Faire revivre un village au sommet des Aurès, le pari d’un homme d’affaires algérien

© Sputnik . Tarek HafidLa piste vers Taguetiout (Algérie)
La piste vers Taguetiout (Algérie) - Sputnik Afrique
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Perché sur une des cimes des Aurès, à 1.745 mètres d’altitude, Taguetiout sors de sa torpeur grâce à Ali Serraoui, un homme d’affaires algérien qui veut faire rendre vie au village de ses aïeux. Déclaré zone interdite durant la guerre d’Algérie, le petit bourg a vu passer la reine Dihya, le Bey de Constantine et l’ethnologue Germaine Tillion.

On ne monte pas à Taguetiout comme dans n’importe quel autre village de montagne. Le voyage doit nécessairement débuter par Biskra, ville de l’est algérien située à 400 km d’Alger, célèbre pour ses dattes. Il faut ensuite rouler durant une heure jusqu’à Mziraa, gros bourg agricole qui se trouve à la lisière du désert et du contrefort de la chaîne des Aurès. C’est là que nous attendent les frères Allaoua (Ali) et Sadek Serraoui. Ils seront nos guides pour ce voyage initiatique au cœur du pays des Chaouia, une des principales communautés berbères d’Algérie.

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Après avoir roulé une dizaine de kilomètre, le pick-up quitte l’asphalte pour s’engager sur une des pistes du mont Ahmar Khedou (joues rouges, en référence à la couleur ocre de la rocaille). Taguetiout tire d’ailleurs son nom de la cime arrondie de cette montagne: Taguechout, le chignon en langue chaouie, a fini par donner Taguetiout. Le pari fou d’Ali Serraoui, principal initiateur du projet de réhabilitation de ce village, repose d’abord sur la réalisation d’une voie carrossable.

«Il est impossible de se rendre dans notre village autrement qu’en voiture. Nous ne pouvons le faire à pied ou à dos de mulet comme nos ancêtres. Nous avons entrepris d’élargir l’ancienne piste à nos frais, mais c’est insuffisant puisque seuls les véhicules tout-terrain peuvent l’emprunter. Les autorités locales ont chargé une entreprise d’ouvrir cette piste mais après quelques kilomètres, les travaux se sont arrêtés pour des raisons qui restent inconnues», indique à Sputnik Ali Serraoui.

«En l’honneur de ma mère…» 

À l’origine, Ali Serraoui, homme d’affaires à la tête d’un groupe spécialisé dans le tourisme, la construction et l’agriculture, s’est engagé dans la réhabilitation du village de sa tribu, les Ouled Abderrahmane, pour une raison bien précise. «Je l’ai fait en l’honneur de ma mère, pour lui permettre de revenir sur les lieux de son enfance», dit-il en souriant.

El hadja Hafssia est née à Taguetiout, elle s’y est mariée et a eu deux fils avant de perdre son époux engagé dans les rangs du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre de libération. L’armée française, qui avait déclaré «zone interdite» cette zone des Aurès, avait déplacé les populations de l’Ahmar Khedou vers l’oasis de Mchounèche, à une cinquante kilomètres à l’ouest. Les Ouled Abderahmane ont payé cher leur soutien au FNL: toute la zone a été bombardée au napalm, détruisant les habitations, les mosquées et toute forme de végétation.

© Sputnik . Tarek HafidÂne sauvage des Aurès
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Âne sauvage des Aurès

Le pick-up peine à monter la longue piste rocailleuse. La montagne semble désertique, pourtant elle grouille de vie. Elle appartient aux ânes sauvages, gazelles, hyènes, chacals, perdrix et aux goundis, petits rongeurs qui se cachent entre les pierres. Sadek, la cinquantaine, connaît parfaitement l’Ahmar Khedou. Il situe avec précision les territoires de chaque famille d’Ouled Abderahmane. La tribu est divisée en cinq branches: Ouled Sidi M’hamed, Ouled Sidi Ali Oumoussa, Ouled Rmili, Ouled Khelaf et Ouled Daoud.

«Chaque branche possède des terres agricoles, sa mosquée et son wali (saint protecteur). À Taguetiout repose Sidi Ali Oumoussa dans la mosquée qui lui est dédié. Taguetiout se caractérise des autres villages de l’Ahmar Khedou par l’Aïd el khrif (fête de l’automne) qui y était jadis organisé. Les tribus des Aurès et de la région de Biskra se rassemblaient ici pour commercer. Elles s’échangeaient des céréales, des dattes et des lainages. C’était également l’occasion de régler des conflits entre les différentes tribus», explique Sadek

Dihya, Ahmed Bey et «madame Saffa»

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Sadek ne sait pas à quand remonte la présence de sa communauté dans cette partie des Aurès. «Je sais juste que nos ancêtres sont ici depuis la nuit des temps», dit-il avec fierté. La nuit des temps, dans les Aurès, cela peut remonter jusqu’à l’antiquité. La région était alors peuplée par les Massæssyles et les Massyles (IVe siècle av-J.C), des confédérations de tribus berbères. Au VIIe siècle, la reine berbère Dihya (surnommée péjorativement Kahina, la prêtresse, par les premiers missionnaires arabes) a posté ses troupes sur les contreforts de l’Ahmar Khedou. C’est de cette position stratégique qu’elle lancera ses attaques contre l’armée d’Okba Ibn Nafaa, le premier conquérant musulman en Afrique du Nord. Au XIXe siècle, Ahmed Ben Mohamed Chérif, dernier Bey de Constantine, a résisté longtemps à l’envahisseur français avant de perdre sa capitale. Il s’est réfugié auprès des Ouled Abderahmane à Kalaât Kbech, citadelle qui servait de grenier à céréales située en contrebas de Taguetiout.

Autre personnage célèbre: l’ethnologue Germaine Tillion a effectué une mission dans cette partie des Aurès de 1935 à 1936. Âgée alors de 28 ans, elle a réalisé une étude approfondie sur les Ouled Abderahmane. «Mes grands-parents se souvenaient très bien d’elle. Dans le village, tout le monde l’appelait madame Saffa car à chaque fois qu’elle rencontrait quelqu’un, elle lui demandait en français 'ca va?'», note Sadek.

Les travaux de Germaine Tillion ont disparu durant la Seconde Guerre mondiale lors de sa déportation dans le camp de concentration de Ravensbrück. Soixante ans plus tard, l’ethnologue a retrouvé par hasard 1.500 clichés qu’elle avait pris dans les Aurès avec un Rolleiflex. Grâce à Saffa, plusieurs familles ont aujourd’hui des images de leurs aïeuls.

Choc thermique

Dar Ediaf, l’imposante maison d’hôtes construite par Ali Serraoui, apparaît au loin. Le blanc de ses murs tranche avec l’ocre des rochers. Elle est quasiment achevée. D’une superficie de 1.000 m2, la bâtisse de deux étages pourra bientôt accueillir ses premiers visiteurs.

© Sputnik . Tarek HafidDar Ediaf, la maison d’hôtes de Taguetiout
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Dar Ediaf, la maison d’hôtes de Taguetiout

Il aura fallu plus de deux heures pour monter les 27 kilomètres de piste. L’altimètre affiche 1.745 mètres d’altitude. L’air est frais, Taguetiout présente l’avantage d’avoir un climat exceptionnel. En été, alors que la température dépasse souvent les 50 degrés dans la pleine de Mziraa, il fait entre 25 et 30 degrés au sommet de l’Ahmar Khedou. À peine arrivés, Saked et Allaoua se pressent de préparer El Gouja, un four creusé dans un monticule qui permet de faire cuire à l’étouffée de la viande d’agneau, la cuisson au feu de bois donne un goût exceptionnel à la viande.

L’avenir de Taguetiout, c’est l’arboriculture. Les Serraoui ont planté 3.500 plants de pommiers, des essais sont en cours également sur des poiriers, amandiers et plaqueminiers. Le potentiel en matière d’élevage caprin et d’apiculture est également important.

«Notre principal souci, c’est l’eau. Nous avons creusé trois forages de 250 mètres de profondeur, mais sans grand succès. La seule solution serait d’utiliser un appareil de forage puissant capable d’atteindre 500 mètres de profondeur. Mais une telle machine ne peut accéder à notre village à cause de l’état de la piste. Actuellement, nous parvenons à irriguer en stockant de l’eau que nous acheminons par citerne à partir d’une source située en contrebas. Mais cela ne suffit pas pour lancer un projet agricole de grande envergure», regrette Allaoua.
Patrimoine en jachère

Mais la véritable richesse de Taguetiout et de la région de l’Ahmar Khadou réside dans son histoire. Ali Serraoui et les membres de sa famille espèrent pouvoir relancer le traditionnel Aïd el khrif et faire de leur village un lieu de rencontre et un pôle de la culture chaouie. Le projet de réhabilitation n’en est qu’à ses prémices. D’autres maisons seront construites dans un proche avenir.

Taguetiout peut également profiter de sa proximité avec le célèbre village troglodyte de Djemina, considéré comme la citadelle de la reine guerrière Dihya, pour organiser des circuits dans la face sud du massif des Aurès. Tout ceci ne tient qu’à une simple décision administrative pour relancer l’ouverture d’une piste…

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