Au Canada, des policiers étaient prêts à faire feu sur des militants autochtones

CC0 / Erika Wittlieb / Tipi, Amérique du Nord
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Nouveau coup dur pour l’image du Canada à l’international. Des documents obtenus par le Guardian montrent que des policiers étaient prêts à faire feu sur des manifestants autochtones à l’hiver dernier. En entrevue, Raphaël Picard, ex-chef de la communauté de Pessamit, au Québec, dénonce la violence contre les premières nations du pays.

Le Canada de Justin Trudeau protège-t-il autant les droits des autochtones qu’il le prétend?

Le 20 décembre dernier, le journal britannique The Guardian a révélé que la police canadienne était prête à faire feu sur des militants autochtones dans le nord de la Colombie-Britannique.

​Entre décembre 2018 et février 2019, des militants autochtones menaçaient de bloquer la construction du projet Coastal GasLink, un futur réseau d’oléoducs passant notamment sur les terres ancestrales de la nation Wet'suwet'en. Les hauts gradés de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) auraient même autorisé leurs agents à «utiliser autant de violence qu’ils le souhaitent» pour démanteler un barrage routier érigé par des représentants de cette nation. Des tireurs d’élite ont alors été déployés sur le site.

Des notes préparatoires obtenues par le Guardian prouvent indéniablement l’existence de cette tactique. Totalisant 670 kilomètres, cet oléoduc servira à acheminer du gaz naturel jusqu’à la petite ville côtière de Kitimat où se trouve un terminal méthanier.

Des révélations qui choquent l’opinion publique

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Intellectuel autochtone reconnu, Raphaël Picard n’est pas du tout surpris par ces nouvelles révélations. Selon lui, les divers corps de police au Canada n’ont jamais hésité à utiliser la violence pour protéger divers projets économiques. M.Picard a été chef (2002-2012) de la communauté innue de Pessamit, sur la Côte-Nord du Québec, et est docteur en administration des affaires de la Paris School of Business. Son dernier ouvrage, Nutshimit, est un roman ethnographique consacré à l’imaginaire de son peuple.

«De tout temps, les forces policières canadiennes ont surveillé de près les zones de manifestations avec d’énormes effectifs. Avant certains jugements de la Cour suprême rendus entre les années 1970 et 1990, les forces de répression étaient encore plus directes et actives. Les policiers étaient sans scrupules. Durant la crise d’Oka en 1990 [qui opposa la nation mohawk aux États québécois et canadien, ndlr], l’armée était intervenue. Aujourd’hui, la police est plus discrète pour des raisons stratégiques, mais pas moins présente», analyse M.Picard au micro de Sputnik.

Raphaël Picard a déjà lui-même pris part à des manifestations visant à protéger les territoires ancestraux de son peuple. Le blocage de certaines routes est une tactique couramment utilisée par les militants autochtones pour freiner l’expansion de projets jugés contraires à leurs droits.

​En juin 2011, M.Picard a pris part à un blocus historique dans le nord du Québec. Le but de cette opération était de forcer le gouvernement québécois à consulter les peuples amérindiens avant d’entamer la construction de 13 nouveaux projets hydroélectriques sur leurs territoires. L’intervention des policiers suit toujours environ la même procédure, observe l’ex-chef:

«Quand il y a des blocus, les ministres responsables et les forces policières se préparent [...]. Il n’y a pas de demi-mesure. On avise les groupes autochtones qu’il y aura une injonction ou un décret s’ils refusent de quitter. L’injonction se fonde sur l’argument des inconvénients et des troubles à l’ordre public. L’intérêt public est toujours priorisé au détriment de notre droit ancestral de sauvegarder nos terres», déplore M.Picard.

Les policiers peuvent toutefois craindre pour leur sécurité lors de manifestations et de blocus de grande envergure, considère M.Picard. Cette réalité pourrait en partie expliquer pourquoi le haut commandement de la GRC a préalablement autorisé les policiers à ouvrir le feu sur les manifestants en cas de vives tensions à l’hiver 2019. Une situation qui ne s’est heureusement pas produite, faut-il le rappeler.

«Les policiers ont peur que les gens soient armés... Il y a toujours une tension et les gouvernements ne veulent pas perdre la face. Les policiers peuvent être anxieux et appréhender des dérapages. Il pourrait toujours arriver que quelqu’un ouvre le feu... Il faut dire que les familles amérindiennes possèdent toutes des armes à feu. Il n’y a pas le même contrôle des armes sur nos territoires que dans le reste du Canada», précise-t-il.

Le blocage de routes ne fait évidemment pas l’unanimité au pays de l’érable. Plusieurs politiciens et chroniqueurs condamnent sévèrement cette méthode. Raphaël Picard croit toutefois qu’il s’agit de la seule manière efficace pour les militants amérindiens de faire entendre leurs revendications:

«La négociation ne fonctionne jamais, parce que les promoteurs et les gouvernements ne sont pas honnêtes. Les requêtes en cour ne fonctionnent pas tellement non plus, car elles nécessitent beaucoup de temps et surtout des ressources financières que les communautés n’ont pas. Il reste les modes de pression conventionnels», constate-t-il.

En 2015, Ottawa a adopté une loi antiterroriste criminalisant entre autres l’action de certains militants autochtones considérés comme extrémistes. Plus connu sous le nom de projet de loi-C-51, le texte renforce le pouvoir des autorités en cas de menaces ciblant de grandes infrastructures comme les oléoducs et les barrages hydroélectriques.

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