Covid-19 et Sahel: «Une catastrophe humanitaire se prépare», selon les agences onusiennes

© AFP 2023 PHILIPPE DESMAZESDes enfants tirent de l'eau (nord du Mali)
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Les agences humanitaires et les ONG ont alerté sur les conséquences directes et indirectes du Covid-19 au Sahel. L’accumulation des crises dans cette région en proie aux conflits et à l’insécurité alimentaire requiert une attention urgente et un soutien accru, avertissent-elles. Sputnik France passe en revue les besoins.
«Nous sommes confrontés à une crise sans précédent en matière de déplacement et de protection dans la région. Des centaines de milliers de personnes ont déjà été contraintes de fuir et doivent maintenant faire face à l'incertitude supplémentaire apportée par le coronavirus», a prévenu Millicent Mutuli, directrice du bureau régional du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) pour l'Afrique de l’Ouest et du Centre, lors d’une visioconférence à laquelle Sputnik France a eu accès.

Réunis en ligne pour répondre aux questions depuis Dakar, les représentants des bureaux régionaux des différentes agences humanitaires des Nations unies et des organisations non gouvernementales officiant au Sahel ont lancé un cri d’alarme, ce jeudi 14 mai, face au cumul des crises et à la détérioration rapide de la situation sous l’effet de la pandémie.

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Un communiqué émanant du bureau régional de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) pour l'Afrique de l’Ouest et du Centre, dont Sputnik France a eu copie, précise:

«L’intensification des conflits, l'insécurité alimentaire croissante, les inégalités structurelles et les conséquences directes et indirectes du Covid-19, telles que la montée de la violence sexiste, ont entraîné des besoins humanitaires à travers la région à des niveaux sans précédent.».

Pour Millicent Mutuli, ces crises cumulées risquent de dévaster la région, déjà en proie à de nombreux conflits. «Elles nécessitent une attention urgente et un soutien accru car des millions d’individus sont en danger», argue la directrice du bureau régional du HCR. En effet, si les communautés locales ont fait preuve, jusqu’à présent, d'une générosité remarquable en accueillant les personnes déplacées et les réfugiés, «elles ne peuvent plus faire face sans un soutien urgent car les capacités nationales sont dépassées», prévient-elle.

«La situation au Sahel était déjà en train de devenir intenable avec une crise humanitaire à plusieurs niveaux. Nous devons maintenant agir rapidement si nous voulons éviter une catastrophe humanitaire!», a averti Millicent Mutuli.

Selon les chiffres du HCR, 6,9 millions d’individus sont actuellement confrontés aux conséquences désastreuses des déplacements forcés en raison de la violence généralisée dans la région et des catastrophes naturelles. Plus de 4,5 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur de leur pays ou réfugiées –soit un million de plus qu'en 2019– et 2,5 millions de «retournés» luttent pour reconstruire leur vie.

Des contributions qui n’arrivent pas

Pour Maureen Magee, directrice régionale du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), la violence et les opérations militaires ne vont pas s'arrêter là. Elles risquent même de repartir de plus belle avec la propagation du Covid-19. Par conséquent, comment continuer à être en capacité de fournir des réponses humanitaires et garantir l’accès pour les personnels humanitaires? Ceux-ci sont en première ligne et donc essentiels pour protéger les communautés de déplacés et d’accueil face à une épidémie dévastatrice.

«Les équipes doivent pouvoir rester sur le terrain afin de fournir une assistance en adaptant leur réponse pour garantir que l'aide essentielle soit apportée en toute sécurité. La solidarité régionale et internationale est essentielle et le soutien des bailleurs, nécessaire, de toute urgence», a clamé Maureen Magee.

Pour Julie Belanger, cheffe du bureau régional d'OCHA, une action concertée est d’autant plus importante que la période critique de la soudure approche. «À un moment où la pandémie progresse rapidement dans la région, il est crucial que les ressources et les capacités ne soient pas détournées des opérations humanitaires en cours», insiste-t-elle.

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Au 14 mai, les 54 États africains comptaient 73.176 cas confirmés de coronavirus dont 27.000 cas pour l’Afrique de l’Ouest (15 pays) et l’Afrique du Centre (6 pays), selon les chiffres du Centre de prévention des maladies de l’Union africaine (CDC). Le nombre d’États inclus dans le Sahel étant calculé différemment, selon les agences onusiennes, il est difficile de donner un chiffre consolidé de cas de contamination au Covid-19 pour cette région. En revanche, son taux de progression –qui est passé de 26.000 à 27.000 cas en un jour pour les 21 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre– est celui qui est pris en compte pour le Sahel.

«Si nous n'agissons pas maintenant, la crise coûtera encore plus de vies, dévastera des communautés et se propagera dans de nouvelles régions et dans les pays côtiers d'Afrique de l'Ouest. L'avenir de millions de personnes, dont quatre sur cinq ont moins de 35 ans, est en jeu», a martelé Julie Belanger.

En 2020, les organisations humanitaires ont estimé à 2,8 milliards de dollars leurs besoins pour une assistance d’urgence à 17 millions de personnes au Sahel sur les 24 millions répertoriées à risque. Or, en mai, «seulement 18% de ces fonds avaient été reçus», selon le communiqué d’OCHA.

Selon un Plan de réponse humanitaire global Covid-19 (GHRP), les besoins financiers pour lutter contre la pandémie du coronavirus au Sahel s’élèvent à 638 millions de dollars, avec moins de 4% des fonds reçus à ce stade. D’où l’appel à contribution d’urgence «afin de permettre aux opérations humanitaires de prendre de l'ampleur et d’inverser la crise», précise encore ce communiqué.

Des pics de famine sans précédent

Cet effort financier des bailleurs de fonds est d’autant plus crucial que, selon le Programme alimentaire mondial (PAM), l'insécurité alimentaire en 2020 devrait atteindre des pics sans précédent, «avec plus de 12 millions de personnes confrontées à un manque critique de nourriture», prévient son directeur régional, Chris Nikoi. 

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Avant même que la pandémie ne balaye la région, «il existait déjà un cocktail toxique de conflits armés, de déplacements de population, de changement climatique et de perturbation des échanges commerciaux à l'intérieur et à l'extérieur des frontières», précise-t-il.

«Alors que la période de soudure annuelle approche et que l'impact socioéconomique de cette pandémie commence à se faire sentir, nous pourrions assister à une situation catastrophique pour des personnes déjà vulnérables si l'aide humanitaire n'est pas soutenue et si des mesures de protection sociale solides ne sont pas mises en place par les gouvernements», a prévenu Chris Nikoi.

À la FAO, le Coordonnateur sous-régional Gouantoueu Robert Guei s’est dit lui aussi très préoccupé par la succession et la superposition des crises qui frappent le Sahel.

«L’insécurité alimentaire, le Covid-19 et l'invasion potentielle de criquets pèlerins pourraient dévaster les moyens d'existence et la production alimentaire, affaiblissant la résilience du Sahel», craint-il.

Les communautés pastorales, déjà durement touchées par les effets du changement climatique et de l'insécurité, sont également affectées par la fermeture des frontières. Ce qui pourrait, selon lui, accroître les conflits entre éleveurs et agriculteurs. Sans parler des personnes à risque, qui restent «bloquées dans des situations précaires» en raison de la fermeture inattendue des frontières, souligne-t-il.

Opérations sanitaires et humanitaires

Selon Mamadou Diop, directeur régional d'Action contre la faim, le Covid-19 a le potentiel de briser les systèmes de santé fragiles, en frappant le plus durement les plus vulnérables. C’est pourquoi il demande que l'accès des populations aux services de santé, y compris de santé psychologique et sexuelle, soit préservé, «en particulier dans les zones touchées par les conflits, où les besoins dépassent les ressources disponibles», plaide-t-il. 

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«Ces communautés luttent pour survivre dans des conditions de vie précaires, sans accès adéquat à l'eau et à l'assainissement et sont déjà confrontées à de multiples risques d'épidémie», a averti Mamadou Diop.

Aussi faut-il, selon lui, maintenir un lien étroit entre les opérations sanitaires et humanitaires pour «atténuer les conséquences multisectorielles de la pandémie» et «garantir une réponse cohérente et efficace pour protéger les plus vulnérables».

«Les migrants et les populations déplacées ont un accès limité aux systèmes de santé publique et ne peuvent pas être testés ou traités contre le Covid-19», a confirmé Sophie Nonnenmacher, directrice régionale de l'Organisation internationale des migrations (OIM).

Avec l'insécurité croissante dans la région et le respect des mesures barrières édictées pour lutter contre la pandémie, il est devenu de plus en plus difficile pour les humanitaires d'accéder aux communautés vulnérables. Au Mali, par exemple, la Minusma a suspendu depuis la fin mars ses vols à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, hormis pour le fret cargo.

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