Psychose autour du coronavirus: «la peur panique, c’est ce qu’il y a de plus dangereux»

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L’épidémie de coronavirus est sur toutes les lèvres. Une toux et la personne est suspectée. Si l’impact sanitaire sur la Chine est indéniable, qu’en est-il au niveau mondial? Interrogé par Sputnik, le Professeur Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée Infection de Marseille, relativise la psychose qui s’empare de la France.

Depuis décembre 2019, le monde a les yeux rivés sur la Chine et sur l’étrange virus qui frappe le pays… et bien au delà. Le coronavirus, dénommé 2019 –nCoV, a infecté au total plus de 9.000 personnes et causé 213 décès, exclusivement en Chine, au 31 janvier 2020. La ville de Wuhan, épicentre de l’épidémie, est déserte, les habitants sont confinés chez eux et la ville s’attelle à la construction de deux hôpitaux pour accueillir les malades. La récente identification du coronavirus chinois interpelle la scène internationale, qui met en place des systèmes de protection: contrôles dans les aéroports plus poussés, compagnies aériennes qui suspendent leurs vols vers la Chine, frontières fermées. Jeudi, après la seconde réunion d’urgence de son comité, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a finalement décrété une urgence de santé publique de portée internationale. Le virus inquiète, peut-être même à l’excès.

Alors qu’en Chine, le coronavirus a déjà causé de nombreux morts, le vent de panique qui souffle sur le monde –et notamment en France– à des allures de déjà vu et tourne à la psychose: des appels irrationnels au SAMU, des comportements qui tendent au racisme que dénoncent des personnes d’origine asiatique sur les réseaux sous le #Jenesuispasunvirus.

Une potentielle psychose qui n’est pas sans rappeler la crise de la vache folle. En 1999, La Dépêche titrait: «La vache folle va faire des millions de morts!». Et si la vache folle a provoqué une crise sociale et économique, ce sont finalement environ 200 personnes qui succombé à la maladie, dont 26 Français. Est-on en train de revivre une situation similaire avec le coronavirus?

Pour Sputnik, le Professeur Didier Raoult, qui dirige l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection, chercheur biologiste spécialisé dans le domaine des maladies infectieuses, fait le point.

Sputnik France: Le coronavirus 2019 –nCoV inquiète, en quoi est-il différent des autres coronavirus?

Pr Didier Raoult: «Il y a de multiples espèces de coronavirus. Pour le moment, il y en a six, dont on a démontré qu’elles pouvaient infecter les hommes, quatre répandus dans le monde entier qui peuvent provoquer jusqu’à 1/3 des infections saisonnières, en particulier à la fin de l’hiver et jusqu’au début du printemps. C’est donc extrêmement commun. Et puis il y a eu deux poussées d’infections au coronavirus qui ne se sont pas mondialisées: celle du SRAS d’une part et d’autre part, celle du MERS, qui sévit en Arabie saoudite. Le 2019 –nCoV est une nouvelle espèce de coronavirus– qui est une très large famille– qui a été identifié récemment, mais ça ne veut pas dire qu’il n’existait pas avant.

C’est très vraisemblable que le virus vienne d’un animal. Un grand réservoir animal que l’on découvre de plus en plus, ce sont les chauves-souris, vu qu’elles vivent dans des collectivités très larges, de plusieurs dizaines de milliers d’animaux. Il y a donc beaucoup de maladies transmissibles, en particulier d’infections virales que l’on identifie et qui deviennent une source d’infection chez l’homme.»

Sputnik France: En Chine, le nombre de cas continue de grimper, est-ce qu’on doit le craindre à l’échelle mondiale?

Pr Didier Raoult: «Je ne fais jamais de prédictions, je ne suis pas devin, mais on en trouve d’autant plus parce que l’on en teste plus. On sait maintenant qu’il y a des cas asymptomatiques et des cas avec des gens qui ne sont pas malades du tout, mais qui sont porteurs, donc le nombre de virus détectés ne va pas arrêter d’augmenter. Nous avons aussi testé plus de 500 personnes et nous n’avons trouvé aucun positif. On trouvera de plus en plus de cas positifs, jusqu’au moment où cela va se stabiliser.

Compte tenu de ce que l’on fait, nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour savoir si c’est extrêmement contagieux ou pas, mais ça n’a pas l’air d’être plus grave que les autres infections virales respiratoires. Dans les coronavirus, on a une mortalité qui est de l’ordre de 2% chez les gens diagnostiqués à l’hôpital, qui n’est pas différente de celle que l’on voit chez le coronavirus chinois: on n’a pas l’impression que c’est une maladie qui est extrêmement mortelle. Quant à sa fréquence et la manière dont elle se répand, c’est encore extrêmement mystérieux, donc on ne peut pas deviner à l’avance.»

© Sputnik . Bruno MartyCoronavirus : la psychose s'installe
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Coronavirus : la psychose s'installe

Sputnik France: L’isolement est-il une mesure suffisante pour retenir le virus?

Pr Didier Raoult: «Je ne suis pas sûr que les mesures d’isolement aient jamais marché dans l’histoire de l’humanité. Nous, à Marseille, nous avons été pionniers, si j’ose dire, puisque les trois premiers lazarets, les structures d’isolement en quarantaine des gens qui étaient malades et qui arrivaient par bateau, ça a été Venise, Gênes et Marseille et elles n’ont pas empêché les épidémies de peste et de choléra de se développer. La quarantaine, ça paraît avoir un sens virtuel, mais en pratique, il y a un tas de gens qui y échappent, les microbes aussi. Par exemple, le SRAS, c’était très compliqué, on a vu des gens contaminés qui habitaient à 100 mètres de l’hôtel à partir duquel les choses s’étaient diffusées, donc on n’a jamais compris comment ils ont été contaminés. Même si on avait fermé l’hôtel, je ne sais pas ce qui se serait passé. Ce n’est pas si simple.

La quarantaine, c’est préférable quand il y a quelques personnes malades, pour éviter que ça ne se diffuse, mais à partir du moment où l’on parle de populations entières, je ne crois pas que scientifiquement, ce soit efficace. C’est sans doute plus efficace pour éviter l’affolement de la population: si on n’isolait pas les gens, il y aurait peut-être des lynchages, parce que les gens auraient peur et la peur panique, c’est ce qu’il y a de plus dangereux.»

Sputnik France: Si on le compare avec la grippe, la rougeole ou encore Ebola, qui sont des virus qui tuent encore aujourd’hui et qui sont pourtant passés sous silence, pourquoi le traitement médiatique est-il aussi conséquent sur le coronavirus? Est-ce que l’on peut parler de psychose?

Pr Didier Raoult: «Ce n’est pas nouveau, je ne sais pas pourquoi les humains –et notre société en particulier– sont tellement réceptifs aux risques nouveaux. Vu qu’il y a une diffusion de l’information et une volatilité de l’information considérable, les réactions sont de plus en plus vives. Et ça a toujours été le cas depuis que je m’intéresse aux maladies infectieuses. Avec la maladie de la vache folle par exemple, franchement en France ça n’a pas touché grand monde. Ensuite, le SRAS, avec un cas importé en France, a engendré un drame mondial, mais il y a eu 800 morts en tout.

Il faut savoir qu’il y a 56 millions de morts par an dans le monde dont 2,5 millions qui meurent de pneumonie. De même pour la grippe aviaire, pour laquelle les cas humains sont rarissimes: il n’y en a pas eu en France ni en Europe de l’Ouest; la deuxième grippe aviaire non plus, le MERS, il y a eu un cas importé. À chaque fois, ça fait des drames. Ebola, c’est pareil, ça va rester limité en Afrique, parce que la contagiosité est très faible. Si vous voulez, pourquoi est-ce que les films d’horreur ont tant de succès? Ce qui inquiète, c’est ce qui intéresse les gens, c’est plus de la sociologie que de la science biologique.»

«Il faut tout de même dire que les gens psychotent énormément, il faut se rappeler que ce sont des personnes âgées, des gens déjà malades qui ont succombé au virus», témoigne Jonathan, un habitant français de Wuhan à Vice France.

Dans le Parisien, Jean-Claude Manuguerra, responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence à l’institut Pasteur, confirme ce témoignage et note «la prévalence de patients âgés, souffrant de comorbidités [soit la présence parallèle d’autres pathologies, ndlr] ou plus jeunes, mais malades, immunodéprimés». 

En Chine, officiellement, 181 personnes ont guéri de la maladie, selon la base médicale Dīng Xiāng Yuán. Un nombre qui reste bien loin des milliers d’infectés, mais qui se veut rassurant. Les personnes soignées ont tenu à saluer les dispositifs d’urgence mis en place à Wuhan.

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