Dina Rubina: «Mon destin peut être décrit en un mot: l'écriture»

© Photo Archive personnel Dina RubinaL'écrivain russe Dina Rubina dans un studio d'enregistrement
L'écrivain russe Dina Rubina dans un studio d'enregistrement - Sputnik Afrique
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Dina Rubina vend des millions d’exemplaires de ses livres en France et dans le monde. Russe émigrée en Israël, elle est venue en France à l’occasion des Journées du livre russe et des littératures russophones 2020. Cet auteur prolifique et Envoûtante s’est confié en exclusivité à Sputnik.

Tous les ans, le temps d’un week-end, la mairie du Ve arrondissement de Paris devient russophone. Depuis onze ans, l’association France Oural y organise les Journées du livre russe et des littératures russophones, associées cette année aux Saisons russes en France 2020. On y trouve aussi bien des Français –Parisiens et Franciliens– que des Russes, émigrés de différentes vagues et de différentes générations.

Dina Rubina, qui habite désormais en Israël, est l’une des auteurs les plus populaires de l’actuelle génération d’écrivains russes et bien connue des lecteurs français. La main de Léonard, La Colombe blanche de Cordoue ou Du côté ensoleillé de la rue… chacun de ses romans est un événement attendu par des millions de lecteurs. Interview exclusive de Sputnik.

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L’Oiseau de feu des «Saisons russes 2020» fait son nid en France
Sputnik France: Marguerite Yourcenar disait: «Je crois qu’il faut presque toujours un coup de folie pour bâtir un destin.» Avez-vous eu un tel acte de folie? Quel est votre destin?

Dina Rubina: «Ma vie n’est qu’un enchaînement de tels actes. Et le plus important a été un “saut dans l’émigration”, où j’ai puisé une multitude de thèmes pour mes livres, où j’ai trouvé une foule babylonienne de visages et de personnages, où j’ai subi de nombreuses épreuves. Ainsi, du point de vue de l’écrivain, j’ai gagné sur tous les tableaux.

Mon destin se résume en un mot: l’écriture. Mon métier, mon mode de vie, mon attitude à l’égard des gens, mes pensées et mes sentiments, tout cela est l’écriture. C’est ce que je fais depuis cinquante ans.»

Sputnik France: L’art sans message est comme une enveloppe vide, sans lettre. Quel est votre message?

Dina Rubina: «L’art, c’est juste de l’art. Quel message lisez-vous dans l’étonnant chrysanthème dessiné par un ancien maître japonais? Dans ce cas précis, l’art emplit notre vision de beauté, et cela nous suffit.

N’attribuez pas à l’art de responsabilité journalistique ou pire, philosophique. L’art fait quelque chose de totalement différent: il crée des mondes magiques. De plus, chaque livre d’un écrivain sérieux est rempli d’un accord [harmonique, ndlr], de pensées et de sentiments, chaque livre représente un jardin de visions et d’images, c’est-à-dire un ensemble de “messages”. L’écrivain n’est pas le prédicateur d’une secte qui diffuse sa misérable croyance unique. Le message de chaque livre peut changer toutes les quatre-vingts pages, selon le caractère des personnages, selon l’intrigue et l’histoire.»

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Sputnik France: Vous connaissez le musée du peintre russe Vassily Polenov, nommé par ses contemporains «le plus européen des peintres ambulants». Quel peintre aimez-vous? Quelle expérience, imagée ou poétique, de la peinture est importante pour vous en littérature?

Dina Rubina: «Oh, c’est une merveilleuse et riche question! Je suis la fille d’un peintre et la femme d’un peintre. Toute ma vie se passe parmi les peintures, les peintres, les musées... C’est même difficile pour moi de dire quel peintre j’aime le plus car au musée du Prado, je me précipite vers Velázquez et Goya, dans la Galerie Tretiakov ou au Musée russe, je suis attirée par les artistes russes du XIXe siècle (j’aime beaucoup Polenov que vous avez cité). L’univers de la peinture est comme un océan: pour moi, les images picturales, la composante stylistique des différents artistes sont très importantes. Dans mes livres, ils apparaissent sous différents angles, c’est difficile même de les citer, dans presque tous mes romans, on retrouve une multitude d’images inspirées de la peinture.»

Sputnik France: Y a-t-il des endroits en Europe où vous aimez revenir?

Dina Rubina: «Comme disait l’un des personnages des romans d’Ilf et Pétrov: “Toujours!”. Toujours, en Italie, toujours, à Amsterdam, toujours, à Prague et en général, en Bohême, toujours. Ces derniers temps, toujours au Portugal.»

Sputnik France: L’Italie, par exemple, apparaît souvent dans vos œuvres... Comment composez-vous ces caractères nationaux?

Dina Rubina: «C’est tout simplement mon sujet préféré. Un trait de caractère national, de n’importe quelle nation, est l’un des trésors les plus précieux de l’humanité. D’une humanité si variée, mais si identique dans les profondeurs de sa nature. Pourtant, les gens sont différents quand ils aiment, haïssent, sont jaloux, divinisent l’amour... Une personne naît et meurt, comme toute créature vivante, mais entre ces deux événements s’étend une vie entière. Une vie, constellée de signes, d’habitudes et des résignations, que l’on appelle le caractère national.»

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Sputnik France: Aimez-vous les films d’Hitchcock? Qui pourriez-vous désigner comme maître dans la «création de l’intrigue»?

Dina Rubina: «Je respecte Hitchcock, j’aime certains de ses films, d’autres me laissent indifférente. Je ne porte aucune attention particulière à la “création de l’intrigue”. L’intrigue n’est qu’un support pour révéler les thèmes et les caractères des personnages.

Une intrigue bien ficelée est une trame pour dire au lecteur ce que l’écrivain pense nécessaire de dire. Ni Dickens, ni Tchekhov, ni Dostoïevski, ni beaucoup d’autres écrivains brillants d’époques différentes ne dédaignaient de bien construire leurs intrigues. Alexandre Pouchkine, soit dit en passant, a également prêté une grande attention à l’intrigue. Relisez La Tempête de neige ou Le Maître de poste... C’est sans parler d’écrivains aussi merveilleux que O. Henry, Jerome K. Jerome... Je n’aime pas quand une intrigue construite et captivante est appelée “bien ficelée”. Il s’agit seulement de savoir bien raconter une histoire, un talent devenu assez rare dans la littérature moderne.»

Sputnik France: En face de la mairie du Ve se trouve le Panthéon. Jusque récemment, on n’y trouvait comme femmes que Marie Curie et quelques épouses de politiciens. La France s’est engagée à «équilibrer» la situation, on y a déplacé la dépouille d’autres femmes célèbres. On demande le respect de la parité jusqu’aux listes des candidats aux élections ou aux émissions sportives à la télévision... Que pensez-vous de «l’obligation» en matière d’égalité hommes-femmes?

Dina Rubina: «Je n’aime pas les mouvements sociétaux, ils sont toujours accompagnés par une nuée d’adeptes idiots. Je n’aime pas non plus les concepts politiques et les “normes généralement acceptées”. Je suis un écrivain, un être indépendant. Bien sûr, c’est bien que les femmes soient autorisées à exercer diverses activités en France (vous saviez, bien sûr, que Marie Curie elle-même n’était pas acceptée à l’Académie française des sciences, alors que son mari était académicien?). C’est bien qu’à Cambridge, presqu'à la fin du XXe siècle (!!!) on a commencé à accepter les femmes. Mais le capharnaüm actuel autour du sujet, comme toute chose artificielle et médiocre, ne m’inspire pas non plus.»

Sputnik France: Notre vraie vie est souvent dure avec nos rêves. Avez-vous des rêves?

Dina Rubina: «Bien sûr. Mais vous ne pensez quand même pas que je vais commencer à les exposer publiquement?»

Sputnik France: Avez-vous une histoire personnelle qui mue en roman en ce moment même? Où cela vous est-il arrivé? Pouvez-vous me dire par quoi elle vous a frappée?

Dina Rubina: «J’en ai une, bien sûr. Mais comme je suis superstitieuse –et l’une des règles les plus strictes pour un écrivain est de ne pas rendre publics des sujets inachevées–, je le cacherai, tout comme je cache mes rêves. Dans ce domaine, je suis très secrète.»

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