Sécurité au Sahel: Le Maroc face à ses choix stratégiques

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Vu d’Afrique de l’Ouest, le Maroc est un incontournable partenaire économique qui considère cette région comme son prolongement naturel. Mais Rabat se prévaut également d’une vision sécuritaire au Sahel, à l’instar de son voisin l’Algérie, et tente de s’y imposer avec une approche combinant sécurisation et déradicalisation.

Le Maroc a engagé depuis une quinzaine d'années une offensive diplomatique et politique sur le continent africain. Cette stratégie se base sur une dynamique d’expansion de ses entreprises en Afrique de l’Ouest.

Former President Macron's security aide Alexandre Benalla appears before the French Senate Laws Commission prior to his hearing, in Paris Monday, Jan.21, 2019. Benalla has been taken into police custody last week in an investigation of possible misuse of diplomatic passports and then released. (AP Photo/Christophe Ena) - Sputnik Afrique
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Phosphate, banques, assurances, télécommunications, transport aérien, services agricoles, négoce de matières premières… les groupes nationaux font désormais partie du paysage économique et financier de tous les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao).

«En l’espace de vingt ans, le Maroc a signé pas moins de 949 accords avec les États africains», indique à Sputnik Emmanuel Dupuy, spécialiste des questions de sécurité européenne et de relations internationales et président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).

«Le Maroc est le premier investisseur dans la Communauté économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). C’est, singulièrement, l’un des principaux investisseurs dans une autre région qu’est la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac) et le deuxième émetteur africain d’investissements directs étrangers (IDE), après l’Afrique du Sud, sur tout le continent africain», relève le chercheur.

L’expérience marocaine

Selon Emmanuel Dupuy, l’offensive continentale des Marocains ne se limite pas uniquement aux sphères économique et financière, les domaines de la sécurité et de la déradicalisation figurent également dans leur agenda.

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Rencontré en février dernier au Forum de Bamako, un cadre de réflexion sur l’Afrique qui se tient tous les ans dans la capitale malienne, Hassan Saoudi est consultant en sécurité et en stratégie et chercheur associé à l’Institut royal des études stratégique du Maroc (IRES). Il a également fait une carrière d’officier dans les rangs de la gendarmerie royale. Interrogé par Sputnik, il estime que les autorités du royaume «sont préoccupées par ce qu’il se passe au Sahel, devenue une région sujette à une menace globale».

«Les États d’Afrique de l’Ouest et du Sahel font face au terrorisme, à la criminalité transnationale organisée, à la traite des êtres humains et, évidemment, à la menace cybernétique. Le Maroc a une expérience dans ces domaines et apporte son expertise à des pays amis comme le Mali, la République centrafricaine et le Sénégal. Nous avons mis en œuvre des coopérations bilatérales, des exportations d’expériences et d’expertises pour les États qui en sont demandeurs. S’il y a de l’intérêt pour cette expertise, cela signifie que le Maroc a quelque chose à offrir», soutient Hassan Saoudi.

«Reformatage»

Sur le plan opérationnel, les services de renseignement et l’armée marocaine ne sont pas concrètement présents sur les terrains de lutte contre le terrorisme. Rabat ne dispose pas des moyens de projection pour un engagement réel au Sahel, espace où évoluent les groupes djihadistes. Son apport en matière de sécurité se déroule plutôt sur le plan du soutien financier et politique aux membres du G5 Sahel qui réunit Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad. Des experts marocains interviennent également dans la formation de certaines armées de la sous-région.

Hassan Saoudi met par ailleurs en avant l’expertise marocaine en matière de déradicalisation qui permet d’engager une lutte «en amont» contre le radicalisme religieux. Selon lui, le royaume a mis en œuvre une série de mécanismes qui permettent de sensibiliser la société et de prôner un islam modéré. Parmi eux, l’Institut Mohammed VI de formation des imams et mourchidines (prédicateurs), qui forme également des étudiants originaires de pays d’Afrique de l’Ouest, et des moyens médiatiques comme la chaîne de télévision coranique Mohamed VI et la radio coranique Mohamed VI, qui sont «des outils de sensibilisation très importants».

«Ce modèle est exportable et adaptable car chaque espace a ses spécificités. Il faut en permanence adapter les modèles de prévention et de déradicalisation à un milieu donné afin qu’ils donnent des résultats probants. Nous faisons un reformatage par la science pour permettre une réinsertion. C’est cela finalement: il faut arracher toute velléité de revenir au terrorisme à certains de nos concitoyens africains», explique l’expert marocain.

«Légitimité historique»

Pour Emmanuel Dupuy, le Maroc s’avère être le mieux indiqué pour accompagner le processus de déradicalisation dans les pays d’Afrique de l’Ouest, et particulièrement au Sahel. 

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D’après lui, son principal atout réside dans une «légitimité historique» remontant à la Tijaniyya de Fès, et ce pour contrer un «islam importé plus prosélyte d’origine wahhabite, qu’il s’agisse du takfiriste et de son pendant salafiste très ancré dans la péninsule arabique, qui a fortement affaibli les systèmes politiques et sociaux endogènes depuis une trentaine d’années».

«L’approfondissement, l’enracinement, voire l’émergence d’une "soft" diplomatie spirituelle du Maroc dans le champ religieux ne sont pas des phénomènes nouveaux car ils s’appuient sur de vraies racines ouest-africaines basées sur les dimensions soufie et de l’islam malékite. Il ne faut pas oublier la puissance et l’attractivité symbolique que représente la Tijaniyya de Fès où se situe le mausolée du fondateur de la confrérie soufie, Abou Abbas Ahmed Ibn Mohamed Tijani. Autre élément de puissance: l’importance temporelle et spirituelle que revêt le titre de Commandeur des croyants accordé à l’héritier de l’empire chérifien. La bonne gestion des affaires religieuses par le biais de la Commanderie des croyants conforte cette assise sur ce que l’on qualifie souvent "d’Islam du juste milieu"», assure le président de l’IPSE

Combler le vide

La paternité de la confrérie Tijaniyya, qui compte de très nombreux adeptes au Sénégal et en Afrique de l’Ouest, est une des questions qui opposent le Maroc à son voisin algérien. La localité d’Aïn Madhi, dans la wilaya de Laghouat (400 km au sud d’Alger), lieu de naissance d’Ahmed Tidjani (1781-1782), est reconnue comme étant le centre intellectuel, culturel et historique de la Tijaniyya.

Interrogé par Sputnik sur l’offensive du Maroc en Afrique, le professeur Yahia Zoubir, directeur de recherche en géopolitique à la Kedge Business School (Marseille, France) et chercheur-résident au Brookings Doha Center (Qatar), estime que l’objectif est «d’obtenir un soutien sur la question du Sahara occidental, un des fondements de sa politique étrangère». 

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Le professeur Zoubir rappelle que durant la guerre froide, le Maroc agissait en Afrique «par procuration» et il demeure aujourd’hui «un élément de la stratégie française en Afrique, surtout en Afrique de l’Ouest». Aujourd’hui, il veut être perçu «comme un allié indispensable des pays occidentaux dans la lutte antiterroriste». Pour le royaume, le point essentiel reste «le Sahara occidental, qu’il cherche à annexer depuis 1975. Il tente aussi constamment de contrecarrer l’influence de l’Algérie dans le continent africain et a profité du vide laissé par son voisin».

«Le Maroc a utilisé les investissements économiques dans certains pays d’Afrique francophone comme moyen de projection de son soft power qui trouve son prolongement au sein de l’Union africaine. Cependant, il ne peut pas prétendre à un leadership en Afrique comme l’avait fait l’Algérie jusqu’à l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999. L’ancien Président algérien avait totalement négligé et même ignoré l’Afrique subsaharienne», relève le chercheur algérien.

Yahia Zoubir ajoute que les autorités marocaines ont tendance à profiter des «États faillis» qu’elles n’hésiteraient pas à subventionner.«C’est le cas notamment de ceux qui ont ouvert, moyennant paiement, des consulats dans les villes de Laâyoune et Dakhla», explique-t-il. À l’heure actuelle, les conditions qui ont conduit à l’ouverture de ces représentations diplomatiques restent encore inconnues, les preuves de rémunération n’ayant pas été confirmées. 

Pour la République arabe sahraouie démocratique (RASD), qui jouit du statut d’État au sein de l’Union africaine, cette démarche marocaine d’encourager l’ouverture de consulats sur le sol du Sahara occidental est une «violation flagrante de l'acte constitutif» de l’organisation continentale, notamment en matière de respect des principes «défense de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de ses États membres».

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