«Covid-Organics»: l’improbable coup de poker du Président Andy Rajoelina

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Madagascar, géant de la biodiversité mondiale, vient au secours des malades du coronavirus avec une tisane censée guérir la maladie. Mais entre le scepticisme des détracteurs du médicament et l’euphorie panafricaniste qui a accueilli l’initiative du Président Rajoelina se jouent peut-être d’autres considérations.

En bon homme d’affaires prospère, le Président malgache Andry Rajoelina n’est pas loin d’être aussi un redoutable spécialiste du marketing politique et commercial. Alors que les firmes pharmaceutiques mondiales ont engagé une course de vitesse au vaccin contre la pandémie de coronavirus, le chef de l’État malgache «met» sur le marché africain un «médicament» appelé «Covid-Organics» (CVO). Un «remède curatif et préventif» sous forme de tisane fabriqué à base d’artémisia par l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA). C’est le 24 avril que le produit a été officiellement lancé par Andry Rajoelina.

Par visioconférence avec certains de ses homologues africains, le Président malgache a vanté l’utilité de la CVO pour l’Afrique dans un «contexte de guerre», où leadership et vision sont nécessaires pour vaincre «un ennemi invisible» et sans frontières. Des échantillons de la «tisane» ont déjà été offerts à plusieurs chefs d’État ouest-africains ainsi qu’à ceux du Tchad et du Congo. Sur son compte Twitter règne une effervescence panafricaniste.

Dans l’attente des décisions d’homologation ou de rejet du CVO par les pays africains concernés, cette offensive médicale du Président Rajoelina appelle beaucoup d’interrogations.

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Madagascar n’étant pas un géant politique du continent comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud, son leader pourrait avoir été motivé par des considérations liées aux intérêts propres à son pays.

Madagascar dont on oublierait parfois qu’elle appartient à l’Afrique, est la cinquième plus grande île du monde (environ 587.000 km2) avec près de 26 millions d’habitants. Une insularité qui semble la confiner malgré elle à la périphérie du continent. Rajoelina chercherait-il pour son pays une revanche sur l’histoire, un temps de gloire et d’influence auprès de ses pairs à travers la Covid-Organics?

«À supposer même qu’un tel procès d’intention soit justifié, ce dont je doute, il s’agirait d’un aveu cinglant pour le sinistre projet ‘françafricain’ qui a constamment mais vainement tenté de séparer Madagascar du continent mère. L’évidence géographique et humaine, de même que l’histoire politique, disent que la République malgache est un membre fondateur de l’Oua [Organisation de l’unité africaine, ancêtre de l’Union africaine, ndlr] et de l’UA», rectifie le Dr Dialo Diop, médecin biologiste interrogé par Sputnik.

La crise sanitaire qui a déréglé le monde entier ne laisse que peu de gouvernants indifférents aux implications diverses qu’elle porte pour les États et leurs intérêts bien compris. Selon Abdou Khadre Lô, directeur Afrique du cabinet Access Partnership, chacun peut y trouver à gagner, d’une manière ou d’une autre. Pour Madagascar, «nain politique» sur le continent, une redistribution éventuelle des cartes passerait par l’économie, et plus précisément le tourisme, estime ce politiste dans une déclaration à Sputnik.

S’imposer en Afrique, et asseoir sa légitimité à Madagascar

«En dépit du potentiel faramineux de sa biodiversité, la Grande Île (surnom donné à Madagascar) tarde à devenir une destination touristique majeure comme le Kenya, l’Afrique du Sud, le Maroc ou la Tunisie. La Covid-Organics est donc une fabuleuse aubaine pour le Président Andry Rajoelina de rappeler que son pays existe et qu’il est sur la carte du monde», souligne Abdou Khadre Lô. 

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Au cœur du Covid-19, Madagascar s’est donc rappelé au bon souvenir des Africains. Et pour le Président Rajoelina, revenu au pouvoir en janvier 2019 après un premier mandat (2009-2013) à la légalité diversement interprétée, c’est peut-être le temps de la vraie reconnaissance après les luttes violentes des années 2010 avec son éternel ennemi: l’ancien Président Marc Ravalomanana (2002-2009).

«Clairement, il se positionne comme un leader dont l’Afrique et le monde parlent. Et au plan intérieur, en écrasant la concurrence politique, il peut aisément arborer l’habit du chef charismatique impulsant une nouvelle dynamique africaine vers le produire et le consommer local. Il apparaît comme ce Président innovateur qui booste une nouvelle Afrique décomplexée et fière de sa médecine traditionnelle», souligne Abdou Khadre Lô.

Selon le Dr Dialo Diop, la lecture de l’initiative du Président Andry Rajoelina pourrait être plus pertinente et utile si le débat était dépersonnalisé pour être placé sur l’échelle des enjeux médicaux en Afrique. «Une offensive du Président malgache en direction de ses pairs africains de la Cedeao par exemple (même pour la juste cause de notre souveraineté scientifique et en l’occurrence pharmaceutique) serait sans doute vouée à l’échec vu le profil politicien desdits Présidents. Mais si pareil souci d’autonomisation collective africaine à l’égard de "Big Pharma" existait réellement, il serait bien venu et salutaire.»

La Cedeao non partante, l’Union africaine prudente

Les instances politiques continentales, quant à elles, apprécient diversement l’initiative du Président Rajoelina. Si l’Union africaine (UA) temporise l’euphorie malgache, en attendant d’y voir plus clair, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), elle, s’en dissocie nettement tout en laissant la porte ouverte à une collaboration avec les autorités d’Antananarivo.

Pourtant, pour le Dr Dialo Diop, qui se trouve être un disciple du Pr. Cheikh Anta Diop dont il a hérité le Rassemblement national démocratique (RND), le parti fondé sous le régime du Président Léopold Senghor, le débat mérite d’être déplacé ailleurs:

«Pour les patriotes africains, il y a plutôt lieu de se réjouir que de s’inquiéter que, pour une fois, un État africain partage gracieusement avec ses compatriotes du continent une découverte scientifique locale en la soumettant à la vérification clinique expérimentale d’autres experts africains. Par ces temps de panique planétaire, c’est un excellent signal à la fois de solidarité humaine et de lucidité politique.»
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