Éclatement de la zone euro? L'Italie face à un nouvel ultimatum allemand

© AFP 2023 YANN SCHREIBERLe siège de la BCE, à Francfort, en avril 2020.
Le siège de la BCE, à Francfort, en avril 2020. - Sputnik Afrique
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La Cour constitutionnelle allemande a exigé que la Banque centrale européenne prouve le bien-fondé de sa politique de soutien budgétaire aux États de la zone euro avec, dans le collimateur, les pays de l’Europe du Sud. Une très mauvaise nouvelle pour l’Italie, dont les titres de dette viennent d’être classés «junk bonds».

Va-t-on vers une aggravation de la crise de la dette souveraine dans la zone euro?

Ce 6 mai, Giuseppe Conte, président du Conseil des ministres italien, est monté au créneau pour défendre la politique budgétaire de la Banque centrale européenne (BCE).

 «Il n’appartient à aucune cour constitutionnelle de décider ce que la BCE peut faire ou ne peut pas faire. Son indépendance est un pivot des traités européens, qui sont reconnus aussi par l’Allemagne», a plaidé ce 6 mai l’homme d’État dans une interview au quotidien Il Fatto Quotidiano.

La veille, la plus haute juridiction constitutionnelle allemande a tapé du poing sur la table, désavouant avec virulence la politique monétaire de la BCE. La Cour a ainsi donné raison à une plainte collective d’environ 1.500 Allemands, parmi lesquels des économistes et des professeurs de droit constitutionnel. Le tribunal de Karlsruhe a exigé que la Banque centrale allemande cesse d’ici à trois mois d’acheter des emprunts d’État de la zone euro pour le compte de la BCE. Sauf, ont précisé les juges, si cette dernière était bel et bien en mesure de prouver que ces rachats de titres de dette souverains étaient justifiés. Dans le cas contraire, la Bundesbank serait obligée de cesser son programme d’achats de titres.

L’Europe du Sud dans le collimateur de l’Europe du Nord

Ce jugement illustre une fois encore la défiance de l’Allemagne à l’égard d’une Europe du Sud, jugée laxiste. Depuis la crise de la dette de la Grèce, en 2012, Berlin n’a eu de cesse de rappeler ses partenaires européens à la rigueur budgétaire imposée par les traités européens.

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Or, au mois de mars, la BCE a décidé de relancer la planche à billets, en créant quelque 750 milliards d’euros –le fameux «quantitative easing», l’assouplissement quantitatif–, à destination des banques et des marchés financiers, censés les redistribuer sous forme de prêts, tant aux entreprises qu’aux États. Les traités européens, celui de Maastricht puis celui de Lisbonne, imposent en effet aux pays membres de ne refinancer leur dette que sur les marchés financiers.

Mais, avec la pandémie et l’effondrement de l’activité économique, de nombreux pays se voient contraints de subventionner leur économie. C’est le cas de l’Italie, à la fois l’un des pays les plus endettés de la zone euro et l’un des plus durement touchés par le Covid-19, avec pour conséquence l’effondrement de la confiance des marchés dans la dette italienne. Rome a ainsi vu les rendements qu’elle doit servir pour placer ses titres de dette atteindre des sommets. La situation financière transalpine est à ce point critique que l’agence d’évaluation financière Fitch a dégradé sa note de crédit à un cran seulement au-dessus de la catégorie spéculative («junk»), relate ainsi Reuters.

Face au séisme, et sans doute conscient qu’un effondrement de l’Italie, troisième économie de la zone euro, pourrait bien entraîner l’ensemble européen dans sa chute, le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, a toutefois tenté de minimiser le jugement, arguant que le tribunal avait néanmoins «clairement jugé» que le quantitative easing n’était pas un financement monétaire au sens strict des dettes souveraines, et que le programme était conforme à la Constitution allemande, qui, rappelons-le, se place toujours dans l’ordre juridique allemand au-dessus des traités européens.

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Du fait d’un euro taillé sur mesure pour son économie et d’excédents commerciaux colossaux, l’Allemagne s’est imposée comme le créancier de plusieurs pays du Sud de l’Europe à travers le système complexe de Target 2. Mis en avant depuis 2011 comme un outil contre la crise de la dette souveraine, ce système sert de chambre de compensation aux Banques centrales nationales de la zone euro. Problème: ces dernières sont autorisées à accumuler les dettes d’autres pays sans pour autant avoir obligation de les rembourser. Le système Target 2 les classe comme dettes «sans risque». Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui dans le cas de l’Italie.

Selon le think tank anglo-saxon OMFIF, la Bundesbank détenait à la fin du mois de mars 2019 quelque 935 milliards d’euros de créances sur les autres Banques centrales européennes. Autant d’actifs «pourris» en cas de banqueroute de ses débiteurs. «On voit le retour de la même discussion qu’en 2010-2012 lors de la crise de la zone euro: qui doit payer –et comment– les frais de la crise sanitaire, économique et sociale?», note Christophe Bouillaud, professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble, dans un interview à Atlantico.

«Les lignes de partage sont toujours les mêmes: les pays “fourmis” (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande) contre les pays “cigale” (Italie, Espagne, Grèce, Portugal), avec la France “mi-cigale, mi-fourmi”, qui essaye de satisfaire les deux camps alternativement».

Interviewé par BFMTV, Nicolas Beytout, le patron des Échos et de L’Opinion, a affirmé le 5 mai qu’il n’y avait pas d’«argent magique». Il commentait ainsi les mesures de chômage partiel françaises. Face à la crise économique qui s’annonce, les États eux-mêmes pourraient découvrir que les lignes de crédit ne sont pas sans limites pour eux non plus.

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