Lutte contre l’insécurité: «un échec global» du gouvernement, selon Linda Kebbab, de SGP Police

© AFP 2023 LOIC VENANCEUn officier de la BAC. Image d'illustration
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Les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur donnent le vertige: ils reflètent une France qui s’enfonce dans la violence. Pour Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat SGP Police, «l’échec de la sécurité est global». Elle nous en dit davantage.

Le couple sortait d’un restaurant quand leur chemin fut barré par trois inconnus, leur demandant une cigarette. Ils refusèrent et, en une fraction de seconde, les trois importuns se transformèrent en barbares. Les insultes fusent, puis les coups. Tabassé, l’homme sera grièvement blessé. Pour une cigarette, il aura la jambe brisée et le plancher orbital fracturé. Sa compagne reçut quelques coups, heureusement moins graves. Rapidement retrouvés grâce aux caméras de vidéosurveillance, les trois agresseurs étaient déjà «défavorablement connus des services de police».

Chaque heure: 30 faits de coups et blessures en France

Ce lynchage s’est produit le 16 janvier dernier dans la petite commune de Rilleux-le-Pape (69, mais ce fait-divers aurait pu avoir lieu n’importe où. Car en 2019, 30 faits de coups et blessures ont eu lieu chaque heure en France. Soit 714 par jour et, en tout, 260.500 pour l’année 2019. Une hausse de 8% depuis l’année précédente et une multiplication par cinq depuis 2010. à cela faut-il ajouter une hausse de 9% des homicides: il en advient trois par jour, soit 970 par an.

Tous les voyants sont au rouge dans le dernier rapport Interstats/ministère de l’Intérieur, ce qui ne surprend guère Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat SGP Police. Les chiffres sont forcément «en deçà de la réalité», nous confie-t-elle de surcroît.

Par exemple, à propos des violences faites aux femmes, malgré les initiatives du gouvernement et de Marlène Schiappa, le rapport dénombre près de 63 viols par jour, soit 22.900 par an. Une augmentation de 19 points. Mais la situation est plus tragique encore: si l’hypothèse selon laquelle seuls 1/5e des viols font l’objet d’une plainte était avérée, alors on serait en réalité plus proche des 100.000 viols par an.

«En 2017, nous avions alerté Madame Schiappa sur les atteintes aux femmes, se rappelle Linda Kebbab. La loi sur les agressions sexistes n’a pas apporté de solution.»

Pour la policière, pas de doute: le gouvernement cultive «l’entre-soi». Un entre-soi dont le corollaire est la déconnexion des réalités du terrain.

Le braquage, un business moins profitable

Même la baisse de certains chiffres ne saurait refléter la meilleure efficacité du ministère de l’Intérieur. Entre autres, si les chiffres des vols avec armes (7.600/an, stables) et sans armes (79.100, -2%) semblent corrects, ils témoigneraient avant tout d’une mutation de la criminalité. En effet, «ces actes sont jugés aux assises, donc criminels», nous rappelle Linda Kebbab. La dissuasion serait dès lors efficace:

«Braquer une bijouterie, une banque, c’est difficile, et même les commerçants de quartier sécurisent désormais énormément.» En définitive, «braquer un commerce pour 150€, ça ne vaut pas le coup: le ratio risque prison/bénéfice n’est plus aussi intéressant.»

Une évolution déjà observée depuis plusieurs années par les policiers. Sur le terrain, les agents le sentent: «les suspects nous le disent eux-mêmes: à la rigueur, les vols à main armée contre les commerces de proximité servent d’amorce pour se lancer dans le trafic de stupéfiants, car il y a un besoin de liquidité pour ça.» Ainsi, assiste-t-on à une réorientation vers des vols et violences sur la voie publique. Ceux-là même dont les chiffres augmentent.

Chose intéressante, les destructions et dégradations volontaires ont baissé d’un point, après avoir déjà reculé de trois points en 2018: on constate cette année 600.100 faits de ce type. Mais là aussi, les statistiques ne refléteraient pas certaines réalités: «malheureusement, les particuliers renoncent souvent à déposer plainte sur les dégradations minimes, nous explique Linda Kebbab. Quand il n’y a pas d’auteur, les assureurs ne remboursent pas». Alors les chiffres donnent l’illusion d’une société paisible.

L’analyse géographique: la preuve de l’échec national?

French special police forces secure an area during a police operation where the suspected gunman, Cherif Chekatt, who killed three people at a Christmas market in Strasbourg, was killed, in the Meinau district in Strasbourg, France, December 13, 2018. - Sputnik Afrique
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Certaines régions sont évidemment plus exposées ou criminogènes que d’autres, mais seuls trois départements ont vu le nombre de coups et blessures volontaires diminuer (Aude, Hautes-Alpes et Somme). Et cette analyse géographique prouverait donc l’ampleur nationale du problème, selon Linda Kebbab: «qu’est-ce qui relie ces différentes régions? C’est le ministère de l’Intérieur. C’est un échec global. C’est l’échec de l’entité qui doit faire travailler la police, un échec du déploiement des forces de l’ordre», accuse-t-elle.

«Clairement, depuis deux ans, c’est tout sauf une réussite. La stratégie ne correspond pas à la réalité des faits. On a un usage non modéré des forces de l’ordre, qui finissent 2.019 à bout de forces, et ça ne porte même pas de fruits: on finit éreintés et ce n’est pas productif. On ne peut même pas mettre cela sur le dos des Gilets jaunes: il y a un problème global, de stratégie dans la gestion du quotidien.»

Un problème global que semble ressentir chaque agent à son échelle. Parler à l’un d’entre eux, c’est comprendre que son travail «est un tonneau des danaïdes». Son sentiment constant est que ses efforts ne servent, en fin de compte, à rien. Entre autres du fait d’une institution judiciaire trop laxiste et dès lors incapable de prévenir la récidive.

Même dans la capitale, jusque-là davantage épargnée «du fait d’une densité policière plus importante», la situation est pour le moins préoccupante. L’année 2019 a vu une augmentation de 9 points des atteintes à l’intégrité physique.

L’épuisement des agents conduit à limiter le travail d’initiative, c’est-à-dire les patrouilles et la recherche de commissions d’infractions en cours.

«On ne peut pas être efficace en faisant travailler les forces de l’ordre 50 heures par semaine avec une administration qui ne les soutient pas», soupire Linda Kebbab.

Les flics, c’est connu, sont des sentimentaux. Leur quotidien est rude, ils ont particulièrement besoin de soutien. La moindre tension avec leur hiérarchie laisse des traces. L’une des premières affaires tragiques de l’année 2020, la mort de Cédric Chouviat lors d’un contrôle de police, a amené le chef de l’État à exiger «l’exemplarité» des forces de l’ordre. Une injonction qui passe mal, perçue comme une injustice au vu des efforts sur le terrain:

«Nos collègues nous le disent: “je ne fais plus d’initiative, si c’est pour me faire filmer avec un smartphone, me faire lyncher et sanctionner, ça ne sert à rien”.»

Regrettant un tel drame, mais estimant que l'épuisement des policiers est la cause première de dérapages marginaux, Linda Kebbab craint toutefois les dérives des réseaux sociaux. Le syndicat SGP Police avait soutenu l’amendement Grand au Sénat: si les images d’interventions policières resteraient légales selon ce-dernier, les policiers souhaitent que les visages soient floutés sur Twitter et consorts. «Diffuser une opération de police, c’est le droit de chacun, estime Linda Kebbab, mais personne n’a envie de voir son visage sur Internet sans la moindre enquête». Chez les bleus, la démoralisation semble chaque jour gagner du terrain.

Le tournant des violences urbaines à visées politiques

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Pourtant, malgré cela et le mouvement des Gilets jaunes, la policière veut croire à la solidité du lien Police-nation. En effet, 50% de l’opinion selon l’IFOP conserverait une bonne image des forces de l’ordre.

2020 verra-t-il se tourner la page d’une année catastrophique, marquée par les violences urbaines des quartiers criminogènes et les émeutes en marge des Gilets jaunes? Ces dernières seraient selon la policière un «véritable tournant», ou «l’événement notable de 2019», posant un véritable défi aux agents, pris entre le marteau de la contestation et l’enclume du pouvoir actuel.

2020: un livre blanc très attendu

En 2020 paraîtra un nouveau livre blanc sur la police des 10 prochaines années. Le gouvernement parviendra-t-il à rassurer à la fois les agents et la population, et à montrer qu’il a pris le problème de sécurité à bras-le-corps? Linda Kebbab est quant à elle d’ores et déjà sceptique:

«Nous pensions que nous serions parties prenantes. En réalité, les grandes mesures seront votées par le Parlement.»

Et la policière de regretter l’absence d’expertise dans l’hémicycle: «le Livre blanc dépend de stratégies politiques, mais non des réalités du terrain».

Une tendance qui risque fort de s’aggraver avec la fermeture prévue cette année de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui produisait depuis 2003, indépendamment de la Place Beauvau, les chiffres de la criminalité et de la délinquance. «Qu’est-ce qui nous garantit une transparence à échéance? S’interroge Linda Kebbab: nous avions besoin de l’observation de l’ONDRP!» Sur quels chiffres l’exécutif pourra-t-il fonder les stratégies à venir?

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Le flou demeure et ne rassure personne, tant l’absence de direction qui peut s’avérer catastrophique au vu des circonstances:

«La société française connaît une montée de la violence, des tensions permanentes, un rien peut faire tout exploser, estime Linda Kebbab. Il y a une telle déconnexion du terrain… et cela n’est pas pris en compte.»
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