», disant travailler «en étroite coordination avec les autorités françaises sur les prochaines étapes».

Olivier Piton, avocat en France et aux États-Unis, fondateur et ancien directeur de la cellule de stratégie d’influence de l’ambassade de France à Washington DC, auteur de La nouvelle révolution américaine (Éd. Plon, 2016) et Les transgressifs au pouvoir (Éd. Plon, 2017) répond à nos questions.

Sputnik: Washington a menacé de taxer jusqu’à 100% pour près de 2,4 milliards d’euros de produits français si Paris ne revenait pas sur sa fameuse taxe «Gafa». Selon vous, ce différents entre la France et les États-Unis sur la taxation des géants du numérique sera-t-elle réglée avant le 14 janvier, date à laquelle ce deuxième train de sanctions américaines à l’encontre des importations de produits français pourrait être mis en place, ou s’agit-il d’une énième «gesticulation de façade» comme vous aviez qualifié les menaces de Donald Trump lors d’une précédente interview?

Olivier Piton: «On l’a vu dans le cadre de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, on est toujours sur du temps long. On est au début des négociations. Il semble qu’effectivement, Donald Trump ait envie de faire plier la France et Emmanuel Macron sur la problématique de la taxation des GAFA. Donc, il serait à mon avis très exagéré d’être en mesure de savoir quelle sera la décision finale, s’il y aura accord ou pas.

Une chose est sûre, c’est que Donald Trump défend les intérêts des GAFA, même si les GAFA ne lui en sont pas forcément reconnaissants dans le cadre de la campagne, mais ça c’est un autre problème. Deuxièmement, Emmanuel Macron défend les intérêts de la France et accessoirement les intérêts de l’Europe.

Donc nous sommes sur des positions qui sont apparemment antinomiques, mais je rappelle que les GAFA devraient être sanctionnés simplement parce qu’elles ne paient pas suffisamment d’impôts en Europe comme elles le devraient. Ce n’est absolument pas le cas des vins français qui, eux, sont soumis à une taxation qu’ils respectent aux États-Unis, donc on n’est pas du tout dans le même cas de figure et l’attaque de Trump est une attaque que je qualifierais, pratiquement, d’en dessous de la ceinture. Nous sommes dans notre bon droit, mais les GAFA ne le sont pas!»

Sputnik: Niveau droit, du point de vue du Bureau du Représentant américain au Commerce (USTR), on estime que la taxe française n’est «pas conforme aux principes de politique fiscale internationale.»

Olivier Piton: «C’est comme si une personne aisée se plaignait de ne pas pouvoir faire de l’optimisation fiscale, c’est exactement le même problème. Légalement les GAFA sont complètement dans leur droit, mais sur le principe éthique, quand on paie 15 à 20% d’impôts au maximum parce qu’on a créé une filiale rattachée à une filiale qui se trouve dans l’un des pays de l’Union européenne –pour ne pas les citer– qui pratique du dumping fiscal… Oui, légalement on respecte les règles, éthiquement c’est loin d’être le cas.»

Sputnik: Pourquoi taxer particulièrement ces produits? On comprend que cela pourrait s’expliquer par le fait qu’ils ne sont pas déjà concernés par d’autres sanctions américaines. On imagine aussi que c’est parce qu’ils sont assez «emblématiques», n’y a-t-il pas également le fait qu’Emmanuel Macron est réputé proche de certains acteurs du luxe tricolore?

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Olivier Piton: «Vous avez raison de souligner tout cela. Le premier point c’est que la France est effectivement le pays leader dans le domaine du luxe et accessoirement des vins, en tout cas aux États-Unis. Deuxièmement élément, Donald Trump veut frapper la symbolique. Quand il voulait s’en prendre à l’Allemagne, il s’en prenait aux voitures, quand il s’en prend à la France il s’en prend au luxe et aux vins et aux spiritueux. Il y a donc une part de symbole, c’est d’ailleurs assez intéressant, parce que les États-Unis aujourd’hui estiment que d’une certaine manière, les GAFA sont le symbole de la nouvelle économie américaine, sur quoi ils n’ont pas complètement tort. […], Mais je tiens à rappeler qu’il y a une inégalité de fait, à défaut d’être de droit elle est éthique […] les GAFA ne paient pas ce qu’ils devraient payer, les viticulteurs français paient ce qu’ils doivent payer, c’est la différence! On n’est pas dans le même cas de figure!»

Sputnik: Donald Trump tape du poing sur la table face aux Français afin de défendre les GAFA alors même qu’il ne les porte pas dans son cœur. Ne peut-on pas reconnaître au moins au Président américain de défendre les intérêts de son pays?

Olivier Piton: «Tout à fait, je n’ai jamais condamné un chef d’État lorsqu’il défendait les intérêts de son pays, il est élu pour ça! Donc je n’ai aucun problème avec le fait que Donald Trump défende les GAFA. Je note juste deux points.

Le premier, c’est que les GAFA ne lui sont pas forcément reconnaissants de cette défense fiscale, parce que l’on connaît les relations compliquées –en particulier avec Facebook et Twitter– et deuxièmement, encore une fois, Emmanuel Macron défend les intérêts français. Ça me va d’autant mieux qu’en tant que Français, je trouve cela tout à fait normal.

Mais je le répète, les produits français paient leur juste part fiscale aux États-Unis quand leurs produits sont exportés aux États-Unis, ce n’est pas le cas des GAFA. Donc on a une inégalité de traitement fiscal qui est à soulignée. Que chacun défende les intérêts de son pays, rien de plus normal, seulement dans le cas des produits français, on est dans un cas normal et on est dans un cadre biaisé –pour insuffisance fiscale– dans le cadre des GAFA. Il faut le rappeler systématiquement! Et je doute que ce soit ce qu’Emmanuel Macron a dû dire à Donald Trump lorsqu’ils se sont vus mardi à Londres.»

Sputnik: Paris a brandi la menace d’une «réponse européenne […] forte». Peut-on réellement espérer une réponse européenne, quand on voit qu’on n’a même pas réussi à mettre les 28 d’accord sur la taxation des GAFA?

Olivier Piton: «Emmanuel Macron tente, en tout cas c’est tout son mérite, d’essayer d’unifier les Européens actuellement sur un certain nombre de sujets avec malheureusement pour lui et puis pour nous des résultats qui ne sont pas à la hauteur, en particulier sur l’Otan. Il a raison de tenter d’unifier la position européenne sur la problématique de la fiscalité des GAFA. Est-ce qu’il y arrivera? C’est très compliqué, parce que malheureusement en termes de diplomatie et en particulier de diplomatie fiscale –pour parler simplement–, il y a des intérêts divergents en Europe. Donc, attendons de voir, mais ça sera difficile.»

Sputnik: On voit en effet mal des pays tels que l’Irlande aller à l’encontre des États-Unis sur un tel dossier, idem concernant l’Allemagne, à qui on a fait faux bond sur le dossier Nord Stream 2. Dossier sur lequel les Allemands risquent de voir leurs entreprises prochainement sanctionnées par Washington.

Olivier Piton: «Le vrai enjeu c’est l’Allemagne. Et l’Allemagne, pour l’instant, fait une résistance absolument incroyable à toutes les initiatives françaises, quelles qu’elles soient dans le domaine international. C’est-à-dire que nous avons aujourd’hui, il faut le dire, une véritable opposition entre la France et l’Allemagne comme nous en avons rarement vu dans le passé.

L’Allemagne bloque systématique toutes les initiatives françaises et tant que l’Allemagne bloquera, on n’a aucune chance de pouvoir s’entendre à l’échelon européen. Si l’Allemagne accepte un certain nombre d’initiatives françaises –et cela va dans tous les domaines, y compris dans celui de la Défense– à ce moment-là, on avancera. Pour l’instant on est face à une guerre froide économico-diplomatique avec les Allemands.»

Sputnik: Des sanctions sur les produits Français, des sanctions contre les entreprises allemandes, on reproche souvent à la Russie de traiter individuellement les États membres européens, de jouer la division. On constate en tout cas que les Américains font clairement cela à l’égard de leurs alliés européens…

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Olivier Piton: «Vous savez, je n’ai jamais eu l’impression que les États tiers faisaient autrement. La Chine, la Russie –à l’époque l’Union soviétique–, les États-Unis… souvenez-vous de la phrase de l’époque “l’Europe, quel numéro de téléphone?”, cela ne date pas d’hier!

On vit dans un faux-semblant qui est une unité de façade européenne laquelle sur des sujets pas trop polémiques est réelle, mais dès qu’on rentre dans le dur, sur des sujets concrets, c’est la logique nationale qui reprend ses droits. Nous ne sommes pas les pires élèves à ce niveau-là, les Allemands sont infiniment plus nationalistes que nous le sommes. La preuve en est que si vous regardez tous les sujets qui font actuellement polémique entre les Français et les Allemands, nos positions sont radicalement opposées, systématiquement.»

Sputnik: Peu après ces menaces américaines, Bruno Le Maire a assuré au micro de France Inter que «jamais» la France ne renoncerait à la taxe sur les GAFA. La France peut-elle se permettre de maintenir le cap? Quels sont ses leviers?

Olivier Piton: «Je suis toujours très sceptique sur les positions martiales, jusqu’au-boutistes, du genre “jamais”, “moi vivant”, etc. Il faut toujours être prudent. Maintenant, il faut reconnaître à Bruno Le Maire de placer le rapport de force avec les Américains à un niveau élevé dès le départ. C’est incontestable, il vaut mieux commencer en disant “on ne va pas s’entendre!” plutôt qu’“à quel prix voulez-vous négocier?” Donc Bruno Le Maire a raison.

Maintenant, quelles sont les possibilités? Il y a une tentative d’entente à l’échelon européen, ce sera compliqué, mais si nous sommes unis, nous aurons beaucoup plus de volants d’action vis-à-vis des Américains. Deuxième cadre, l’OMC et troisième cadre, l’Otan qui est une agora où, on le voit, Emmanuel Macron a en profité pour aborder le sujet à Londres avec Donald Trump.

Il y a deux choses que la France et l’Europe devraient faire. Premièrement, effectivement, ne pas céder sur l’optimisation fiscale que les GAFA réalisent en Europe, c’est un problème d’éthique et puis deuxièmement, à quand un GAFA européen? J’ai entendu Cédric O [Secrétaire d’État chargé du Numérique, ndlr.] il n’y a pas si longtemps, plaider également pour la création d’un champion européen, quand allons-nous le faire?»

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