«Macron s’est lamentablement planté», la photo qui fait hurler policiers comme opposants

© REUTERS / GONZALO FUENTESFrench President Emmanuel Macron visits a workshop at the Orleans – Bricy Air Base 123 in Boulay-les-Barres near Orleans, France, January 16, 2020.
French President Emmanuel Macron visits a workshop at the Orleans – Bricy Air Base 123 in Boulay-les-Barres near Orleans, France, January 16, 2020.  - Sputnik Afrique
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Policiers et opposants sont en colère contre Emmanuel Macron. Ce dernier a été photographié lors du festival de la BD d'Angoulême tenant un t-shirt montrant un personnage éborgné accompagné de la mention «LBD 2020». La police y voit un geste de défiance quand le Gilet jaune François Boulo parle d’«indécence». Sputnik fait le point.

Premier chef de l’État depuis François Mitterrand à se rendre au célèbre festival de la BD d'Angoulême, Emmanuel Macron devait profiter de la journée du 30 janvier pour s’offrir un peu de répit. Il est en effet est aux prises avec une situation sociale tendue à l’extrême depuis des mois, la forte présence policière dans la ville lors de sa visite était là pour en témoigner.

​Pourtant, sa visite a jeté de l’huile sur le feu de la contestation. En cause une photo polémique. Emmanuel Macron a en effet reçu un cadeau un peu spécial de la part du dessinateur Jul, notamment auteur de «Silex and the city»: un t-shirt montrant un fauve (la récompense attribuées à Angoulême, Ndlr) éborgné accompagné de la mention «LBD 2020», référence au fameux lanceur de balles de défense (LBD), responsable de nombreuses mutilations de manifestants dans l’Hexagone depuis plus d’un an.

Une photo immortalisant le moment a été massivement diffusée sur les réseaux sociaux. Elle montre Jul et le Président de la République tout sourire tenant le fameux t-shirt. Et elle n’a pas tardé à déclencher une polémique encore vive ce 31 janvier.

Attaqué de toutes parts

Les opposants au Président dénoncent son attitude souriante alors qu’il tient un t-shirt dénonçant les violences policières. C’est la dénonciation de ces mêmes violences qui a également déclenché le courroux de nombreuses organisations syndicales de policiers. Emmanuel Macron s’est mis beaucoup de monde à dos dans cette affaire…

«Monsieur Macron est l’homme du "en même temps". Il a réussi à fâcher tout le monde. Il est dans un déni complet concernant le problème institutionnel de la police nationale dont fait partie l’encadrement de l’usage des LBD. Il n’y a toujours pas d’organisme externe qui le contrôle car c’est toujours le rôle de l’IGPN. Et Monsieur Macron va poser avec un t-shirt rappelant tous ces problèmes. À côté de cela, et malgré le fait que son ministre de l’Intérieur Christophe Castaner ait reconnu un problème de formation au niveau de l’usage des LBD, le budget formation de la police a baissé de plus d’un million d’euros en 2020. Il y a des constats mais aucune réaction au-delà de la communication et du brassage médiatique dont est coutumier Monsieur Macron», explique auprès de Sputnik Alexandre Langlois, secrétaire général de VIGI.

Plusieurs syndicats de policiers n’ont pas une position aussi mesurée que celle d’Alexandre Langlois. «Scandaleux» pour Yves Lefebvre, secrétaire général de l'Unité-SGP-FO. «Pire signal dans le contexte actuel de chaos», du côté du secrétaire général d'Alliance Fabien Vanhemelryck. Ce 31 janvier, Linda Kebab a fustigé le comportement d’Emmanuel Macron sur le plateau de BFMTV/RMC en exhibant notamment un t-shirt dénonçant les 59 suicides de policiers qui ont eu lieu en 2019, en hausse de 60% par rapport à 2018.

Une erreur pour Alexandre Langlois:

«C’est très maladroit. La question n’est pas de choisir ce qui est le plus grave. C’est honteux que des gens qui ne le méritaient pas aient été mutilés, comme il est honteux que rien de sérieux ne soit fait pour lutter contre les suicides au sein de la police. Opposer les malheurs est contre-productif. Cela ne fait qu’envenimer la situation. Ce qu’il faut, c’est résoudre l’encadrement de l’usage du LBD comme des réformes de fond dans l’institution policière qui permettront d’éviter les suicides. Peut-être qu’un jour ce Président, qui vient de lamentablement se planter dans sa com, aura le bon goût d’écouter tout le monde afin de trouver des solutions pour les policiers ainsi que pour la population, et le tout dans un cadre républicain qui doit caractériser la France.»

Le dessinateur Jul a assuré avoir eu «une longue conversation sur le sujet des violences policières» avec Emmanuel Macron. Ce dernier a d’ailleurs déclaré à la presse, à la suite de la prise du cliché, qu’il «récusait le terme de violences policières».

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Pas de quoi convaincre Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police – Policiers en colère qui s’est confié à Sputnik France:

«Le premier élément à retenir dans cette affaire est de voir le chef de l’État tout sourire lorsque Jul lui remet le t-shirt. Sur le fond de la polémique liée aux lanceurs de balles de défense, il faut rappeler que les fonctionnaires de police sont le dernier maillon de la chaîne dans l’usage de ces armes de force intermédiaire. Les véritables tireurs, les donneurs d’ordres restent le chef de l’Etat, son ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et les préfets. Je pense que Jul, en dénonçant les violences policières de cette manière, se trompe de combat. Si la justice estime qu’il y a violence, elle est du fait de l’État et non des fonctionnaires de police.»
© Sputnik . Bruno MartyViolences policières
«Macron s’est lamentablement planté», la photo qui fait hurler policiers comme opposants - Sputnik Afrique
Violences policières

Les opposants à Emmanuel Macron, en premier lieu desquels les Gilets jaunes, ont également fustigé l’attitude du Président de la République. Le sourire arboré par le locataire de la l’Élysée les choque particulièrement.

«Le voir poser avec ce t-shirt est indécent sachant que c’est son régime qui mutile et éborgne des manifestants depuis des mois. Il est d’autant plus indécent de le voir justifier cette photo par une défense de la liberté d’expression sachant que la loi AVIA pour la lutte contre la haine sur Internet s’apprête à être votée et qu’elle va davantage réduire la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. C’est le Macron qu’on connaît: brutal, hypocrite et cynique», explique à Sputnik France François Boulo, avocat et porte-parole des Gilets jaunes à Rouen.

Le cliché polémique a beaucoup fait réagir sur les réseaux sociaux. Olivier Berruyer, auteur du blog Les Crises, a également pointé le «cynisme» de l’affaire.

​Même son de cloche chez Michel Thooris:

«Je pense que rire de gens qui ont perdu un œil en imputant ce fait aux fonctionnaires de police est tout à fait gravissime, d’autant plus quand cela vient du chef de l’État. Il doit jouer l’apaisement dans la société française. En se faisant prendre en photo de la sorte, il continue de creuser le trou béant entre les forces de l’ordre et la population française.»

Jérôme Rodrigues, figure des Gilets jaunes ayant perdu l’usage d’un œil à la suite d’un tir de projectile qu’il attribue à la police lors de la manifestation des Gilets jaunes le 26 janvier à Paris, est en colère. Il s’est confié à Sputnik:

«Tout d’abord, je tiens à préciser que le soutien artistique reçu par un certain nombre de dessinateurs de BD est appréciable. Concernant la photo, ma première réaction a été de m’interroger sur son authenticité. J’ai demandé sur Twitter si ce cliché était sérieux au sens propre comme au figuré. Une fois la confirmation de la véracité de la photo obtenue est venue la colère. Je me suis dit que cet homme était totalement déconnecté de la réalité. Puis la colère noire… Cet homme est horrible. Il ne se rend pas compte des effets qu’ont eu cette photo et ce sourire narquois sur les personnes mutilées depuis des mois. J’ai eu des copains au téléphone, des gens au fond du trou psychologiquement, socialement et physiquement qui ont été terriblement heurté, comme s’ils avaient pris un second tir de LBD.»

Emmanuel Macron a justifié le cliché et s’est défendu de toute volonté de heurter qui que ce soit:

«Néanmoins, de là où je suis, je dois défendre la créativité, la liberté d'expression, y compris l'insolence et y compris la création d'artistes qui disent des choses [...] avec lesquelles je ne suis pas en accord.»

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Des explications qui n’ont pas convaincu, que ce soit du côté des forces de l’ordre ou des Gilets jaunes. «Nous sommes dans une constante depuis des décennies. Le personnel politique ne fait qu’instrumentaliser la police nationale. Cela a démarré avec Nicolas Sarkozy qui a utilisé le ministère de l’Intérieur afin d’accéder à l’Élysée. Puis Manuel Valls s’est servi de ce même ministère de l’Intérieur pour devenir Premier ministre. Aujourd’hui, le chef de l’État s’inscrit dans une continuité où on utilise la police nationale contre le peuple en colère pour préserver des intérêts et une stratégie politiques. D’un autre côté, afin de faire plaisir à une frange de l’opinion publique, on va dénoncer de prétendues violences policières. Notre syndicat a été parmi les premiers à dire qu’il était inadmissible que des Français qui viennent manifester dans la rue contre un projet politique rentrent chez eux avec un œil en moins. Dans le même temps, encore une fois, ces mutilations, que l’on peut apparenter à des blessures de guerres, sont le fait exclusif du gouvernement. C’est lui qui ordonné un usage aussi violent de la force contre les manifestants», analyse Michel Thooris.

​Jérôme Rodrigues préfère ironiser:

«Justifier cela par la défense de l’art et de la liberté d’expression… C’est à ne plus rien y comprendre quand l’on sait que la fresque militante d’un collectif de grapheurs que je connais a vu la figure qu’ils avaient peinte de Macron être repeinte dans la foulée… La défense de l’art oui. Mais pas quand on attaque Monsieur Macron.»
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