Municipales: «Pour LREM, la défaite sera probablement assez sévère»

© Sputnik . Alexei Nikolsky / Accéder à la base multimédiaEmmanuel Macron
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La majorité s'apprête à affronter des élections municipales compliquées. Entre couacs, mauvais sondages, campagne difficile et tensions sociales, plusieurs observateurs de la vie politique prévoient une déroute électorale pour LREM. C'est notamment le cas du politologue Frédéric Saint-Clair qui livre son analyse à Sputnik France.

La République en marche (LREM), parti de la majorité, s'apprête-t-il à vivre la plus grave crise de sa courte histoire? Il semble que le passage au révélateur des élections municipales ne se fera pas sans accrocs. Les différents courants formant le parti lancé par Emmanuel Macron se déchirent sur la marche à suivre dans plusieurs villes. C'est notamment le cas à Paris où, après les déboires de l'ex-candidat LREM Benjamin Griveaux, la candidate Les Républicains (LR) Rachida Dati est passée en première position des intentions de vote (25%) selon un sondage Harris Interactive-Epoka diffusé le mardi 3 mars 2020. L'ancienne garde des Sceaux devance la maire sortante Anne Hidalgo (24%) et... Agnès Buzyn, remplaçante de Benjamin Griveaux, qui est distancée avec 17 % des intentions de vote.

​Certains cadres de LREM n'hésitent plus à envisager un front anti-Hidalgo. Une manœuvre qui nécessiterait une alliance avec Rachida Dati. Pas question, pour un député marcheur issu du Parti socialiste (PS) et cité par l'AFP:

«Moi, jamais on ne me fera voter Dati. Et si c'est ça, je pars.»

Dans bien d'autres villes, la situation semble compromise pour les candidats LREM. «Si Édouard Philippe est en position incertaine, bien d’autres candidats de la majorité présidentielle sont, eux, en situation critique. Les dernières heures de campagne pourraient donc s’apparenter pour LREM à un chemin de croix. Les sondages sont mauvais en de nombreux endroits: 13% d’intentions de vote à Perpignan, 11% à Bordeaux et Metz, 8% à Marseille et Montpellier, 6% à Dijon, 4% à Saint-Etienne…», notent nos confrères de Ouest-France.

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D'après un responsable LREM, le mouvement présidentiel s'apprête à vivre «peut-être la crise la plus grave de son existence», à l'occasion de ces municipales. Un scrutin qui interviendra les 15 et 22 mars, moins d'un mois après l'utilisation controversé, le 29 février dernier par le Premier ministre Edouard Philippe, de l'article 49-3 de la Constitution pour faire passer en force la réforme des retraites. Un geste qui a entraîné un regain de tension sociale dans le pays et au sein de la majorité qui a dû composer avec plusieurs défections et une aile gauche furibonde.
Un ministre du gouvernement qui s'est confié à l'AFP résume les tensions à venir au sein de la majorité:

«Les députés diront que les municipales, ce sera la faute du Premier ministre car il est trop à droite; la faute de Gilles Le Gendre –patron des députés LREM– car il n'a pas d'autorité; et la faute de Guerini car il dirige mal le parti.»

Sputnik France a demandé au politologue Frédéric Saint-Clair de nous livrer son analyse concernant cette débâcle annoncée. Entretien.

Sputnik France: Plusieurs observateurs de la vie politique prédisent une défaite électorale pour LREM aux élections municipales, est-ce votre cas?

Frédéric Saint Clair: «Oui je me joins à eux. Je pense qu'ils n'ont pas les structures partisanes adaptées pour, en l'espace de deux ans, s'être ancrés profondément dans le pays. Et manifestement, les résultats obtenus par le gouvernement n'ont pas été suffisamment probants pour que le siphonage qu'a effectué Emmanuel Macron à l'intérieur de l'UMP afin de ramener à lui une partie des cadres de la droite ait fonctionné à l'identique au niveau local. Un certain nombre de maires n'ont pas choisi de s'étiqueter LREM. Manifestement, ce manque de réussite a refroidi au niveau local. Tout cela laisse à penser que la défaite sera probablement assez sévère.» 

Sputnik France: Qui profiterait le plus d'une défaite de la majorité?

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Frédéric Saint Clair: «Je ne suis pas certain que les partis en profitent tant que cela pour une raison assez simple: les Français sont très attachés à leurs maires indépendamment des étiquettes politiques. La déconnexion n'est pas totale mais quand bien même au niveau national LR ferait un bon score, ce qui est probable contrairement à ce qu'on leur avait promis aux élections européennes et le désastre Bellamy, il n'est pas certain que le parti puisse se relever grâce à ce type de victoire. En revanche, on pourrait retrouver une forme de dialogue droite-gauche qui semblait appartenir à l'ancien monde. Quand je dis droite, je pense à LR et RN et quand je dis gauche je pense au PS, à LFI, au PC, etc... En d'autres termes: l'ancien clivage droite-gauche.»

Sputnik France: Pensez-vous qu'avec l'utilisation du 49-3 pour faire passer en force la réforme des retraites, l'exécutif se soit tiré une balle dans le pied?

Frédéric Saint Clair: «Je l'ai beaucoup entendu mais je suis loin d'en être certain. Je pense que les Français sont très préoccupés par l'épidémie de coronavirus et que le recours au 49-3 est passé un peu sous les radars. Il ne me semble pas que le fait de clore ce débat polémique, de sortir de l'obstruction parlementaire constatée par les Français d'une manière ou d'une autre, notamment pour libérer du temps afin de se concentrer sur cette crise sanitaire, soit jugé si sévèrement que cela par les citoyens. En revanche, si l'épidémie de coronavirus se règle plus rapidement que prévu, si d'ici à l'été les Français peuvent retrouver une visibilité politique, il est possible qu'ils reprochent rétroactivement à l'exécutif de l'avoir utilisé et d'avoir torpillé le débat au lieu de le laisser se poursuivre alors même que les sondages montraient que les Français étaient contre la réforme des retraites. Mais dans le même temps, si l'épidémie de coronavirus s'amplifie et entraîne une mise sous cloche du pays pendant six ou sept mois, les Français pourraient justifier le recours au 49-3 au regard de l'ampleur de la crise sanitaire.»

Sputnik France: Une défaite d'ampleur pourrait-elle donner des armes à l'aile gauche de LREM afin d'infléchir la politique promue notamment par le Premier ministre Edouard Philippe?

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Frédéric Saint Clair: «Selon moi, quoi qu'il arrive, plus le temps passera et plus l'aile gauche de LREM aura tendance à se réveiller. Et ce pour une raison très simple liée à l'élection présidentielle de 2022 qui sera suivie des législatives. Il y a un vrai problème au sein de la macronie. Ils ont voulu faire émerger en provenance de la société civile et des anciens partis des personnalités pour les emmener dans un mouvement nouveau. Mais celui-ci peine, voire échoue, à imprimer une marque nouvelle. En réalité, l'on se rend bien compte que les clivages qui traversent LREM sont toujours les mêmes. Vous avez une politique jugée trop à droite par beaucoup de Français. Reste que le parti de la majorité ne peut nier qu'aujourd'hui, son électorat se trouve principalement à droite. Ce qui veut dire que depuis 2017, la partie de la gauche qui a été absorbée par LREM, je pense notamment aux strauss-kahniens et aux rocardiens, se voit de plus en plus spoliée. Et elle le sera davantage. Si LREM veut avoir des chances de reproduire la réussite de 2017 en 2022 et garder Emmanuel Macron en selle pour une possible réélection, le parti devra forcément compter sur l'électorat de droite. Un tel contexte ne fera que frustrer davantage l'aile gauche de LREM.»

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Frédéric Saint Clair: «La question demeure: "Pourquoi ne se sont-ils pas réveillés avant?" En janvier 2019, je prédisais déjà une fracturation du socle parlementaire d'Emmanuel Macron. Je pensais que les frondeurs du type de ceux que l'on avait vu surgir sous Hollande, se manifesteraient de la même façon sous Emmanuel Macron en disant: "Maintenant, cela suffit avec cette politique de droite." Car c'est bien de cela qu'il s'agit, d'une politique de type UDF, c'est-à-dire de libéralisme modéré. Je pense qu'Emmanuel Macron penche à droite par opportunisme car il sent que la réserve de voix est là. Aujourd'hui, il est clairement un Président de droite, un Juppé bis. Les membres de l'aile gauche de LREM auraient pu dire: "Ce n'était pas le contrat de départ, maintenant c'est terminé. Nous n'adhérons plus et nous nous en allons." Je pensais que cela se produirait massivement et force est de constater que j'ai dû faire mon mea-culpa. Or, nous n'avons assisté qu'à des départs au compte-gouttes comme l'on a encore pu le constater après l'utilisation du 49-3. Jusqu'à quand vont-ils accepter d'être malmenés?»

Sputnik France: Que se passera-t-il chez LREM en cas de défaite aux élections municipales?

Frédéric Saint-Clair: «À partir du moment où il y a défaite, il y a réflexion, voire remaniement. Même si Emmanuel Macron a déjà commencé à expliquer qu’un désaveu au niveau local n'aurait pas d'impact au niveau national, LREM sera obligé de tenir compte d'une défaite aux municipales. L'interrogation majeure chez LREM sera donc: "Continuons-nous avec Édouard Philippe et cette politique de droite ou rééquilibrons-nous?"»

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