F-35: «une fois de plus» la Pologne achète américain

© Photo Pixabay / skeezeF-35
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La Pologne passe commande à Lockheed Martin afin de remplacer ses anciens avions de combat par des F-35. Grâce à ce contrat, Varsovie troquera ses vieux appareils soviétiques contre un avion au prix prohibitif… et loin d’être fiable. Le général (2 S) de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset revient sur ce contrat et sur l’appareil de 5e génération.

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L’Europe de la Défense a une fois de plus du plomb dans l’aile et les Polonais sont à la manœuvre. Vendredi 31 janvier, Varsovie devrait formaliser une commande de 32 avions F-35A Lightning II à l’américain Lockheed Martin. Contre un chèque de 4,6 milliards d’euros, sans aucune compensation industrielle (offsets) pour la Pologne, le ministre de la Défense Mariusz Błaszczak, issu du parti conservateur et eurosceptique Droit et justice (PiS), entend ainsi remplacer à partir de 2024 les appareils soviétiques toujours en service dans les forces armées du pays. Il s’agit en l’occurrence des SU-22 d’attaque au sol et MiG-29 de supériorité aérienne. Le général (2 S) de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), est loin d’être surpris par le choix des autorités du pays.

«La Pologne a toujours acheté américain depuis l’écroulement du pacte de Varsovie, elle va sans doute continuer à le faire», pointe le général (2 S) de brigade aérienne au micro de Sputnik.

Rappelons en effet qu’en 2003, soit à un an de son adhésion à l’Union européenne, la Pologne avait déjà préféré les F-16 américains à ses rivaux français et suédois. Un contrat de 48 chasseurs et de plus de 12 milliards de dollars sur dix ans. Le général Brisset n’exclut pourtant pas qu’un jour la Pologne puisse se convertir au Made in Europe. Il évoque le cas hypothétique d’une offre «vraiment très commerciale» de constructeurs européens, ou celui «de créneaux où la France est à peu près la seule à fournir quelque chose» ou tout simplement «faute d’offre américaine concurrente».

D’ailleurs, comme le remarquent nos confrères de BFMTV, «le gouvernement américain a fait un gros effort financier» sur l’appel d’offres polonais en abaissant sa facture de 6,5 à 4,6 milliards de dollars. Un effort aussi du côté de Varsovie qui a dû, comme le souligne Les Échos, renoncer devant l’intransigeance américaine à intégrer la chaîne des fournisseurs du F-35. Certes, cela a fait baisser la facture d’un milliard, mais c’est autant d’activité de perdue pour l’économie polonaise. Dans le même ordre d’idées, Varsovie a renoncé aux Offsets qui permettent habituellement de faire passer la pilule de tels contrats pour réduire la note.

Pour autant, à 44.000 euros, le coût d’une heure de vol sur F-35 reste près de trois fois plus élevé que sur n’importe quel autre appareil actuel. Une heure sur Rafale, par exemple, ne revient «qu’à» 15.000 euros. Quoi qu’il en soit, son constructeur, le français Dassault, n’était pas en lice pour remporter cet appel d’offres. En effet, les Polonais avaient été très clairs sur le fait qu’ils recherchaient un avion de combat de 5e génération… ce qui limite grandement les choix, comme le souligne Jean-Vincent Brisset:

«À ma connaissance, sur le marché, il n’y a pas d’autre avion de combat de 5e génération puisque le F-22 américain n’est pas exporté et que l’éventuel concurrent que serait le PAF-FA russe n’est pas encore tout à fait sur le marché.» 

Bref, un appel d’offres sur mesure pour un nouvel achat d’armement aux États-Unis plutôt qu’en Europe.

«Un de plus après les achats d’hélicoptères, après les achats de missiles Patriot. Les Polonais ont décidé de faire de gros efforts sur le plan des achats d’armements, ils ont fait croire un moment aux Européens qu’ils allaient se diriger vers des achats européens –hélicoptères en particulier– puis, petit à petit, on a compris que la Pologne achèterait américain», analyse le général Brisset.

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Pour comprendre le propos du général d’aviation, un retour en arrière s’impose: en avril 2015 Airbus Helicopters (ex-Eurocopter) a remporté un appel d’offres en Pologne pour plus de 3,1 milliards d’euros. Un contrat qui portait sur la livraison de 50 hélicoptères de transport Caracal et qui avait alors été instrumentalisé par les autorités polonaises: Paris était sommé de choisir entre livrer ses bâtiments de projection et de commandement Mistral à la Russie ou livrer ses Caracal à la Pologne.

Mais à l’automne 2016, quelque mois après que Paris a rompu le contrat des Mistral avec Moscou, Antoni Macierewicz, le nouveau ministre polonais de la Défense, avait déchiré à son tour le contrat des Caracal avant de donner –sans appel d’offres– une partie du marché (21 Black Hawk) à Sikorsky, une filiale de l’américain… Lockheed Martin. Un camouflet qui avait jeté un froid dans les relations franco-polonaises, d’autant plus que dans la foulée de l’obtention du contrat des Caracal, Varsovie avait annoncé sa préférence pour les batteries antimissiles Patriot au détriment de Thales et MBDA. Tout ceci alors que la Pologne est le pays qui bénéficie le plus de l’aide européenne. En 2017, elle touchait 9 milliards d’euros nets de l’UE.

Si Varsovie n’a pas la reconnaissance du ventre, en a-t-il au moins pour son argent avec le fameux F-35? C’est loin d’être évident. Celui qui est présenté outre-Atlantique comme «le meilleur chasseur furtif multirôle» au monde reste bien loin de répondre à toutes les attentes. Jamais testé en situation de combat, hormis par les Israéliens en Syrie, sa furtivité serait remise en cause par les Européens… et les Russes, qui affirment que leurs radars anciens détectent sans problème les avions furtifs américains.

Sa furtivité loin d’être garantie, le F-35 offre-t-il au moins la polyvalence promise? Il «n’offrira pas aux Polonais des capacités complètes», doute le général Brisset, contestant sa dénomination d’appareil «multirôle»:

«Tout le monde ne le comprend pas, mais le F-35 n’est pas un intercepteur, par destination», souligne le général (2 S) de brigade aérienne.

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D’ailleurs, sans même le comparer au MiG-29, qu’il remplacera dans cette fonction de supériorité aérienne, le Lightning II a fait piètre figure face à un autre appareil développé dans les années 70, le chasseur multirôle F-16: lors d’une simulation de combat début 2015, un pilote de F-16 n’aurait fait qu’une bouchée du F-35.

Qualités aérodynamiques laissant à désirer, manque de tonus, si peu manœuvrable qu’il est quasiment incapable d’esquiver ou de cibler un appareil ennemi en combat rapproché, à la lumière du jugement porté par des pilotes de chasse américains eux-mêmes, «la fierté et la joie du ciel» des Américains semble n’être qu’un fer à repasser à 100 millions de dollars.

L’avionneur se défend en affirmant que l’appareil testé face au F-16 n’était en réalité qu’un démonstrateur destiné aux tests de «qualité de vol» et n’aurait rien à voir avec les appareils déployés aujourd’hui, relatait l’hebdomadaire économique Challenges, dans un article sur cette fâcheuse simulation. Autre contre-argument avancé par les officiels et hauts gradés américains: le F-35 est un avion de guerre du futur, de guerre numérique, en somme un supercalculateur bien trop à la pointe du progrès pour se laisser prendre dans de vulgaires combats rapprochés d’un autre siècle.

Une défense tous azimuts qui s’explique par les enjeux colossaux du programme Joint Strike Fighter. Le F-35 est en effet connu pour être le programme d’armement le plus cher de l’histoire militaire américaine, avec plus de 400 milliards de dollars investis. La firme américaine a d’ailleurs dû revoir à la baisse le prix de vente de ses appareils, après que Donald Trump avait dénoncé le coût «hors de contrôle» du programme.

Mais au-delà des questions bassement budgétaires, le F-35 représente pour Washington un véritable fil à la patte de ses alliés et donc un enjeu stratégique majeur. En effet, dès 2009, le Pentagone avait annoncé que les États-Unis seraient les seuls à avoir accès au code source contrôlant l’appareil, soulignant qu’aucun des huit autres pays ayant cofinancé le développement du F-35 (Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Turquie, Canada, Australie, Danemark et Norvège) ne l’obtiendrait, malgré leur demande. En mars 2006, le ministre de la Défense britannique avait fait savoir que, dans ces conditions, Londres pourrait quitter le programme.

Cela signifie en clair que chaque pays déployant le F-35 devra recevoir l’aval de la diplomatie américaine avant de l’employer sur un théâtre d’opérations, posant ainsi un sérieux problème d’indépendance stratégique… qui ne semble actuellement pas être le souci premier de Varsovie.

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