Écarté du terminal à conteneurs du port de Douala, Bolloré ne lâche pas prise

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Alors que la concession du terminal à conteneurs du port de Douala du français Bolloré expire au 31 décembre, l’autorité portuaire s’est vue contrainte par la justice de suspendre le processus de recrutement d’un nouvel opérateur. Dans l’attente d’une décision finale, elle a créé une régie pour prendre le relais. Décryptage.

Camouflet ou manœuvre juridique dilatoire pour écarter Douala International Terminal (DIT) – filiale camerounaise du groupe français Bolloré – du port autonome de Douala (PAD), le plus grand d’Afrique centrale? Alors que la concession de DIT arrive à échéance le 31 décembre 2019 au terminal à conteneurs du PAD, l’autorité portuaire a annoncé à la suite de son conseil d’administration du 6 décembre dernier qu’elle s’en attribuait la gestion à partir du 1er janvier 2020. Elle a créé à cette intention la Régie du terminal à conteneurs (RTC), placée sous l'autorité du directeur général du PAD.

«La régie devra assurer la continuité de l’exploitation du terminal à conteneurs au 1er janvier 2020», indique un communiqué final signé de Shey Jones Yembé, président du conseil d’administration du PAD.

Cette nouvelle régie a été créée pour une durée d'un an, dont la gestion peut être écourtée ou prorogée en cas de besoin par le conseil d'administration. Elle arrive dans un contexte où l’autorité portuaire de Douala a été contrainte par la justice camerounaise de suspendre le processus de recrutement d’un nouvel opérateur devant exploiter le terminal à conteneurs.

Une affaire au cœur des manœuvres politiciennes

La gestion du terminal du port de Douala est l'objet d'une bataille féroce depuis près d'un an. En janvier dernier, l'exploitant actuel depuis 2005, le consortium Bolloré-APM Terminals à travers DIT, avait été écarté de la sélection pour la concession et avait alors porté l'affaire devant le tribunal administratif de Douala. Il avait obtenu le 16 août l’interruption de ce processus.

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Cinq jours plus tard, le PAD avait intenté un recours et obtenu la suspension de cette décision de justice, ce qui lui a permis à l'époque d'annoncer que le groupe suisse Terminal Investment Limited (TIL) succéderait à DIT.

Cette nouvelle décision n'avait pas été du goût de la présidence camerounaise, qui le 25 octobre, avait ordonné au port d’interrompre à nouveau le processus de désignation d'un nouveau concessionnaire. Une décision de Paul Biya intervenue consécutivement à la visite au Cameroun du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Beaucoup d’analystes y avaient vu une pression de Paris. C’est le cas d’Edmond Kuaté, économiste camerounais.

«Qu'on le veuille ou non, Bolloré est aujourd'hui comme une excroissance de l'État français. Celui-ci veut garder la mainmise sur un nombre important d'outils stratégiques pour un meilleur contrôle de sa zone d'influence en Afrique qui connaît de plus en plus de rétrécissements depuis l'entrée en scène de nouveaux acteurs tels que la Chine, la Russie, sans parler de la volonté de plus en plus affichée des États-Unis d'élargir leur influence sur le continent», commente-t-il au micro de Sputnik.

Ultime rebondissement, mercredi 4 décembre, la chambre administrative de la Cour suprême du Cameroun a rejeté le pourvoi en cassation formé par le PAD au sujet de l’éviction irrégulière du consortium franco-danois Bolloré-Maerks (APMT) de l’exploitation du terminal à conteneurs. 

La décision de la justice, rendue certes en faveur du groupe Bolloré ne contraint pas le PAD à renouveler de facto le contrat de gestion du terminal à conteneurs puisque la plainte de Bolloré ne portait pas sur le renouvellement de son contrat DIT mais sur la possibilité de proposer sa candidature, analyse Edmond Kuaté.

«Somme toute, cette décision de la Cour suprême vise à une seule chose: c'est donner l'opportunité à Bolloré, en cas de nouvel appel à manifestation d'intérêt, de faire valoir son offre tout simplement», commente l’économiste.

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Pour Edmond Kuaté, cela ouvre deux alternatives. Soit l'État du Cameroun, à travers le PAD, lance un nouvel appel à manifestation d'intérêt et réexamine toutes les offres soumises à son attention, celle de Bolloré y compris. Soit, de manière souveraine, il met en place un organe interne au PAD de gestion et d'exploitation du terminal à conteneurs en se faisant accompagner par une assistance technique de son choix.

«Manifestement, l'État du Cameroun a opté pour la seconde option, du moins pour l'instant, si on s'en tient à la décision du PAD rendue publique cette semaine faisant état de la mise en place de la RTC, la régie de gestion du terminal à conteneurs de Douala-Bonaberi», poursuit Edmond Kuate.

Dans un entretien accordé à Sputnik, Jean-Bruno Tagne, journaliste et écrivain camerounais, considère le retour de Bolloré dans l'attribution du marché du terminal à conteneurs du port de Douala comme «l'expression de l'offensive diplomatique française contre Yaoundé», et dénonce cette manœuvre, «terrible pour l'image et la souveraineté du Cameroun».

Un point de vue partagé par Edmond Kuate, qui renchérit:

«Tout ceci remet au goût du jour le paternalisme français avec ses miasmes constitués pour l'essentiel d’interférences, d'intrusion, de passe-droit, d'ingérence et d'influence de la France dans ce qu’elle considère comme ses enclos coloniaux en Afrique. Même si, officiellement, Jean-Yves Le Drian venait pour l'inauguration du second pont sur le fleuve Wouri et la visite des zones sinistrées par Boko Haram dans l'Extrême-Nord, on est fondé à croire qu'en toile de fond, c'était une visite de pression et de sauvetage pour le soldat français Bolloré en danger au port autonome de Douala», conclut l’économiste.

Point stratégique dans le golfe de Guinée, le PAD est aussi la principale porte d'entrée de marchandises pour plusieurs pays de l’Afrique centrale à l’instar du Tchad et la Centrafrique. Déjà très présent en Afrique où il ne gère pas moins de 17 ports, Bolloré a décroché en 2015 la concession du nouveau port de Kribi, ville balnéaire du sud du Cameroun.

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