«Continuer le combat contre les Occidentaux»: pourquoi la France hésite-t-elle à rapatrier ses djihadistes?

© AP Photo / Hussein MallaDes personnes en Syrie
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La question du rapatriement des djihadistes divise toujours en France, tant au sein du gouvernement que de la société. Deux islamologues français ont commenté pour Sputnik les difficultés et obstacles qui pourraient se trouver à la base de ces hésitations et indécisions.

Le rapatriement des djihadistes partis se battre pour Daech* est une pomme de discorde pour la plupart des pays, y compris la France. François Burgat, islamologue et politologue français, directeur émérite de recherches au CNRS et à l'Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, et Elyamine Settoul, maître de conférences au CNAM de Paris, ont commenté pour Sputnik les craintes présentes au cœur de la société française et les obstacles qui pourraient retarder voire empêcher ce retour en France.

«L’exécutif français ne veut pas que les djihadistes reviennent en France parce l’opinion publique française est contre le retour des djihadistes. Si vous faites un sondage aujourd’hui dans la population française, 80% vont vous dire non, on laisse les djihadistes français en Irak et en Syrie on les laisse juger là-bas», explique Elyamine Settoul.

Il précise que jusqu’à présent, la position française est intermédiaire, «entre non à la peine de mort et non au retour sur le territoire français», car la tradition française dénonce l’application de la peine de mort.

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Le premier djihadiste français condamné a été libéré

«D’un autre côté la tradition française c’est d’être contre la peine de mort. […] Et du coup ça gêne un petit peu l’État français de laisser des ressortissants français, même des djihadistes français, en Irak ou en Syrie, dans des pays qui pratiquent la condamnation à mort.»

François Burgat rappelle pour sa part la dimension individuelle au cœur du système judiciaire français.

«Une peine pénale, dans notre système, doit impérativement être individualisée. Elle ne peut pas être collective! Elle doit s’appliquer en fonction de la connaissance de faits démontrés et non d’accusations collectives. Elle ne peut de surcroît, en aucune manière, s’appliquer aux enfants mineurs des accusés, quelle que soit la nature des délits ou des crimes attribués à leurs parents.»

La polémique autour du port du voile et de la réforme de l’islam de France

Le retour des djihadistes est compliqué également par les débats autour du port du voile qui ne faiblissent pas.

«À l’intérieur, bien évidemment, les polémiques comme celle touchant notamment le port du voile renforcent le sentiment d’un traitement très inégalitaire des citoyens de confession musulmane, crédibilisant les revendications les plus radicales», précise François Burgat.

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En ce qui concerne l’idée d’introduire une réforme de l’islam, elle ne date pas d’hier, mais reste à l’état de projet.

«Ça fait longtemps qu’on parle de réforme, la plupart des Présidents français ont essayé de réformer. Je pense qu’un des problèmes c’est que les organisations musulmanes actuelles sont dirigées par des individus qui ne reflètent pas l’islam de France. [...] Le problème est que les musulmans de France c’est un peu différent, ils ont des références différentes, ils ont été socialisés différemment, ils ont un lien aux pays d’origine qui est assez faible, de plus en plus faible. [...] Donc le lien s’est coupé. Par contre, chez les responsables associatifs musulmans ce lien est encore très fort», détaille Elyamine Settoul.

La réintégration dans la société toujours en question

Elyamine Settoul a tenu à préciser que parmi les djihadistes partis en Irak et en Syrie, les plus radicalisés ne tentaient pas de rentrer en France.

«Souvent les plus radicalisés sont restés en Syrie, en Irak, pour mourir, pour se battre jusqu’à la mort pour aller au paradis en fait. Souvent, quand ils sont rentrés en France, une bonne partie c’est parce qu’ils ont été déçus par Daech*, ils n’ont pas été satisfaits de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils ont vu, et donc la déradicalisation des engagements va être plus simple avec eux. Par contre, il y a une petite partie qui continue à être radicale dans le groupe, et qui considère que Daech* n’a pas fait du bon boulot mais ils considèrent aussi qu’il faut continuer le combat contre les Occidentaux.»

Il explique que, même en mettant en place un dispositif de suivi composé de spécialistes -comme des psychologues et des personnes qui connaissent bien l’islam-, il peut se passer des mois avant que les rapatriés ne commencent à écouter et dialoguer.

«On n’arrive pas forcément à les désengager mais ils arrivent à vous dire après "J’ai mon opinion, vous avez votre opinion" et puis, "je ne passe pas à la violence". Ce qui est important, c’est qu’on ne passe pas à la violence. Si l’idéologie reste mais que la violence disparaît, ce n’est pas trop grave.»

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Interrogé sur le système pénitentiaire français et son état de préparation à faire face à un «retour massif» des djihadistes d’Irak et de Syrie, François Burgat a émis le sentiment que, d’après lui, le système dispose de tous les moyens nécessaires.

«Au-delà des problèmes de surpopulation, il devrait l’être! Car il dispose de tout l’arsenal législatif nécessaire. La justice française a mis plusieurs décennies à se doter d’un corpus de principes qui devrait lui permettre de faire face à une telle situation.»

Malgré tous les obstacles et préoccupations concernant le retour des djihadistes français dans leur pays d’origine, Elyamine Settoul considère qu’il faut faire rentrer en France ces jeunes qui ont été éduqués et ont grandi dans la société française, et sont sortis de cet environnement où ils devraient maintenant être observés et condamnés, et non ailleurs.

«Il vaut mieux avoir ces jeunes dans le radar français, plutôt que de les laisser dans la nature […] Je pense qu’il faut les rapatrier, les condamner en France et puis adapter l’incarcération en fonction des profils», a conclu le spécialiste.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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