Univers dystopiques: notre futur est-il déjà écrit?

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Les auteurs de dystopie ont dessiné nos pires futurs, écologique, sanitaire, social ou militaire. Plus que l’aspect prophétique, cette effervescence est le reflet des préoccupations ou des fléaux de leur temps. Nul doute que le masque restera le symbole de l’épreuve subie par nos sociétés frappées par la pandémie. Tour d’horizon.

Toute une branche de la culture populaire s’est emparée du sujet des catastrophes nucléaires, biologiques, chimiques et cybernétiques. Sur papier ou sur écran, les œuvres ne manquent guère pour imaginer la survenance de celles-ci et de leurs conséquences. Certaines créations ne manquent pas d’intérêt au regard des circonstances.

Si le public francophone cite immanquablement le roman d’Albert Camus, La Peste, le monde anglophone aurait tendance à plutôt mentionner celui de Jack London, La Peste écarlate. Si le premier est une description plus proche du tableau psychologique en temps de pandémie, le second s’emploie à relater comment une société évoluée peut rapidement se désagréger par la survenance d’une catastrophe impromptue, ensevelissant et cantonnant le monde d’hier dans les souvenirs de quelques érudits isolés et rarement écoutés.

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Cinématographiquement, les exemples pullulent et le meilleur côtoie le pire. Retenons-en deux: un britannique et un français. 28 jours plus tard –et sa suite, 28 semaines plus tard–, du réalisateur Dany Boyle, est devenu un classique du cinéma fantastique par son esthétique… et son réalisme. Le déclenchement de l’épidémie est par ailleurs très symptomatique et fort peu politiquement correct: un commando antispéciste s’introduit dans un laboratoire d’analyses sur des primates, et c’est en voulant les libérer que l’un des activistes se fait mordre, provoquant le début d’une infection non maîtrisée. Les scènes de Londres désertée sont restées dans les mémoires.

Pars vite et reviens tard, de Régis Wargnier est plus intimiste, moins spectaculaire, porté sur le déroulement d’une enquête plongeant dans un Paris menacé par le retour de la peste. Un épisode avéré dans l’histoire récente, puisqu’en 1920, une telle épidémie se déclara dans la capitale française et sa banlieue immédiate.

Elle fut masquée par le gouvernement français sous la dénomination de «maladie n° 9» afin de ne pas affoler la population déjà ébranlée par la «grippe espagnole» de 1918-1919. Le commissaire Adamsberg va être confronté à la fois au risque de propagation de la maladie et à un prophète aux intentions floues.

La résilience des populations au prix de la dégénérescence

Les histoires post-apocalyptiques se concentrent souvent sur la résilience –au prix souvent de la dégénérescence– de poches d’humanité. Comme dans le mythique Fallout, encensé par les amateurs de jeux vidéo, lequel en ses différents opus a planté un univers tendant entre le morbide et le comique, avec quelques réminiscences du monde d’avant visibles au sein d’épars abris antiatomiques. Citons encore la très immersive simulation de survie S.T.A.L.K.E.R. (inspirée par le film éponyme d’Andreï Tarkovski) développée par le studio ukrainien GCS Game World. Le jeu recrée tout un écosystème de survie dans un Tchernobyl alternatif crédible, où la chasse aux artefacts et la quête du Monolithe opposent factions et loups solitaires, sur fond d’orages radioactifs sporadiques. Cette trilogie a été encensée par la critique comme l’un des plus saisissants univers virtuels jamais créés, notamment grâce aux interactions poussées entre les personnages.

Souvent, ces œuvres sont assez peu disertes sur l’origine du monde en déshérence où évoluent les protagonistes, préférant s’atteler aux ressorts psychosociologiques des populations résilientes. C’est le cas du trop méconnu long-métrage Les jours à venir, du réalisateur allemand Lars Kraume, qui répertorie les inquiétudes contemporaines: montée de l’instabilité sociale et des crises internationales).

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Il est pourtant d’autres univers post-apocalyptiques plus chatoyants, du moins en apparence. C’est le cas de deux œuvres: Globalia, du français Jean-Christophe Rufin, et Hunger Games, de l’Américaine Suzanne Collins. Ces deux romans renforcent, chacun à leur façon, le trait déjà visible de plusieurs sociétés occidentales, en opposant une périphérie paupérisée, accablée fiscalement, militairement, technologiquement et symboliquement afin d’assurer la prospérité d’opulentes métropoles. Une félicité factice, dont le succès repose sur la bonne conscience des citoyens (par le divertissement offert, voire imposé et l’épuration de l’information) et la maîtrise d’espaces territoriaux considérés comme primitifs, donc hostiles, mais essentiels pour l’approvisionnement en ressources alimentaires et humaines. Tant Globalia qu’Hunger Games sont des réflexions profondes sur le contrôle des populations, sur la gestion de l’information et sur le rapport métropole-périphérie cher au géographe Christophe Guilluy.

Dans un style un peu plus social, mais au propos identique, la série Trepalium (mot latin pour désigner à la fois la souffrance et le travail), des scénaristes Antarès Bassis et de Sophie Hiet, campe une ville fortifiée qui regroupe uniquement les individus bénéficiant d’une activité rémunérée et d’un mur pour les séparer des hordes d’exclus. Le système d’insertion de quelques exclus au sein de la métropole permet à ces nouveaux élus de se rendre compte que la société perçue comme idyllique à l’extérieur est en réalité profondément tyrannique à l’intérieur.

La symbolique du masque

Dans le récit Metro 2033 (porté plus tard sur PC), de l’auteur russe à succès Dimitri Gloukhovski, le port du masque est omniprésent dès lors qu’il est question de remonter à la surface pour les populations confinées dans les stations de métro de Moscou. Car depuis une guerre nucléaire, le monde extérieur est extrêmement nocif à cause des radiations comme de la faune ayant subi d’horribles mutations ou porteurs de germes bactériologiques. L’ouvrage transpire de cette ambiance de méfiance réciproque entre les clans de survivants regroupés dans les artères du réseau métropolitain, ainsi que de cette obligation de se protéger de la menace invisible du dehors, où chaque déplacement sans combinaison équivaut à une létalité quasi certaine.

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Cette symbolique du masque nous amène à la bande dessinée V pour Vendetta, du Britannique Alan Moore, portée à l’écran en 2005. Elle se déroule dans un futur dystopique, où suite à une catastrophe nucléaire, le pouvoir médiatico-politique dans les îles Britanniques se maintient au prix de l’abrogation de toutes les libertés fondamentales. Une situation qui va être bouleversée par l’immixtion d’un homme providentiel, affublé d’un masque à l’effigie du comploteur Guy Fawkes (mort en 1606 pour avoir tenté de dynamiter le parlement de Londres), dont les actions et apparitions sèmeront les graines de la rébellion, avant de former une armée de citoyens révoltés, portant à leur tour des masques devenus les symboles de leur libération.

Et qui sait, peut-être au sortir de cette épreuve épidémiologique, disposerons-nous de créations dignes du Décaméron, rédigé en 1348 par l’humaniste Giovanni Boccaccio en plein épisode de peste?

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