Plongeon historique des cours, quel avenir pour le pétrole américain?

© AP Photo / Matthew Brown, FileProduction de pétrole aux États-Unis (archive photo)
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L’Histoire retiendra le 20 avril comme la première fois où le prix du pétrole WTI est descendu en dessous de zéro dollar le baril. Quelles conséquences cette chute va-t-elle avoir sur l’industrie pétrolière américaine? Éclairage avec Philippe Sébille-Lopez, géopoliticien spécialiste des hydrocarbures.

Le Brent de la mer du Nord va-t-il être emporté dans la chute du pétrole de schiste américain? La journée du 20 avril a été meurtrière pour les prix de l’or noir américain, le WTI (West Texas Intermediate) devant être livré en mai, qui se sont effondrés, en passant en dessous de zéro pour la première fois, clôturant à New York à -37,63 dollars, soit une chute de 300%. Après une remontée pour le WTI autour de 16 dollars au cours de la journée du 21 avril, c’est au tour du Brent de la mer du nord de chuter quelques heures ce mardi sous la barre des 20 dollars, dans un marché extrêmement volatil.

«Le WTI, c’est le marché nord-américain, alors que le Brent c’est le brut de référence pour le reste du monde. Le Brent influe sur près des deux tiers de la production mondiale», distingue au micro de Sputnik, Philippe Sebille-Lopez, spécialiste des hydrocarbures et directeur de Géopolia, un cabinet d’études, conseil en géopolitique et intelligence économique.

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Dans un contexte de saturation des stocks et de baisse de la demande due à la pandémie de coronavirus, cette baisse historique du WTI peut s’expliquer par une «combinaison de facteurs», le premier étant les contrats à terme.

Il n’y a «pratiquement plus de capacité de stockage»

Le contrat pour la livraison des barils du WTI en mai expirant le 21 avril, les investisseurs détenant du pétrole étaient confrontés à un choix cornélien: soit le conserver, ce qui devient compliqué aux États-Unis où il n’y a «pratiquement plus de capacité de stockage», précise Philippe Sebille-Lopez, soit le vendre, quitte à payer pour s’en débarrasser.

Donald Trump a annoncé évaluer l’hypothèse d’arrêter les importations pétrolières en provenance d’Arabie saoudite afin de soutenir l’industrie pétrolière locale. Il a aussi demandé à son administration de mettre en place un plan d’aide d’urgence au secteur pétrolier et gazier. Le spécialiste des hydrocarbures s’interroge sur ces conditions particulières de stockage et les difficultés de l’administration américaine pour «organiser ce sauvetage» temporaire:

«En proposant 77 millions de barils d’achat de pétrole brut par la SPR [strategic petroleum reserve, ndlr], c’est plus de 10% de ses capacités totales de stockage que le Président Trump prétend pouvoir absorber pour soulager l’engorgement du marché pétrolier américain. Statutairement, la SPR, la réserve stratégique américaine, est limitée à 713 millions de barils. Mais ces achats de brut non prévus dans le budget fédéral actuel nécessiteraient normalement l’aval du Congrès, puisque l’État fédéral va devoir acheter ce pétrole qu’il va stocker.»

Une difficulté à laquelle tente de répondre le gouvernement américain:

«Pour contourner le Congrès, l’Administration Trump évoque l’idée d’un leasing. Mais ce n’est pas encore très clair et surtout sur quelles bases définir les éventuelles compagnies bénéficiaires de ces nouvelles capacités de stockage, sans parler des questions logistiques en termes d’acheminement de ces énormes volumes. D’autres motifs pourraient être aussi invoqués par le Président Trump, comme des questions de sécurité nationale, pour justifier un éventuel contournement du Congrès.»

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D’où la question qui se pose dès maintenant d’une éventuelle modification en profondeur du marché pétrolier américain. Les majors américaines, comme Chevron ou Exxon, sont très solides, car elles ont d’autres ressources que le pétrole de schiste, elles sont «verticalement intégrées» et en outre, elles «ont du cash», rappelle Philippe Sébille-Lopez.

«Il y aura une restructuration du marché»

Selon lui, «elles peuvent se dire que les compagnies productrices exclusivement de pétrole de schiste vont faire faillite et que leurs actifs pourront être récupérés à bon compte» et en déduit que «cette crise devrait inévitablement déboucher sur une restructuration du marché, surtout si l’Administration ne fait rien». Le géopoliticien nuance toutefois son propos en décrivant des mécanismes financiers permettant notamment aux producteurs de pétrole de schiste «de se prémunir contre d’éventuelles baisses de cours», car «au niveau actuel des cours, tous les producteurs de pétrole de schiste perdent de l’argent».

«Ce système de couverture s’appelle le “hedging”. Un producteur du Texas ou d’ailleurs […] peut garantir moyennant un paiement très substantiel un certain pourcentage de sa production à un prix donné, pourvu qu’il trouve en face un organisme financier, banquier, assureur ou autre pour accepter de prendre le pari inverse. À la date convenue, si le cours du brut est inférieur au prix négocié, le garant payera au producteur la différence. À l’inverse, si le prix est supérieur, le garant ne débourse rien et empoche le paiement de la prime de garantie, comme avec le paiement d’une prime d’assurance.
Mais si ce système a pu jusqu’ici permettre à certains producteurs de ne pas produire à perte, aujourd’hui, plus personne ne va se risquer dans le hedging et il faudra en outre que les producteurs puissent encore écouler leur production sur un marché déjà totalement saturé, ce qui va être de plus en plus difficile ces prochains mois, d’où une inévitable restructuration du marché américain si la crise actuelle se prolonge au troisième trimestre 2020.»

Du fait de la pandémie, ces variations financières du WTI, mais aussi du Brent risquent de perdurer dans les mois à venir.

«Aucun accord réaliste de réduction ne pourrait raviver les prix»

Francis Perrin, spécialiste des problématiques énergétiques à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) avait prédit le 15 avril à Sputnik cette tendance trimestrielle à la baisse: «le creux le plus dur est le second trimestre, avril, mai, juin», car «c’est dans cette période où le risque est le plus élevé de l’effondrement des prix encore plus bas», c’est-à-dire des prix qui avoisineraient les 10 dollars. Si le choc de l’offre a été résolu avec la baisse de la production mondiale d’environ 10 millions de barils par jour suivant l’accord de l’OPEP+ du 12 avril, la consommation mondiale de pétrole touche les abysses.

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Sachant que 100 millions de barils ont été consommés quotidiennement en 2019, l’AIE (agence internationale de l’énergie) anticipe ainsi pour le mois d’avril une baisse de la demande mondiale de pétrole de 29 millions de barils par jour par rapport à l’année dernière, et pour le mois de mai, de 26 millions de barils par jour.

L’économiste Patrice Geoffron, du Cercle des Économistes estime ainsi pour Boursorama qu’«aucun accord réaliste de réduction ne pourrait raviver les prix: l’extraction interdit les arrêts brutaux, de sorte que les capacités de stockage sont engorgées, y compris dans des tankers loués pour stocker à l’arrêt des volumes de pétrole.»

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