Avec la pénurie de masques, les ambulanciers privés risquent d'être contaminés par le Covid-19. Témoignage

© Sputnik . Oxana BobrovitchUne ambulance dans les rues de Paris
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Les ambulanciers privés, ne possédant pas le statut de personnel soignant, sont amenés à transporter des personnes touchées par le SARS-CoV-2. Avec la pénurie de masques, ils risquent de contracter la maladie. C’est le cas de Nordine, patron d’une société d’ambulances, qui partage avec Sputnik sa vision de la situation.

Dans la crise sanitaire actuelle, les ambulanciers privés sont également amenés à transporter des personnes touchées par le coronavirus. Mais entre pénurie de masques et manque de reconnaissance, les sociétés d’ambulances se sentent un peu oubliées.

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Et on commence par une question qui fâche: le 23 mars dernier, Olivier Véran, le ministre de la Santé, a annoncé que le coronavirus serait systématiquement et automatiquement reconnu comme maladie professionnelle pour les soignants. Sauf que… les ambulanciers, eux aussi en «première ligne face à l’épidémie», ne sont pas considérés comme des soignants, mais comme de simples «transporteurs». «Une aberration» estime Nordine, chef d’une société d’ambulances forte de quatre véhicules qui officie en banlieue parisienne et qui emploie une dizaine de personnes.

Ces «prestataires de service de transport» regardent le virus en face

Depuis la création du service d'aide médicale urgente (SAMU) en France, l'ambulancier fait partie de l'équipe du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) au même titre que l'infirmier et le médecin. Néanmoins, les ambulanciers sont considérés comme des personnels de catégorie C sédentaire, supposés ne pas être en contact avec le patient. Ce qui n’est pas le cas dans la réalité. Ces personnels souhaitent donc être intégrés dans la catégorie «active» de la fonction publique. Un «souhait», systématiquement remonté jusqu’au pouvoir législatif.

«On est en première ligne, quand on va chercher le patient qui a le coronavirus ou est suspecté de l’avoir, raconte Nordine à Sputnik. Là, il n’y a pas de distinction à faire! On n’appelle pas le ministère de la Santé en disant qu’on n’est pas les professionnels de santé et qu’on ne l’emmène pas. C’est notre travail et on ne laisse pas les gens en difficulté!»

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Même si l’ambulancier voit dans la promesse du ministre de la Santé «un effet d’annonce» des gouvernants qui «s’accrochent à tout ce qu’ils peuvent et sont prêts à promettre monts et merveilles» durant la crise pour «rassurer les gens», il reconnaît que «si ça permet d’avoir la meilleure reconnaissance du métier, ça sera déjà un grand pas».

«Je crois que dans l’Ehpad, ils ne savaient pas qu’elle avait le coronavirus»

Aujourd’hui, plusieurs employés de l'entreprise sont au chômage partiel et «une personne est en arrêt maladie». Une situation de travail délicate, due à la «réduction de charge de travail suite au confinement», mais auparavant mise à mal par la réforme controversée (et suspendue en janvier 2019 par Agnès Buzyn) introduite par l'article 80 du projet de budget de la Sécurité sociale pour 2017 (voté sous le quinquennat de François Hollande).  

Sa société étant parmi «les derniers fournis en masques», Nordine a contracté le Covid-19 au travail, «il y a trois semaines, autour du 21-22 mars».

«Dans mon cas, on était appelés par une maison de retraite avec qui on travaille, pour une patiente, raconte Nordine. Je crois que dans l’Ehpad, vu qu’ils ne prenaient aucune précaution, ils ne savaient pas qu’elle était susceptible d’avoir le coronavirus.»

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Malgré la manière dont la cadre de santé «s’approchait de la patiente et lui tenait les mains», l’ambulancier et son collègue appliquaient les mesures de protection de rigueur –«masques, gants, protection du visage, distance». Néanmoins, quelques jours plus tard, un dimanche, Nordine «commence à avoir des symptômes» et fait le rapprochement avec l'appel en question, d’autant plus que «la patiente a été transportée dans une unité Covid-19 de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre».

«Au début, c’est comme les symptômes grippaux, sauf que ça fait le yo-yo, c’est très bizarre. On est toujours fatigué, tiraillé, la température baisse, puis remonte. On se sent très angoissé. C’est une sensation que je n’ai jamais ressentie», décrit Nordine.

Sans comprendre encore qu’il s’agit de la maladie, «tendu et gêné, mais sans courbatures», «avec des sensations désagréables lancinantes à travers tout le corps», Nordine assure une journée «difficile» de travail le lundi suivant. «J’ai délégué les transports à mes salariés, je les remercie d’avoir bien géré la situation,» précise le chef d’entreprise. Mais après une consultation auprès de son médecin, le verdict tombe: c’est le coronavirus.

Il s’arrête donc. Et le calvaire de tous les malades infectés par le SARS-CoV-2 commence.

«J’ai tellement toussé que ça m’a bloqué le dos»

Nordine «passe par toutes les phases»: difficulté à dormir, transpiration abondante, même si «le doliprane permet de juguler un peu ça».

«J’ai tellement toussé que ça m’a bloqué le dos. C’est vraiment une toux terrible, terrible, terrible. Pendant 15 jours, je n’ai quasiment rien mangé. Rien, à part un peu de jus d’orange», détaille-t-il.

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Comme pour des centaines d'autres malades, le diagnostic a été fait par le médecin «par téléconférence», puis, à un moment donné, le SAMU est intervenu. «J’ai pensé qu’ils allaient m’hospitaliser. On ne l’a pas fait, tant mieux,» précise Nordine. Et, puis, la crise passe –«je transpirais tellement que j’étais obligé de changer trois fois de t-shirt: on les essore, il y avait de l’eau»- et l’état du malade s’améliore nettement.

Mais, à aucun moment de sa maladie, on n’a proposé à Nordine de faire un test du virus ou d’anticorps.

Tests et masques, le duo se fait désirer sur le terrain

«J’entends parler de ces tests-là, mais de personne à qui on les fait. C’est extraordinaire quand même!» glisse l’ambulancier. Pourtant, écartée par le gouvernement au départ, la généralisation des tests de dépistage du coronavirus semble devenir une priorité pour combattre la pandémie, avec l’annonce par Olivier Véran d’une «vaste opération de dépistage» dans les Ehpad. Qu’en est-il sur le terrain ?

«J’ai eu mon docteur ce matin en téléconsultation. Il ne me l’a pas proposé, et j’ai posé la question par acquis de conscience. Il m’a dit que là, ça sert plus à rien. C’est la terminologie qu’il a utilisée», raconte Nordine.

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Le test et le masque, ce duo d’outils nécessaires lors de la pandémie, s’invite sur tous les plateaux télé. Mais reste paradoxalement rare sur le terrain.

«C’est seulement depuis une semaine qu’on a le droit d’avoir deux boîtes de masques par société. C’est un scandale! fustige Nordine. Le virus a plus d’un mois, on est très mal lotis. C’est pas normal, puisque souvent nous sommes les premiers face aux patients.»

Pour cette société privée, avec une convention collective de transport routier, le seul lien avec le ministère de la Santé est la nécessité d’obtenir des agréments. La régie régionale de Santé ainsi que la Police des ambulances effectuent certains contrôles sur le matériel utilisé, mais «le socle de réglementation du travail des salariés est le ministère des Transports» La dualité de cette position peut mener à des situations aberrantes : récemment, en allant s’approvisionner en oxygène dans une pharmacie avec laquelle il a un contrat, Nordine s'est vu refuser l’achat de masque, puisqu’il «n’est pas un professionnel de santé» Ainsi, pour avoir des moyens de protection, l’ambulancier a été obligé de faire jouer son relationnel.

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