Le scrutin en Guinée : «les forces de défense et de sécurité ont tiré à bout portant»

© Photo Ibrahim DiabyLe leader de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, lors d’un meeting à Conakry le 6 janvier 2020
Le leader de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, lors d’un meeting à Conakry le 6 janvier 2020  - Sputnik Afrique
S'abonner
Le leader de l’opposition en Guinée appelle la communauté internationale à ne pas reconnaître les résultats du double scrutin du 22 mars, qu’Alpha Condé «s’est entêté» à organiser. Dans un entretien exclusif à Sputnik France, Cellou Dalein Diallo justifie le boycott par le front uni de l’opposition contre un troisième mandat de l’actuel Président.

En pleine tourmente de la pandémie de Covid-19, le Président Alpha Condé a maintenu, dimanche 22 mars, le double scrutin qu’il avait tout d’abord décidé de reporter, le 1er mars dernier. Contestées par la plupart des Guinéens et la communauté internationale, ces élections, législatives et constitutionnelles se sont déroulées dans un climat de violence urbaine, exacerbé par des mois de manifestations pour empêcher un «hold-up électoral», selon ses adversaires.

L’ensemble de l’opposition a boycotté le double scrutin afin de faire barrage au maintien du Président sortant, âgé de 82 ans, dans ses fonctions. Pourtant, la consultation référendaire pour l’adoption d’une nouvelle Constitution et le vote pour élire les 114 députés de l’Assemblée nationale ont bien eu lieu. Elles auraient fait dix morts, selon le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), coalition de partis d’opposition, quatre, selon le ministère guinéen de la Sécurité.

​Interrogé par téléphone depuis Conakry au lendemain de ce double scrutin, Cellou Dalein Diallo, le «leader de l’opposition», selon l’expression consacrée en Guinée, affirme que le pouvoir d’Alpha Condé a utilisé les forces armées et de sécurité lors du scrutin. Alpha Condé aurait demandé que l’on «sorte les cadavres de la morgue des hôpitaux publics des victimes de la répression pour qu’on ne puisse pas les comptabiliser», a-t-il affirmé au micro de Sputnik France. Il demande en conséquence que la communauté internationale impose des sanctions pour ces actes de violence ou, à tout le moins, considère comme «nuls et non avenus» ces scrutins.

L’Union européenne, les États-Unis et l’Union africaine ont déjà dénoncé les irrégularités qui ont entaché ces élections, à l’instar de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le 24 mars, la France a condamné à son tour les «actes de violence» qui ont entraîné la mort de plusieurs Guinéens à l’occasion de ce vote, appelant tous les acteurs guinéens, quels qu’ils soient, «à la responsabilité et à la plus grande retenue.»

«Le caractère non inclusif de ces élections et non consensuel du fichier électoral, ainsi que le rôle joué par des éléments des forces de sécurité et de défense excédant la simple sécurisation du processus, n’ont pas permis la tenue d’élections crédibles et dont le résultat puisse être consensuel. La France relève aussi l’absence d’observation régionale et internationale à l’occasion de ce double vote», a déploré la porte-parole du Quai d’Orsay dans un communiqué en date du 24 mars.
© Photo Ibrahim DiabyCellou Dalein Diallo, «leader de l’opposition» en Guinée, a boycotté les législatives du 22 mars ainsi que le référendum visant à changer la constitution actuelle
 Le scrutin en Guinée : «les forces de défense et de sécurité ont tiré à bout portant» - Sputnik Afrique
Cellou Dalein Diallo, «leader de l’opposition» en Guinée, a boycotté les législatives du 22 mars ainsi que le référendum visant à changer la constitution actuelle

Âgé de 68 ans, Cellou Dalein Diallo a été Premier ministre de décembre 2004 à avril 2006, puis candidat à l’élection présidentielle de 2010, qu’il a perdue au second tour face à Alpha Condé, dans des conditions contestées. À partir de 2007, il devient président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Son parti détient la majorité des 114 sièges à l’Assemblée nationale, ce qui fait de lui le «leader de l’opposition», selon les termes de la Constitution, dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, riche en fer et en bauxite, à l’histoire politique mouvementée.

Sputnik France: Est-ce que vous étiez disposé au dialogue pour aplanir les divergences?

Cellou Dalein Diallo: «Oui, bien sûr, mais il est resté inaccessible à cause d’un clan autour de lui qui veut continuer à s’enrichir en profitant largement des ressources minières du pays. Ce clan a pris le Président en otage et du coup, Alpha Condé viole son serment de respecter les dispositions de l’actuelle Constitution qu’il avait fait en 2010 et réitérée en 2015. Maintenant à huit mois de la fin de son second mandat, il veut la changer pour effectuer un troisième mandat.»

Sputnik France: Mais Alpha Condé soutient que le référendum sur la Constitution est plus vaste que la seule question du nombre des mandats. Pourquoi ne le croyez-vous pas?

Cellou Dalein Diallo: «Les réformes dont il parle pourraient être mises en œuvre grâce à une loi organique ou à de simples lois votées par l’Assemblée nationale, voire par des arrêtés ministériels. Que ce soient les mesures sur le genre ou bien celles sur la lutte contre le changement climatique qu’il veut prendre, pas besoin en effet de changer la Constitution pour cela.

Le Président Alassane Ouattara annonce qu’il ne se présentera pas à sa succession à la présidence de Côte d’Ivoire, le 5 mars 2020. - Sputnik Afrique
Côte d'Ivoire: pourquoi Alassane Ouattara renonce-t-il à briguer un troisième mandat?
Même en cas d’extrême nécessité, il est possible de procéder à une révision de la Constitution sans l’abroger complètement, comme il est en train de le faire. Sa tentative de faire adopter une nouvelle Constitution –qui n’a absolument rien de nouveau–, c’est pour ramener les compteurs à zéro afin de pouvoir postuler à nouveau lors des prochaines élections présidentielles. Pour cela, il doit se débarrasser à tout prix de l’actuelle Constitution.»

Sputnik France: Revenons sur les conditions du vote intervenu dimanche 22 mars. Vous déplorez des victimes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les conditions dans lesquelles sont intervenus ces décès?

Cellou Dalein Diallo: «Comme d’habitude, les forces de défense et de sécurité ont tiré à bout portant, en allant notamment chercher les jeunes dans les quartiers. On déplore une quinzaine de victimes, dont neuf à Conakry, cinq à N’Zérékoré et une à Mamoun. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que les Guinéens ne se sont pas mobilisés. Un peu partout, il n’y a pas vraiment eu de vote.

Les gens n’ont pas voulu participer à cette mascarade électorale compte tenu de l’état du fichier électoral, mais aussi parce qu’ils sont hostiles, dans leur écrasante majorité, à un changement de Constitution à quelques mois de la fin du deuxième mandat d’Alpha Condé. La résistance des Guinéens a été héroïque. Et le fait de sortir les corps des victimes de la répression policière du 22 mars, pour dissimuler les preuves et nier les crimes, n’y changera rien.»

Sputnik France: À quoi peut-on s’attendre, maintenant que ce double scrutin a eu lieu, notamment en ce qui concerne les résultats des élections législatives?

Cellou Dalein Diallo: «Évidemment, il y a eu un bourrage des urnes le 22 mars et nous dénonçons un hold-up électoral consistant à s’emparer d’une centaine de sièges pour le parti au pouvoir [RPG –Rassemblement du Peuple de Guinée, membre de l’Internationale socialiste, ndlr]. Les quatorze sièges restants seront répartis entre des petites formations dont Alpha Condé a payé la caution et financé la campagne pour ne pas être tout seul. La vraie opposition en Guinée, celle qui détient 45% des sièges actuels à l’Assemblée nationale, est restée en dehors de ce processus électoral.

Christian Trimua, ministre togolais - Sputnik Afrique
Vers un 4e mandat de Gnassingbé au Togo: «celui qui a commencé le travail doit le finir», selon Christian Trimua
Je vous rappelle qu’au départ, Alpha Condé voulait aller aux élections avec un fichier électoral comportant 8,3 millions d’électeurs sur un total de 12 millions d’habitants en Guinée, afin de lui permettre de gagner haut la main les présidentielles. Devant notre refus, la CENI [Commission électorale nationale indépendante, ndlr], qui est inféodée au pouvoir, l’a ramené à 7,7 millions d’électeurs et puis, comme la CEDEAO trouvait que c’était encore trop, ce fichier a été réduit à 7 millions d’électeurs. Évidemment, l’opposition ne pouvait pas cautionner de telles manigances électorales et nous sommes sortis du processus en appelant au boycott des élections.»

Sputnik France: Quelle va être votre stratégie dans les jours qui viennent?

Cellou Dalein Diallo: «Refuser ce pouvoir, refuser ce Parlement qui n’est pas légitime et continuer à manifester de plus belle. Le peuple guinéen est avec nous et la communauté internationale nous soutient également. Car cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une simple divergence sur le processus électoral, mais bien d’une mascarade électorale reconnue par tous afin de pouvoir changer la Constitution.

La CEDEAO, l’OIF, les Nations unies, l’Union européenne et même des pays comme le Nigéria, –sans se concerter au préalable–, ont décrété que ce double scrutin ne présentait ni l’impartialité, ni garanties requises pour sa crédibilité. Du coup, personne n’a voulu se déplacer ou envoyer d’observateurs, car personne n’a voulu cautionner ce double vote qui n’en est pas un. Il doit en conséquence être considéré comme nul et non avenu afin de pouvoir organiser de nouvelles élections générales, cette fois-ci, qui soient inclusives, libres et transparentes.»

Sputnik France: Certes, mais ne craignez-vous pas d’être lâché à nouveau par la communauté internationale, comme vous l’avez été en 2010?

Cellou Dalein Diallo: «Oui, bien sûr, il y a toujours ce risque. C’est vrai qu’en 2010, j’avais gagné les élections présidentielles. Tout le monde le reconnaît aujourd’hui. Mais la junte qui était alors au pouvoir et les autorités de transition ont décidé, avec des complicités internes et externes, que je n’accéderai pas au pouvoir. Ce qui ne m’a pas empêché, lors de dernières élections législatives, d’arriver presque partout en tête.

Maintenant, il faut savoir ce que veut la communauté internationale. Si c’est d’un Président démocratiquement élu dont la Guinée a besoin, il devra forcément venir d’une communauté, et ce, quelle que soit son appartenance ethnique. Ou bien alors, on interdit purement et simplement aux Peuls d’être éligibles et dans ce cas, ils ne se présenteront plus puisqu’on argue que cela peut représenter un problème. Mais moi, je dis que c’est très mal poser le problème de la gouvernance en Guinée si on le pose sur des bases ethniques.»

Sputnik France: Est-ce que les Guinéens sont prêts à accepter un Peul comme Président?
Cellou Dalein Diallo: «Il faut nécessairement que le Président de la République de Guinée soit issu d’une communauté. Aucune disposition des lois de la République n’exclut une communauté et tous les citoyens jouissant de leurs droits civils et politiques sont électeurs et éligibles.»

Sputnik France: Que faut-il pour que ça marche cette fois-ci?

Cellou Dalein Diallo: «À partir du moment où Alpha Condé acceptera que son temps est révolu, il n’y a pas de raison pour que la pluralité politique et syndicale ainsi que la transparence dans les processus électoraux ne soient pas respectées. Je reste confiant, car les Guinéens ont montré jusqu’ici qu’ils étaient unis. S’il y a une réelle volonté politique de changer les choses, ils sont parfaitement capables de se parler et d’organiser des élections avec des cartes biométriques qui respectent toutes les garanties démocratiques.»

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала