Championne d’Europe de la récession, la France bientôt face à «une crise sociale et sociétale» d’ampleur?

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Le 1er mai dans le XVIIIe arrondissement de Paris sur fond d’épidémie du COVID-19 - Sputnik Afrique
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L’économie française a été plus touchée que celles de ses partenaires européens au premier trimestre, avec une chute de 5,8% du PIB, du jamais vu. Pire encore, le produit intérieur brut devrait plonger encore davantage au deuxième trimestre. Et la reprise risque d’être lente et difficile.
«La France est en train de s’enferrer dans un scénario catastrophe a priori irréversible.»

C’est l’avis de Marc Touati, économiste et président du cabinet d’expertise financière ACDEFI. Ce dernier a fait part de toute son inquiétude dans une chronique publiée chez nos confrères de Capital. L’INSEE a révélé l’ampleur de la chute du Produit Intérieur Brut (PIB) français au premier trimestre. Si une forte baisse des chiffres était attendue, les performances de l’économie française ont été encore pires que prévu: -5,8%. La dégringolade est historique. Jamais depuis 1949 et les premiers calculs du genre, la France n’avait connu pareille chute de son PIB sur un trimestre. À titre de comparaison, la baisse enregistrée au premier trimestre 2009, en pleine crise financière, avait été de 1,6%. Même le deuxième trimestre de l’année 1968, pourtant marqué par la révolte de Mai 68, avait connu une baisse du PIB d’une ampleur inférieure au premier trimestre 2020 (-5,3%).

Croissance, chômage, une avalanche de mauvais chiffres

Et ce chiffre est à classer parmi une succession de mauvaises nouvelles. Ainsi, le mois de mars a-t-il vu la consommation des ménages français chuter de 17,9% par rapport à février. C’est tout simplement la plus forte baisse mensuelle enregistrée en 40 ans, sans parler du chômage, qui a connu une envolée historique en mars (+7,1%).

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Sans surprise, l’INSEE a justifié la chute du PIB par l’épidémie de coronavirus, responsable de plus de 24.800 morts en France au 4 mai . D’après l’organisme, elle «est principalement liée à l’arrêt des activités “non essentielles” avec l’instauration du confinement à partir de la mi-mars».

Pour Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, «il faut qu’un maximum de Français reprenne le travail.»

Édouard Philippe consulte actuellement patronat et syndicats concernant les modalités du déconfinement annoncé au 11 mai. Il faut dire que la mission du Premier ministre est délicate: faire repartir l’économie devient vital pour le pays, mais dans les hôpitaux, on redoute une deuxième flambée épidémique.

«De plus, ne rêvons pas: l’économie française ne connaîtra pas de reprise en V. Son redressement sera lent et chaotique. En effet, n’oublions pas que le déconfinement sera très progressif et que, malheureusement, de nombreux secteurs d’activité demeureront durablement en récession, à commencer par le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, l’événementiel, sans oublier le transport aérien, l’aéronautique, mais aussi le luxe ou encore l’automobile», souligne Marc Touati, toujours chez nos confrères de Capital.

Le deuxième trimestre pourrait être encore plus terrible sur le front économique. En effet, les trois premiers mois de 2020 n’ont compté que 14 jours de confinement. De quoi faire dire à Marc Touati que «le plongeon devrait au moins atteindre 8% au deuxième trimestre». Si tel était le cas, le PIB français baisserait donc d’au moins 13% sur les six premiers mois de l’année. Un désastre.

«Or, il faut savoir que, d’ores et déjà, compte tenu de la chute du premier trimestre 2020, le niveau actuel du PIB français est équivalent à celui de 2015. à la fin du premier semestre 2020, il devrait atteindre celui de la fin 2005! Oui, vous ne rêvez pas: un retour en arrière de 15 ans!», ajoute Marc Touati.

La situation est d’autant plus inquiétante que la France semble souffrir davantage des conséquences économiques du coronavirus que ses voisins européens. Sur l’ensemble de la zone euro, le PIB a reculé de 3,8%. Un score bien meilleur que celui de la France. Même les pays européens les plus touchés par l’épidémie de coronavirus que sont l’Italie et l’Espagne ont réalisé de meilleures performances économiques que la France avec respectivement des chutes du PIB de 4,7% et 5,2%. Sans parler des États-Unis, où la baisse n’a été que de 1,2%. La Chine a par contre fait pire que Paris avec une baisse de son PIB de 9,8% sur le premier trimestre 2020.

PIB: «un retour en arrière de 15 ans!»

La France a mis en place un confinement sévère, à l’instar de l’Espagne ou de l’Italie qui, comme Paris, a plus souffert économiquement que les pays scandinaves ou l’Allemagne. Ces derniers ont bénéficié d’une meilleure préparation face à la crise sanitaire et ont pu mettre en place des politiques de sécurité moins restrictives. Première destination touristique mondiale, la France a également particulièrement souffert de la baisse d’activité dans ce secteur, qui pèse 7,4% du PIB.

Sur le plateau de nos confrères de BFM Business, l’économiste Jean-Marc Daniel a pointé du doigt la centralisation de l’économie française autour de deux régions: l’Île-de-France et l’agglomération lyonnaise:

«Vous avez à peu près 40% de l’économie française. Quand vous bloquez les transports dans des régions qui sont aussi concentrées, vous avez un effet qui est l’incapacité de déplacement de la main-d’œuvre.»

 Enfin, Paris n’a pas lésiné sur les moyens afin de protéger les salariés. La France a, selon le gouvernement, mis en place le système de chômage partiel «le plus protecteur d’Europe».

​Ce dernier permet aux travailleurs de toucher 84% de leur salaire net (100% dans le cas d’un SMIC) alors que Berlin a décidé de plafonner ces aides à 60% du salaire net concernant les employés sans enfants et 67% pour les parents. L’Espagne a quant à elle fait le choix de limiter le taux à 70%.

«Surtout, le système français s’avère beaucoup plus ouvert et compte désormais plus de 11 millions de bénéficiaires, contre moins de quatre millions de personnes en Espagne et cinq millions en Italie. Mais ces chiffres sont provisoires et augmentent de jour en jour. En Italie, les demandes (en attente du versement) s’élèvent à près de huit millions de personnes. De même en Allemagne, où en mars et en avril, les demandes pour du chômage partiel concernaient au dernier pointage 10,1 millions de salariés», précisent nos confrères de BFM Business.

Un poids économique colossal pour l’État qui risque de sévèrement peser sur la reprise. Pour Marc Touati, elle sera, quoi qu’il arrive, lente et laborieuse:

«Dans ce cadre, même en faisant l’hypothèse optimiste d’une croissance annuelle moyenne de 2% à partir de 2021 (contre, rappelons-le, 1% au cours des quinze dernières années), la France ne retrouvera son niveau de PIB de la fin 2019 qu’en… 2026. D’ici là, le taux de chômage augmentera durablement vers des niveaux inconnus, d’au moins 15%. Pour mémoire, son sommet historique a été atteint au deuxième trimestre 1994, à 10,8%. C’est dire l’ampleur de la crise sociale et sociétale qui nous attend.»
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