«Il y a une réelle régression des libertés civiques au Sénégal», selon Seydi Gassama

© AFP 2023 SEYLLOUInterpellation de Guy Marius Sagna lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, le 4 mai 2019.
Interpellation de Guy Marius Sagna lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, le 4 mai 2019. - Sputnik Afrique
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Après la libération, le mardi 3 mars dernier, de Guy Marius Sagna et l’expulsion, le 24 février, de Kémi Seba, Sputnik France a demandé à Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International à Dakar, de commenter ces deux affaires. Pour le militant des droits humains, il s’agit d’une réelle «régression» des libertés civiques au Sénégal.
«Depuis l’arrivée de Macky Sall à la tête du pays, on constate une nette régression des libertés individuelles. C’est une grave déception car ce Président, qui avait été élu en 2012 pour faire avancer le pays, fait pire qu’Abdou Diouf», a affirmé à Sputnik Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International Sénégal.

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Interrogé par téléphone depuis Dakar après la libération de Guy Marius Sagna le 3 mars dernier, le directeur exécutif d’Amnesty International à Dakar se réjouit que l’incarcération «abusive», selon lui, de l’activiste sénégalais ait finalement pris fin «après 90 jours de détention dans un quasi-isolement et sans que ses amis puissent lui rendre visite», a-t-il déploré.

Pour avoir été la seule organisation des droits de l’Homme autorisée à lui rendre visite dans le quartier de haute sécurité de la prison du Camp pénal où il était détenu, à l’écart de tous les autres, Seydi Gassama ne décolère pas à l’égard de cette sévérité, qu’il juge excessive, des autorités sénégalaises.

«Guy Marius Sagna est resté 90 jours derrière les barreaux dans une prison de haute sécurité. Il a été traité comme un dangereux criminel pour avoir simplement exercé son droit à la liberté de réunion pacifique. Il a été incarcéré, de surcroît,  sur la base d’un arrêté liberticide remontant à 2011, l’arrêté Ousmane Ngom, que Macky Sall a maintenu», s’est-il insurgé au micro de Sputnik France.

Le combat de Guy Marius Sagna

Habitué des diverses formes de protestation contre «l’impérialisme et la mauvaise gouvernance politique et économique» pour lesquelles il a souvent été inquiété ces dernières années, Guy Marius Sagan venait d’être propulsé à la tête de son mouvement, le Front pour une Révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP), en tant que son coordonnateur, à la veille de son arrestation, le 29 novembre 2019. Il avait été interpellé avec huit autres personnes devant les grilles du palais présidentiel alors qu’il participait à une manifestation pacifique dans le centre-ville de Dakar pour protester contre l’augmentation des tarifs d’électricité.

Inculpés de «participation à un rassemblement non autorisé», puisque la manifestation tombait sous le coup du fameux arrêté Ousmane Ngom de 2011, les huit autres militants du FRAPP avaient fini par être remis en liberté sous caution entre le 4 décembre 2019 et le 21 janvier 2020. Mais, lui, après avoir été inculpé pour «provocation à un attroupement non autorisé» et «rébellion», s’est vu refusé à trois reprises les demandes de libération sous caution présentées par son avocat.

«En le traitant de façon aussi draconienne, les autorités sénégalaises ont voulu porter atteinte à son moral. Mais la vraie raison de l’arrestation et de la détention de Guy Marius Sagna, c’est son combat au sein du FRAPP pour la transparence dans les ressources naturelles et les contrats pétroliers qui inquiète le pouvoir, surtout après le documentaire de la BBC», estime pour sa part Seydi Gassama.

Selon le directeur exécutif d’Amnesty International, le fait que le militant anticorruption se retrouve à manifester devant le palais présidentiel était du «pain bénit» pour les autorités sénégalaises. Sauf qu’elles ne s’attendaient pas à ce que, pendant son incarcération, «1.233 lettres et pétitions soient envoyées de partout dans le pays et par des personnes de tous les âges pour réclamer sa libération», révèle-t-il.

L’expulsion de Kémi Séba

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Si Guy Marius Sagna doit sa libération à un très fort soutien des Sénégalais, y compris aux Sénégalais de l’extérieur «qui n’ont cessé d’interpeller le Président Macky Sall sur son cas à chacun de ses déplacements à l’étranger», comme le rappelle Seydi Gassama, il n’en a pas été de même pour l’expulsion de Kémi Séba, le 24 février dernier.

Le militant anti-CFA, président de l’ONG Urgences panafricanistes, n’a même pas eu le temps de franchir le portique de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD) qu’il était interpellé, gardé à vue «30 heures sans manger» dans la zone de transit, avant d’être réexpédié vers la Belgique. Lors de l’entretien qu’il a accordé à Sputnik France, le 3 mars dernier, Kémi Séba a confié qu’il avait été «frappé» par les policiers sénégalais pendant sa détention dans la zone de transit. Pourtant, son avocat, Me Khoureyssi Ba –qui est aussi l’avocat de Guy Marius Sagna–, avait obtenu une dérogation de la cour d’appel pour qu’il puisse revenir au Sénégal afin d’assister à son procès. Il avait été expulsé en 2017 pour avoir brûlé un billet de 5.000 francs CFA.

«L’expulsion de Kémi Séba a suscité beaucoup d’indignation sur les réseaux sociaux, mais elle n’a pas drainé autant de soutiens que pour Guy Marius Sagna, pour lequel la mobilisation a été très forte. C’est sans doute parce que le capital de sympathie dont jouit le militant anti-CFA parmi les jeunes Sénégalais n’est pas partagé par l’ensemble de la population. Le mouvement ‘France dégage’, qu’il a inspiré, réunit surtout de jeunes intellectuels et des étudiants», commente Seydi Gassama       .

«Laissons la France en dehors!»

Pour lui, «il est temps que ce cirque s’arrête!» et que les poursuites dont fait l’objet Kémi Séba soient purement et simplement arrêtées. D’autant que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui s’était constituée partie civile lors du procès intenté contre Kémi Séba en 2017, a retiré sa plainte entre-temps. 

«Le renvoi du procès en appel au 27 avril n’a pas lieu d’être. Il serait mieux que cette affaire soir classée une fois pour toutes. Le parquet devrait purement et simplement abandonner les poursuites. Kémi Séba ne reviendra pas au Sénégal et l’État sénégalais ne veut pas de ce procès. Donc, arrêtons ce cirque!», conclut Seydi Gassama.

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Vilipendé par les militants anti-CFA, le système de la Françafrique est régulièrement pointé du doigt comme étant prédateur et responsable de la corruption et du délitement des États de la zone franc. Pour faire face aux dérives liberticides du pouvoir actuel au Sénégal, Seydi Gassama préconise plutôt, en ce qui le concerne, un renforcement du dialogue politique avec l’opposition ainsi qu’une mobilisation encore plus grande de la société civile.

«Laissons la France en dehors de tout cela. Elle n’a rien à voir dans cette affaire!», lance-t-il. Très embarrassées par toutes ces affaires, les autorités françaises auraient d’ailleurs clairement manifesté leur intention d’être «tenues à distance», de même que la diplomatie américaine qui, elle aussi, a préféré rester très discrète, confie encore Seydi Gassama.

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