«Catastrophique», «bien pire qu’en 2008»: les restaurateurs français craignent le désastre

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L’annonce d’Emmanuel Macron, qui a pris la décision de laisser les restaurants fermés au-delà du 11 mai, a créé une onde de choc chez les acteurs du secteur. Privés d’activité pour encore plusieurs semaines, ils sont nombreux à craindre la faillite. Sputnik France les a interrogés afin de connaître leur sentiment sur cette crise inédite.
«Je pense que les gens sous-estiment la gravité de la situation et l’impact économique que cette crise va avoir. Cela sera bien pire qu’en 2008.»

Hélène, directrice d’un restaurant situé en face du célèbre Palais des Festivals à Cannes, est inquiète. Comme la plupart des acteurs du secteur, elle n’a que peu goûté la décision prise par Emmanuel Macron le 13 avril. Alors qu’il a annoncé une fin du confinement au 11 mai et une réouverture progressive des établissements scolaires à partir de cette date, les restaurants resteront fermés. Rien n’a été annoncé concernant le calendrier de leur reprise d’activité. Le locataire de l’Élysée a seulement affirmé que la situation serait évaluée au fil du temps à partir du 11 mai.

Une aide pour les loyers impayés?

L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) n’a pas tardé à réagir à la suite de cette prise de parole présidentielle. Le principal syndicat du secteur a parlé de «catastrophe économique». «Le Président de la République a annoncé le pire des scénarios possibles pour notre secteur. Pour nos entreprises, la catastrophe économique est confirmée et si nous avions un doute, l’année 2020 est une année perdue pour les cafés, hôtels, restaurants et discothèques.»

​Un avis partagé par Rachid, restaurateur dans le XVe arrondissement de Paris. Il ne comprend pas la décision d’Emmanuel Macron de rouvrir les écoles tout en laissant les restaurants fermés:

«Il est strictement impossible de faire respecter les distances de sécurité aux enfants dans les écoles. Les adultes auraient été en mesure de mieux le faire. Il est possible qu’Emmanuel Macron ne dise pas tout. De toute façon, nous serons toujours les derniers à savoir.»

Même son de cloche du côté d’Hélène: «J’avoue que le concept de réouverture des classes alors qu’on laisse les restaurants fermés m’échappe. On met des enfants en ligne de mire, alors que le virus est toujours là.»

Avec un chiffre d’affaires annuel estimé à un plus de 50 milliards d’euros, 90 si l’on englobe l’ensemble du marché de la restauration française (restauration commerciale, collective, hôtelière et automatique), le secteur emploie plus de 600.000 personnes. Et depuis le 14 mars, ce poids lourd de l’économie française est à l’arrêt. Une situation qui menace gravement le secteur.

«Quoi qu’il arrive, je serai perdant, comme beaucoup de petites entreprises qui risquent fort de mettre la clé sous la porte. D’ici à fin juillet, j’aurai 20.000 euros à débourser pour mon loyer. Je ne les ai pas aujourd’hui. Il est bien beau de faciliter l’obtention de crédit ou de diminuer les charges afin de relancer l’économie. La réalité est la suivante: ce qui est perdu est perdu», explique Rachid.

Même analyse du côté d’Hélène:

«Il s’agit d’une perte de chiffre d’affaires énorme. Ce qui est perdu est perdu.»

Cette dernière est au chômage partiel depuis le 14 mars: «Cannes est actuellement une ville morte. Il faut savoir que 70% de l’activité est liée aux différents congrès et festivals qui ont tous été reportés ou annulés. L’annulation du MIPIM (le Marché international des professionnels de l’immobilier) représente une perte de 400.000 euros en une semaine pour le restaurant. Et je ne parle pas du Festival de Cannes ou du Festival international de la créativité, qui ont aussi été annulés.»

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La question des loyers est primordiale selon Rachid. Emmanuel Macron, lors de son allocution présidentielle du 16 mars, avait assuré que les loyers des petites entreprises en difficulté seraient suspendus. Mais la réalité est… un peu plus complexe. «Derrière le chef de l’État, le gouvernement n’a donné ni détails ni directives. Pas de mesures coercitives, par exemple. Il a laissé s’organiser les commerces et leurs propriétaires (les bailleurs de fonds, pour la plupart banques, assurances, sociétés foncières, propriétaires des murs). Aujourd’hui, ça coince», expliquent nos confrères de France Info.

«La question primordiale concerne les loyers. Que compte faire le Président? Si l’on ne fait rien et que je me retrouve sans possibilité de payer, je vais avoir des problèmes avec mon propriétaire», se désole Rachid.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a récemment annoncé que le gouvernement prévoyait une amélioration du fonds de solidarité mis en place afin de soutenir les très petites entreprises. Une partie pourrait servir à prendre en charge les loyers.

«Les loyers, par exemple de commerces, de restaurants qui n’arrivent plus à payer, on pourrait les prendre en charge dans le cadre de fonds de solidarité pour un certain nombre d’entreprises particulièrement menacées», a déclaré le locataire de Bercy sur France 2.

25% des restaurants sont menacés de fermeture

Pour le moment, le fonds de solidarité prévoit 1.500 euros maximum d’indemnisation pour les petites entreprises qui peuvent justifier d’une perte d’au moins 50% du chiffre d’affaires par rapport à mars et avril 2019. Celles menacées de faillite peuvent se voir octroyer 2.000 euros d’aide. «Nous pourrions augmenter ce plafond à 5.000 euros justement pour pouvoir intégrer le montant des loyers», a précisé Bruno Le Maire.

«Beaucoup de propriétaires sont des particuliers comme nous, qui ont leurs propres crédits à rembourser et leurs propres charges à payer. Si on ne peut plus payer, eux aussi souffriront», lance Rachid qui dit craindre «un effet domino».

Hélène, de son côté, pense que la crise touchera effectivement une grande partie des acteurs économiques:

«Je perds environ 600 euros sur mon salaire, mais mes frais restent les mêmes. La crise a été soudaine et ne nous a laissé aucune possibilité de nous préparer. Elle va toucher les maillons de la chaîne économique à différents niveaux.»

De l’avis de la grande majorité des professionnels du secteur, la situation est d’une gravité inédite. C’est notamment l’analyse faite par Jacques Bally, le président du guide Gault & Millau, au quotidien Le Monde: «Pour moi, 25% des restaurants sont menacés de fermeture définitive. Les quelque 180.000 établissements qui servent des prestations alimentaires en France ont des profils très divers. La restauration collective, par exemple, va vivre des moments difficiles, mais résister, car elle est adossée à de grands groupes. En revanche, le petit resto “à la française”, du gastro à la bistronomie, tous les chefs installés sans associés financiers ont un risque de mettre la clé sous la porte. Je pense aussi aux affaires familiales des petites communes, parfois enclavées, qui sont mises en très grande difficulté. Quand un couple vit sur le même établissement et que son activité est suspendue pendant plus d’un mois, c’est un désastre.»

 

​S’il relativise et dit préférer «perdre de l’argent qu’un proche», Rachid n’a plus de certitude quant à l’avenir de son affaire:

«J’ai créé ce restaurant à partir d’un endroit qui était fermé depuis des années. Je me suis battu avec ma famille et mes collègues pour lui donner vie et continue de le faire depuis trois ans. Aujourd’hui, je me demande si cela vaut la peine de continuer. Si l’on reste fermé encore plusieurs mois, je ne vois pas comment je pourrais m’en sortir. Ce sont six personnes de plus qui se retrouveront au chômage si je dois fermer.»

D’après Hélène, «les grosses structures qui bénéficient d’une trésorerie solide pourront sûrement tenir. À l’inverse, je crains fort que beaucoup de petites structures fassent faillite, notamment celles récemment ouvertes, qui n’ont pas eu le temps de trouver leur rythme de croisière», explique-t-elle. Avant d’en appeler au gouvernement:

«Il faut une annulation pure et simple des charges. Dans une ville comme Paris, de nombreuses affaires ont déjà beaucoup souffert des Gilets jaunes et des grèves. Sans aide, la situation actuelle fait qu’elles ne se relèveront pas. Il faut également que les assureurs jouent le jeu.»

Le 15 avril, Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, a annoncé que le gouvernement allait travailler à annuler jusqu’à 750 millions d’euros de charges fiscales et sociales qui sont actuellement reportées, dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et des arts et spectacles.

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«L’État annulera, à la demande du Président de la République, les charges pour les secteurs les plus touchés», a lancé le ministre sur Europe 1, avant d’ajouter qu’«il y a 750 millions d’euros qui concernent les secteurs évoqués par le Président, notamment la restauration [...], mais aussi les arts et spectacles [...]». «Nous travaillons effectivement, à la demande du président de la République, à ces annulations», a-t-il précisé.

Une saison estivale d’ores et déjà gâchée?

La situation est d’autant plus inquiétante pour les restaurateurs que les prédictions en matière de tourisme s’avèrent très pessimistes pour 2020. Les nombreuses restrictions mises en place par plusieurs pays partout à travers la planète pourraient être suivies d’un certain temps de latence avant que les voyageurs ne recommencent à partir en vacances. De quoi faire de 2020 une année cauchemardesque pour ceux qui vivent de la manne touristique.

«Cannes vit au rythme des festivals et des congrès huit mois sur douze. Mis à part janvier, février, juillet et août, il y en a toute l’année. Or, en 2020, même si l’on rouvre avant la saison estivale, il y a fort à parier que les touristes seront aux abonnés absents. Ce n’est pas la clientèle locale qui va faire tourner toutes les affaires. Il y aura forcément des faillites», anticipe Hélène. 

L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) prévoit que la pandémie de coronavirus entraînera une chute des visites touristiques de l’ordre de 20 à 30%. L’agence onusienne basée à Madrid chiffre la baisse des rentrées touristiques dans le monde entre 272 et 408 milliards d’euros.

Pour Hélène, malgré les risques sanitaires, il n’y a plus de temps à perdre pour sauver les restaurants de France:

«Qu’on autorise les petits commerces à rouvrir en respectant de strictes mesures de sécurité! Certes, la crise est sanitaire, mais plus la situation actuelle perdure, plus elle sera économique. Et plus on attend, plus il sera compliqué de se relever. D’autant plus qu’il y a un effet psychologique. Nous sommes habitués à travailler, à nous lever le matin. Plus le confinement va durer, plus il sera difficile de se remettre dans la vie active.»
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