«Les cartels colombiens utilisent maintenant le Mexique pour acheminer la cocaïne aux États-Unis»

© AFP 2023 Arnulfo FrancoBrique de cocaïne
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Les cartels mexicains ont-ils pris ces dernières années le relais des puissants cartels colombiens? Pas exactement, estime Gustavo Duncan, journaliste colombien et expert des réseaux criminels. Selon lui, la Colombie reste le principal fournisseur de cocaïne aux États-Unis, mais les stocks empruntent aujourd’hui de nouvelles routes... Entrevue.

Le 6 mars dernier, la Maison-Blanche a annoncé que la production de cocaïne en Colombie s’était stabilisée depuis 2018, malgré une légère hausse. Alors que 208.000 hectares de coca ont été repérés sur le territoire colombien par les États-Unis en 2018, 212.000 l’ont été en 2019.

«Les niveaux de culture de coca se sont finalement stabilisés en 2018 et 2019 pour la première fois depuis 2012», a déclaré à Washington Kirsten Madison, sous-secrétaire du Bureau International des Stupéfiants et de l’Application de la Loi.

Selon plusieurs sources et études, la présence des cartels mexicains en Colombie explique en bonne partie le maintien de la production de cocaïne, drogue qui est ensuite expédiée dans de nombreux pays du monde.

Les cartels mexicains très actifs en Colombie selon l’Onu

C’est du moins le constat que fait l’Organe international de contrôle des stupéfiants des Nations unies dans son nouveau rapport rendu public fin février dernier.

«L’implication accrue [en Colombie ndlr] des cartels mexicains et d’anciens membres d’organisations paramilitaires dans la criminalité organisée pourraient également avoir contribué à l’augmentation de la culture de cocaïne et du trafic de drogue», peut-on lire à la page 91 du rapport pour 2019 de l’Organe international de contrôle des stupéfiants.

Si les cartels mexicains sont de plus en présents en Colombie, ils n’ont pas pour autant détrôné leurs homologues colombiens, comme le veut une certaine idée reçue, explique au micro de Sputnik Gustavo Duncan. Expert des réseaux criminels, M. Duncan est éditorialiste au journal colombien El Tiempo et professeur de sciences politiques à l’Université d’Administration, de finances et Institut technologique de Medellín (Universidad EAFIT).

«Ce qui a surtout changé, c’est que les cartels colombiens utilisent maintenant le Mexique pour acheminer la cocaïne aux États-Unis. [...] Récemment, le marché de la cocaïne colombienne s’est étendu à l’Europe et à des pays comme le Brésil, l’Argentine et l’Australie. Certains pays d’Asie sont aussi approvisionnés par la Colombie. Malgré tout, les États-Unis restent le principal pays consommateur de la cocaïne colombienne», souligne d’abord Gustavo Duncan en entrevue.

Les cartels mexicains sont présents en Colombie depuis les années 1990, décennie durant laquelle une grande alliance a été conclue entre les narcotrafiquants mexicains Amado Carillo, alias «El Señor de los Cielos», Joaquín Guzmán, alias «El Chapo» et le Colombien Pablo Escobar, alias «El Señor del Mal». Auteur de plusieurs livres sur le narcotrafic en Colombie –parmi lesquels le best-seller Los Señores de la guerra (Les Seigneurs de guerre, Éd. Debate, 2005)– M. Duncan observe que la fermeture par l’Oncle Sam de la route maritime des Caraïbes a forcé les narcotrafiquants de son pays à en trouver une nouvelle: le Mexique.

«Dans les années 1980, les narcotrafiquants colombiens ont dû commencer à envisager que Mexique deviendrait la nouvelle route de la drogue. [...] La société civile américaine consomme de la cocaïne, mais c’est la Colombie qui abrite toujours les organisations criminelles contrôlant la production. Nous ne pouvons donc pas blâmer les États-Unis pour tous les conflits liés au trafic de cocaïne en Colombie», estime-t-il.

Selon Gustavo Duncan, si les cartels colombiens contrôlent toujours la production locale de cocaïne, les cartels mexicains sont devenus les «achemineurs», ce qui explique leur pouvoir grandissant un peu partout dans le monde. Même au Canada, où leur implantation est toute récente, les cartels mexicains ont commencé à inquiéter les autorités.

Le Canada, nouvelle cible des cartels mexicains

En novembre 2019, le directeur de la section new-yorkaise de la Drug Enforcement Administration (DEA), Ray Donovan, déclarait dans une entrevue au Journal de Montréal avoir assisté à l’expansion des cartels mexicains au Canada. Une découverte qu’il aurait faite ces dernières années en démantelant le réseau d’«El Chapo» et qui l’aurait mené jusqu’à Montréal. Donald Trump a d’ailleurs annoncé en décembre 2019 son intention d’ajouter les grands cartels mexicains sur la liste du Département d’État désignant les organisations terroristes.

«Les cartels mexicains ne contrôlent pas les groupes armés qui opèrent en Colombie. Il est trop difficile pour les cartels mexicains de les contrôler à distance. Ce que contrôlent vraiment les groupes mexicains, c’est l’entrée de la cocaïne de grande qualité, de grande pureté, sur le territoire américain. Les cartels mexicains contrôlent le business de la cocaïne et non sa production. [...] Ils achètent la cocaïne et s’occupent de son itinéraire», poursuit l’expert à notre micro.

Ces dernières années, les services frontaliers américains ont plusieurs fois déclaré qu’ils avaient confisqué des quantités de drogue plus ou moins importantes à des migrants clandestins. Dès octobre 2018, plusieurs caravanes de migrants se sont dirigées depuis l’Amérique centrale vers le Mexique. Si la frontière Sud du pays a été renforcée par le Président Andrés Manuel López Obrador, des centaines de migrants –en majorité honduriens– parviennent encore à traverser le Mexique et à se rendre à la frontière Nord.

Pour Gustavo Duncan, les cartels ne privilégient toutefois pas l’utilisation de migrants pour acheminer la drogue, «une méthode incertaine», selon lui. Rappelons que Donald Trump a décrété le 20 mars la fermeture de sa frontière avec le Mexique dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

«Ce n’est pas une bonne idée d’utiliser des migrants pour faire passer des stocks d’un pays à l’autre. Le résultat n’est pas assuré. Il peut arriver toutes sortes de péripéties aux migrants: ils peuvent être tués, volés ou arrêtés. C’est donc loin d’être un bon calcul pour les groupes criminels», a-t-il conclu.
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