Trading à haute fréquence, risque maximum? «Il exacerbe la volatilité» selon Béchade

© AP Photo / Richard DrewA board above the trading floor of the New York Stock Exchange shows the closing number for the S&P 500 index Wednesday, Aug. 22, 2018. The current bull run on Wall Street became the longest in history on Wednesday at 3,453 days, beating the bull market of the 1990s that ended in the dot-com collapse in 2000
A board above the trading floor of the New York Stock Exchange shows the closing number for the S&P 500 index Wednesday, Aug. 22, 2018. The current bull run on Wall Street became the longest in history on Wednesday at 3,453 days, beating the bull market of the 1990s that ended in the dot-com collapse in 2000 - Sputnik Afrique
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Après des années de développement, le trading à haute fréquence inquiète de plus en plus. Ces algorithmes capables de passer des ordres boursiers à la milliseconde pourraient s’avérer dangereux dans un monde financier de plus en plus volatil. Philippe Béchade, président des Éconoclastes, nous livre son analyse.

Jordan Belfort ou Gordon Gekko auraient-ils réussi à faire fortune aujourd’hui? Les deux traders héros des films «Le loup de Wall Street» et «Wall Street» officiaient à une époque qui semble bien lointaine sur la planète finance. Si les opérateurs de marchés existent toujours, ce sont aujourd’hui de puissants ordinateurs aux algorithmes complexes qui effectuent la grande majorité des transactions à travers la planète, entre 80 et 90% selon les sources.

​Ce phénomène porte un nom: le trading à haute fréquence ou, dans la langue de Shakespeare, le «high frequency trading» (HFT). D’après le Café de la Bourse, cette évolution technologique permet de passer 21 millions d’ordres en moins de deux minutes. Vous avez bien lu, ces algorithmes opèrent à la milliseconde.

«De nos jours, 90% des transactions sont pilotées par des algorithmes pouvant opérer sur des marchés à une échelle de cinq millisecondes. Or, agir à l’échelle des millisecondes permet de réduire à un jour plus de quatre années d’activité de trading!», explique Olivier Bossard, directeur général du MSc Finance à HEC Paris au site Forbes.fr.

Une telle vitesse d’exécution interroge. Le 6 mai 2010, le HFT a été pointé du doigt comme étant responsable du «flash crash» qui a brutalement fait chuter l’indice Dow Jones Industrial Average, provoquant une volatilité globale d’environ 1.000 milliards de dollars. En novembre dernier, des automates de trading à haute fréquence opérant sur les marchés à terme à Chicago ont été épinglés par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), le régulateur des marchés à terme aux États-Unis. Ce dernier les a accusés d’être à l’origine de manipulations de cours qui ont occasionné des perturbations boursières. Récemment, l’Administration Trump, pourtant très pro-marchés, a visé le trading à haute fréquence comme le notent nos confrères des Échos:

«Les chiffres du chômage, qui ont une influence considérable sur les marchés financiers mondiaux, sont obtenus par les journalistes 30 minutes avant leur publication. À la fin de l’embargo, ils envoyaient leurs articles depuis une salle sécurisée du département du travail. Ils n’auront plus cette possibilité dès le 1er mars. Le département du travail estime que les traders quantitatifs, notamment les plus rapides, les traders haute fréquence (THF), étaient avantagés en recevant instantanément ces informations pour spéculer.»

En juin 2019, c’est la bourse allemande qui avait commencé à tester une limitation de vitesse pour le passement d’ordre sur la plateforme de produits dérivés Eurex. Elle souhaitait ainsi répondre à l’attitude qualifiée d’agressive de la part de traders à haute fréquence. Mais le HFT semble avoir encore de beaux jours devant lui, à en croire les récentes déclarations de Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie:

«Par ailleurs, une grande partie de l’activité sur les marchés financiers est improductive, voire néfaste. C’est le cas notamment du trading à haute fréquence, qui peut totalement désorganiser les marchés boursiers, comme en 2010, où des milliers de milliards de dollars ont été effacés de la bourse américaine en quelques minutes, sans que cela ne repose sur quoi que ce soit de concret… J’ai fait partie d’une commission constituée après ce flash crash, où j’ai proposé de mettre en place une règle simple pour enrayer ce phénomène, en fixant la durée minimale des ordres de bourse à dix millisecondes. On m’a alors répondu: “tu veux retourner à l’âge de pierre?”»

Alors que la finance mondiale doit composer avec un contexte propice à une grande volatilité, les incroyables capacités du trading à haute fréquence soulèvent des inquiétudes. Cette méthode boursière est-elle plus dangereuse que jamais? Pourrait-elle à l’origine d’un crash cataclysmique? Sputnik France a demandé à Philippe Béchade, président du think-tank des Éconoclastes, son avis sur la question.

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Sputnik France: Pensez-vous comme Joseph Stiglitz que le trading à haute fréquence soit néfaste?

Philippe Béchade: «Oui et non. Aujourd’hui, il apporte une liquidité. C’est d’ailleurs l’argument numéro un de ceux qui défendent le HFT. Et c’est incontestable. En revanche, le HFT apporte de la liquidité au HFT et pas réellement aux marchés. Il n’y a pas de vendeur final ni d’acheteur final. Nous assistons simplement à la multiplication de micro-écarts destinés à obtenir un rendement régulier sur les marchés. J’abonde dans le sens de Stiglitz, dans la mesure où le HFT exacerbe la volatilité et cela crée l’illusion d’un marché qui a une épaisseur, alors qu’il n’en a pas. Le principe du HFT fait que de nombreux lots à l’offre ou la demande n’existent en fait pas et disparaissent dès que vous rentrez vos ordres.»

Sputnik France: Nous sommes dans la déconnexion avec la réalité…

Philippe Béchade: «Nous nous trouvons face à un marché hologramme. Vous avez l’impression qu’il y a du volume, mais en fait il n’y a aucune consistance.»

Sputnik France: Est-ce que le HFT pourrait être à l’origine d’un immense krach boursier?

Philippe Béchade: «Le flash crash de 2010 avait tellement fait parler à l’époque, il avait tellement été commenté que les régulateurs se sont empressés de mettre en place des coupe-circuits qui empêcheraient le Dow Jones de perdre à nouveau 1.000 points, comme cela avait été le cas à l’époque. Aujourd’hui, on peut imaginer que s’il perd 500 ou 600 points, les passages d’ordre seraient ralentis. On pourrait même assister à une suspension des cotations. Je ne garantis pas que procéder de la sorte ne renforce pas davantage la panique sur le marché, car les opérateurs ne pourraient plus vendre et dans ce cas on pourrait très bien constater une nouvelle déferlante à la réouverture des cotations. Un scénario avec plusieurs blocages successifs est envisageable et il serait susceptible de déboucher sur un vent de panique. Il est toujours mauvais d’empêcher les opérateurs qui veulent sortir de liquider, surtout quand ils n’ont pas le choix. Vous avez des gens qui sont en levier et ils sont obligés de couper les positions pour couper les pertes. S’il n’y a plus de marché, c’est une catastrophe pour eux.»

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Sputnik France: Certains pays comme les États-Unis ou l’Allemagne commencent à s’en prendre au trading à haute fréquence, mais les tentatives d’endiguer le phénomène semblent timides. Ne peut-on plus faire machine arrière?

Philippe Béchade: «Non. Des questions avaient été soulevées après le flash crash de 2010. Mais derrière le HFT, se trouvent d’énormes intérêts financiers et une importante ingénierie. Des fonds d’investissement et des banques ont investi tellement d’argent dans ces technologies… Il n’est pas question de faire machine arrière. Les acteurs qui comptent ne le souhaitent pas. D’autant que pour un risque de flash-crash tous les dix ans, le quotidien est plutôt facile à gérer. Ils ne veulent pas prendre le risque d’avoir à tout revoir, notamment au niveau des algorithmes. Cela coûterait trop cher.»

Sputnik France: D’après vous, depuis la crise financière de 2008, la finance est-elle mieux régulée?

Philippe Béchade: «Elle l’est en apparence. Des règles prudentielles ont été créé, notamment Bâle III en Europe. Mais il faut savoir qu’énormément d’acteurs passent sous les radars. La supervision est assez efficace et dense pour de gros acteurs, mais beaucoup moins la multitude de petits acteurs qui jouent avec les effets de leviers et sont trop petits pour se faire repérer par les radars. Ceux-là ne sont quasiment pas touchés et ont presque carte blanche pour des prises de risque no-limit.»

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