Le coronavirus aura-t-il raison du baisemain royal au Maroc?

© AFP 2023 ABDELHAK SENNALe roi du Maroc Mohammed VI tend sa main à baiser au général Housni Ben Slimane.
Le roi du Maroc Mohammed VI tend sa main à baiser au général Housni Ben Slimane. - Sputnik Afrique
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Suspendu pour de bon ou pas? Lors de la dernière cérémonie officielle de nomination par le roi du Maroc de personnalités à de hautes fonctions, le traditionnel baisemain royal a été en effet supprimé. L’occasion de revenir sur ce rituel critiqué pour son archaïsme.

Au Maroc, le 12 mars dernier, la télévision nationale diffusait des images surprenantes: pour la première fois, lors d’une cérémonie royale traditionnelle pour nommer des personnalités à de hautes fonctions, personne ne baisait la main du roi. Rapidement, l’information n’a pas tardé à faire la une des médias locaux. Pour cause, le rituel continue d’être pointé du doigt par plusieurs acteurs de la société civile mais aussi des figures du mouvement du 20 février, initié dans le sillage du printemps arabe.

Même si elle est ici justifiée, dans un contexte marqué par les précautions sanitaires afin d’éviter la propagation du coronavirus, la décision semble, pour plusieurs observateurs, une bonne nouvelle. L’occasion plus que jamais de mettre un terme à un des symboles archaïques d’une monarchie marocaine qui se présente elle-même comme étant une commanderie des croyants.

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En 2011, durant une intervention télévisée, le vice-président de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), Abdelhamid Amine, était allé jusqu’à demander la suppression «du baisemain et du rituel de la prosternation, contraires aux principes fondateurs des droits humains». La requête avait fait grand bruit au sein de l'échiquier politique. Réponse du palais? Quelques mois plus tard, le prince héritier Moulay Hassan, qui devait participer à l’inauguration d’un zoo, a tendu sa main aux officiels pour… un baisemain. Les photos du fils du roi, âgé alors de 9 ans, n’ont pas tardé à faire le tour des médias internationaux.

Une année plus tard, ce fut au tour du leader religieux Ahmed Raissouni. À l'occasion d'une cérémonie de nomination de gouverneurs, en mai 2012, celui-ci n'a pas hésité à décrier la prosternation devant le monarque, la qualifiant de «haram» (interdit dans la religion musulmane selon les Oulémas, ndlr).

Une mesure temporaire?

Pour l’historien Nabil Mouline, spécialisé dans les symboles de légitimité de la monarchie marocaine, la mesure ne serait que «temporaire».

«Historiquement, les souverains marocains se mettaient toujours en quarantaine pour se protéger lors de grandes épidémies, comme ils suspendaient tous les gestes d’affection et de soumission. Même chose pour les grand-messes politicoreligieuses», explique le chercheur.

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Ce geste d’affection et de soumission fait du Maroc l’un des rares pays dans le monde arabe à toujours imposer le baisemain comme un élément central dans le protocole royal d’accueil des citoyens. «Si on embrasse la main du roi, c’est pour montrer sa proximité et qu’on est proche du souverain», poursuit l’historien.

Pourtant, historiquement, le baisemain n’est pas propre au Maroc. «C’est très banal dans les sociétés traditionnelles et cela reflète la domination patriarcale et la recherche de ce qu’on pourrait appeler la "baraka"», atteste Nabil Mouline. Pour lui, le baisemain s’inscrit dans une gestuelle beaucoup plus complexe. 

«On embrasse le pied, on embrasse la main, le genou, l’épaule. Au Maroc, c’était plus d’ordre anthropologique, avant que cela ne soit renforcé par l’islam, qui a lui-même emprunté aux civilisations pré-islamiques», explique le chercheur.

Depuis son accession au règne en 1999, Mohammed VI est souvent présenté comme un roi modernisateur souhaitant se défaire de plusieurs apparats archaïques du pouvoir. En août 2019, le Cabinet royal en avait surpris plus d'un en annonçant que le souverain souhaitait mettre un terme aux célébrations protocolaires de son anniversaire.

Un signe de la confiance royale

Actuellement, plusieurs officiels embrassent plutôt l’épaule du souverain que sa main. Ce choix, selon Nabil Mouline, se fait en fonction de la proxilité de chacun au pouvoir. «Plus on est soumis, plus le souverain laisse sa main être embrassée des deux côtés. Avec Mohammed VI, si on observe les vidéos de Bey’a, le roi laisse volontairement sa main aux officiers de l’armée pour montrer qu’il est le chef militaire. Alors que pour d’autres, il y a des personnalités qui se contentent d’embrasser l’épaule», affirme le chercheur.

«Plus tu as le droit d’embrasser la main du roi, plus c’est un signe de confiance», explique l’historien.

Actuellement, durant les réceptions royales, ceux qui embrassent l’épaule sont souvent les ministres encartés dans un parti politique, qu’ils soient du PJD (Parti de la justice et du développement à référentiel islamique) ou autre. Alors que certains ministres, considérés comme proches de la monarchie eu égard au domaine régalien qu’ils gèrent (Intérieur, Affaires islamiques, Défense), embrassent directement la main du souverain. Comme pour signaler que ces secteurs, qui ne sont pas de moindre importance, restent sous l’emprise –si ce n’est la soumission– exclusive de la monarchie...

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