L’influenceur influencé, version digitale de l’arroseur arrosé?

© Photo Pixabay / geraltInfluenceurs et réseaux sociaux.
Influenceurs et réseaux sociaux. - Sputnik Afrique
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Nouvelle agora des temps modernes, les réseaux sociaux, s’ils permettent la mise en relation d’individus, en propulsent aussi quelques-uns sur le devant de la scène. Ces influenceurs, gourous de la consommation, se battent pour perdurer dans un espace où l’éphémère et la surenchère sont légion, ce qui n’est pas sans conséquence pour eux.

Connaissez-vous Norman Thavaud, Cyprien, Enjoy Phoenix, Natoo ou Tibo InShape? Si ce n’est pas le cas, il est grand temps de vous mettre à la page des influenceurs. Popularisé depuis quelques années, ce terme renvoie irrémédiablement à un jeune individu, très jeune parfois, exerçant une activité professionnelle ou semi-professionnelle sur un réseau social. Celle-ci consiste schématiquement à agréger autour de lui une communauté et à influencer son comportement d’achat ou de consommation.

D’emblée, il convient de préciser deux points. En premier, l’influenceur a tendance à se définir plutôt comme un créateur, un producteur, un vidéaste ou encore un acteur, histoire de faire passer en priorité l’art avant le lard. En second, c’est qu’en dépit de la multiplicité des réseaux sociaux, le terme d’influenceur est réservé aux médias YouTube et Instagram, en raison de leur large diffusion et accessibilité. Avec une inflexion pour Instagram, puisque souvent les comptes les plus suivis sont ceux de célébrités du cinéma, de la chanson ou de la mode déjà reconnues et non des personnalités sui generis. Pour le vérifier, vous pouvez vous rendre sur le site Social Blade qui propose une métrie de la popularité de chaque profil.

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S’il y a bien une question qui irrite légitimement les infl… les créateurs, c’est l’insistance par les médias dits traditionnels à prendre connaissance de leurs revenus. C’est en effet une manière assez peu élégante de considérer les intervenants comme des marchands d’image (la leur), édulcorant le travail de scénarisation, de mise en scène, de tournage, de montage et de communication. Car oui, le producteur de contenu a une particularité: il entend fédérer une communauté autour de lui.

Fédérer oui, mais générationnellement et sectoriellement, car on consomme de l’Instagrammeur ou du Youtubeur en fonction d’une part de sa tranche d’âge et d’autre part de la thématique abordée, selon que vous êtes amateur de sport, de mode, de politique, de voyage, de jeux vidéo, de maquillage, etc.

Vivre d’amour et d’eau fraîche ne suffit pas toujours

Si les influenceurs sont irrigués par leur passion et leur entrain à la partager, il ne faudrait pas omettre pour autant qu’ils ont des charges à payer à la fin du mois (pour les plus indépendants) et du matériel à acheter ou à entretenir (pour alimenter et bonifier la chaîne ou les histoires selon le médium employé). Tous n’ont pas l’opportunité de disposer d’un studio professionnel les déchargeant de la partie technique.

Lorsque l’on évoque la trésorerie, si l’adverbe «combien» procède du voyeurisme déplacé, le comment permet en revanche de déterminer leur relation au public. En termes de ressources, plusieurs options s’offrent à eux. Chacune est propre à la philosophie de l’influenceur qui pourra plus facilement recourir à l’une qu’aux autres.

La première c’est le merchandising. Un procédé que certains influenceurs n’hésitent pas à proposer et qui consiste à étaler des produits dérivés de leur activité et de leur notoriété (comme Tibo InShape ou Kim Kardashian). Le principe est limpide: l’abonné est libre d’acheter, mais s’il veut communier davantage et soutenir la personnalité de son choix, il peut acquérir des éléments afférents. Nous sommes dans un rapport marchand non imposé.

La seconde est plus indirecte, car elle sollicite l’appui des abonnés, leur communauté, au travers d’un financement participatif (l’argent transitant par des sites tiers, Kickstarter, Ulule ou Tipeee entre autres). Ici, le principe est de permettre à l’influenceur de poursuivre son activité dans des conditions acceptables. S’il demeure libre du choix de son apport –y compris de son montant–, il prolonge surtout l’assurance de sa communion, ce qui pour certains internautes est une forme de reconnaissance tandis que pour d’autres cela s’assimile à de la mendicité numérique.

La troisième est celle qui crée le plus de malaise parmi la communauté puisqu’elle s’affiche de manière plus hypocrite en «glissant» des références commerciales. Sans être de nature subliminale, l’influenceur insiste sur un produit, un service, une société plus que d’ordinaire, tout en vantant ses qualités. Ce dernier procédé tend malgré tout à disparaître pour deux raisons. Premièrement, les réseaux sociaux font le ménage pour éviter d’être condamnés pour dissimulation de revenus aux autorités fiscales du pays de visionnage. Et deuxièmement, le lien de confiance entre influenceur et abonnés peut vite se distendre et disparaître en cas de dénonciation de la supercherie.

D’où la rapide progression de partenariats. Une quatrième option qui pousse les animateurs du réseau social à être plus transparents quant à leurs sources de financement. Le créateur monnaye de la sorte son image pour percevoir indirectement les fruits de sa créativité et sa capacité à agréger un public. Le partenariat peut être rapidement lucratif pour quelques petits malins refusant toute exclusivité: ainsi Ninja, le phénomène de Twitch (le YouTube des jeux vidéo) s’est tour à tour attiré les grâces de Guess, Uber Eats, Samsung et Red Bull. Joli combo! La progression très rapide de cette manne a, côté pile, permis de sauver des chaînes de la disparition, mais, côté face, transformé les influenceurs en porteurs de panneaux publicitaires.

Cette dernière tendance a entraîné plusieurs dérives pour des individus en mal de reconnaissance numérique et numéraire, ceux-ci recourant à des stratagèmes permettant de multiplier les faux abonnés, les fausses visites, les faux commentaires sur les plates-formes les plus exposées médiatiquement. Et de la sorte, hameçonner des partenaires commerciaux alléchés par ce canal de diffusion, de distribution et de notoriété. Si ce phénomène réussit à être sous contrôle, il est symptomatique en revanche d’un changement de paradigme depuis le début de ces sites de partage.

Être vu, ça ne paie plus

Car oui, évoquer d’emblée ces canaux de rémunération c’est occulter la monétisation, c’est-à-dire la rétribution directe opérée par l’hébergeur des créations. C’est pragmatiquement considérer que ce moyen de financement, pourtant historiquement le premier moyen de récolter les fruits de sa créativité, est devenu accessoire, puisqu’en très nette perte de vitesse. Les grands noms précités en début d’article ne sont que les arbres dorés qui cachent la forêt effeuillée.

C’est qu’il commence à s’estomper le temps où la création d’une chaîne artisanale et le lent décollage des abonnés n’empêchaient en rien une monétisation fructueuse sur la durée, offrant une rémunération directe et simple pour l’animateur du compte par la plate-forme. Instagram comme YouTube sont en effet fortement dépendants des revenus publicitaires, bien plus que des revenus de services associés.

Désormais, avec les modifications de règles et l’évolution des algorithmes, se faire remarquer sur un réseau social comme YouTube est devenu bien plus compliqué: depuis 2018, toujours sur cette plate-forme, un double seuil est désormais requis en termes d’abonnés et de période de présence afin d’espérer débloquer une quelconque rémunération. Le départ de gros annonceurs soucieux de ne pas écorner leur très lisse image médiatique ainsi que les ayants droit a forcé YouTube à réduire le débit du robinet à dollars.

Pour Instagram, le paradigme est légèrement différent: il consiste tout simplement à exister dans la jungle des publications et être bien clair quant à ce que l’on vend en termes d’expertise et/ou de produits, là où l’offre est pléthorique et uniquement sous forme picturale, animée ou non.

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Une fois que le plus dur est fait, être connu, cette notoriété peut être détournée par quelques petits malins comme ce fut le cas avec l’arnaque du site Celebrily, qui proposait de recevoir des vidéos personnalisées de vedettes du monde numérique moyennant le dépôt d’une somme.

Sur un plan plus interpersonnel, saluons le travail abouti de Marketing Mania pour décortiquer l’émergence et la construction des influenceurs sur Internet, notamment l’épisode «Les Youtubeurs ne sont pas vos amis», où il pointe du doigt la relation souvent ambiguë entre l’influenceur et son public. D’où cette impression de malaise pour certains lorsqu’il s’agit de payer pour bénéficier d’un produit lié à une personnalité qui se veut à la fois vedette numérique millionnaire en termes de visites et proche de l’abonné en brisant le quatrième mur pour créer une proximité et sincérité.

Car c’est bien là une particularité des réseaux sociaux par rapport au petit écran: l’animateur est plus proche de vous que la célébrité issue des anciens canaux de diffusion. Il vous fait pénétrer dans son intimité, souvent travaillée dans le détail, y compris dans sa négligence, afin de vous installer dans une confiance propice à le suivre et à désirer ce qu’il mange, ce qu’il porte, ce qu’il écoute, ce qu’il confectionne, etc.

L’influenceur disjoncte en direct

Mais la fièvre peut vite guetter ceux qui n’y prêtent pas garde: l’argent facile, parfois, mais le plus souvent l’obligation d’entretenir une image projetée, un avatar de ce que l’on est, produit à terme une fatigue, une rupture psychologique pour des individus épuisés et piégés par la notoriété, les relations tissées et les revenus afférents. L’influenceur est devenu captif de son public ou plus dramatiquement, de son outil d’influence.

Ce qui explique que certaines personnalités se décident à prendre du recul, voire à lâcher totalement l’affaire: tels PewDiePie en décembre 2019, Channing Tatum en août 2019, Benjamin Biolay en juillet 2019 ou encore TheFantasio974 en juin 2018.

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Conscient de ces dérives –et du risque de défection potentiel de ses forces vives– Instagram a commencé dès 2019 à supprimer pour certains pays la fonction «J’aime» afin d’exclure les rivalités délétères et les tricheurs, tandis que YouTube la même année a procédé à l’arrondissement du nombre de vues afin d’amoindrir ce même phénomène sur son service.

Précisons qu’Apple a intégré dans son dernier système d’exploitation pour iPhone l’application «Temps d’écran» afin de limiter l’exposition du public le plus jeune –mais pas exclusivement– aux réseaux sociaux. Ainsi en amont comme en aval, le credo est à la modération pour les influenceurs, le public, les annonceurs et les plates-formes. Peut-être bien là l’occasion de se désintoxiquer pour les fêtes de fin d’année…

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