Tri des malades, masques: l’heure du bilan a-t-elle vraiment sonné?

© Photo Pixabay / rottonaraUne homme porte un masque de protection
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Le déconfinement et la perspective des congés d’été ont remplacé sur les écrans et dans le cœur de nombreux Français les morbides statistiques quotidiennes du Covid-19. Si l’exécutif assure que l’heure n’est pas au bilan, les polémiques autour des masques, des respirateurs ou encore du discret tri des patients attendent des réponses. Analyse.
«On a parfois dû arrêter les soins des plus de 70 ans, pour libérer des lits, mettre des plus jeunes… On ne s’y attend pas. Et on ne s’en remet pas», relate à la rédaction du Parisien, dans un article paru le 17 mai, une infirmière en réanimation d’un hôpital de la capitale.

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Oui, les hôpitaux ont bien procédé au «tri» des patients
Un énième témoignage qui vient donner corps à une réalité qui pour l’heure semble rester médiatiquement sensible et politiquement mal assumée. Une attitude timorée qui contraste avec le principe de réalité qui prévaut dans des services hospitaliers, submergés par l’affluence de malades graves. «Évidemment, ce que l’on veut, dans une situation de pénurie relative de lits, c’est de prioriser les malades qui ont le plus de chance de survie» expliquait brutalement, à la mi-mars, le professeur Bertrand Guidet, au micro de France télévision.

Chef du service de réanimation de l’Hôpital Saint-Antoine de Paris, il rappelle que l’objectif final de la réanimation est de sauver des vies. Un médecin qui, comme le rappelaient alors les journalistes du service public, est l’un des coauteurs d’une note sur la priorisation des admissions en réanimation, suivant des critères tels que l’âge, l’état de santé général ou neurocognitif.

Le Canard enchaîné a rappelé fin avril l’existence de cette note de l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’Île-de-France et s’est demandé quel avait été son impact sur les admissions des malades les plus âgés et donc sur «l’aggravation du bilan de l’épidémie» pour ces derniers.

Des malades qui, dans le cas du coronavirus, sont également de loin les plus vulnérables. Le palmipède a souligné dans un premier temps la nette diminution de la part de lits de réanimation occupés par des patients âgés de 75 et plus dans les services de réanimation au plus fort de la crise. Puis, dans un second temps, le «Canard» a relaté que dans un hôpital public francilien, «aucun patient de plus de 70 ans n’avait été admis en réa durant les six jours les plus critiques de la crise».

Les aînés abandonnés face au virus? Une dure réalité, pour l’heure taboue en France, alors que le phénomène était pourtant documenté en Italie et même en Espagne, à coups d’images montrant des patients s’entassant à même le sol dans les couloirs des hôpitaux. D’ailleurs, les journalistes français travaillant en Italie avaient eux-mêmes tenu à alerter l’opinion et l’exécutif avant que la vague épidémiologique ne frappe l’Hexagone.

Comme l’expliquait à Sputnik une avocate, il n’est pas nécessaire d’être à l’hôpital pour se voir refuser l’accès aux soins intensifs, le tri des patients pouvant s’effectuer en amont de l’hospitalisation elle-même. Nous étions alors en pleine polémique autour d’un discret décret élargissant aux Ehpad et aux personnes hospitalisées à domicile le recours au Rivotril, à des fins de soins palliatifs pour les personnes refusées en soins intensifs.

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Ce silence médiatico-politique interpelle. Durant la crise, l’exécutif –et derrière lui les autorités sanitaires– a plaidé pour que tous fassent bloc, que nulle critique ne vienne ébrécher l’union nationale face au virus qui ravageait (avec une certaine inégalité) le territoire. Aujourd’hui, alors que le déconfinement s’est amorcé et que l’on appelle les Français à reprendre une vie professionnelle quasi normale, «le temps n’est pas au bilan», a estimé Emmanuel Macron, qui s’est essayé à une tentative d’autocritique, non sans provoquer un tollé.

En cause, ses propos sur les masques, lorsqu’il déclare à BFMTV que la France n’a «jamais été en rupture de masques», précisant toutefois qu’il y a bien eu des «manques», des «tensions». Pourtant, ce n’est pas cette phrase qui devrait retenir l’attention de l’opposition et des Français, mais bien celle qui suit, lorsque le chef d’État ajoute

«Ayons collectivement l’honnêteté de dire qu’au début du mois de mars, encore plus en février et en janvier, personne ne parlait des masques, parce que nous n’aurions jamais pensé être obligés de restreindre la distribution de ceux-ci pour les soignants.»

Au premier abord, étonnant propos pour un chef d’État qui avait dès la campagne présidentielle été averti par l’actuel directeur général de la Santé (DGS) du degré d’impréparation de la France face à une possible pandémie. Un coup de semonce auquel s’est ajouté celui, fin décembre, de l’ambassadeur de France à Pékin ou encore celui d’Agnès Buzyn en janvier, si l’on en croit les aveux au Monde de l’ex-ministre de la Santé. L’ensemble de ces éléments plaide en faveur de la thèse selon laquelle le sommet de l’exécutif était bel et bien averti de la menace que représentait le Covid-19 pour les Français.

Olivier Véran reste, lui aussi, sur la ligne gouvernementale: si on admet des failles, c’est en réalité pour mieux défendre les mesures prises sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. À l’issue du Conseil des ministres du 20 mai, le ministre de la Santé a ainsi déclaré avoir «entendu» le message des soignants. Il ajoutait que «nous avons fait le bon diagnostic, nous avons pris les bonnes orientations. Mais nous n’avons été ni assez vite ni assez fort» dans cette réforme de l’hôpital qui –jusqu’à l’arrivée de la pandémie– avait jeté le corps hospitalier dans la rue. Un penchant à l’autosatisfécit auquel les Français avaient déjà largement goûté sous la mandature de François Hollande.

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En somme, si après l’exercice télévisé du Président de la République, certains observateurs saluent un chef de l’État qui «sort de sa zone de confort» en concédant des manquements, Emmanuel Macron n’en reste à l’évidence pas moins dans le «en même temps». Une posture sur laquelle s’aligne celle de l’exécutif. Épris d’une grande prudence, le gouvernement ne ferme pas la porte à l’éventualité d’une seconde vague. Mais s’agit-il d’une prudence motivée par l’inquiétude de voir des Français mourir ou de celle de possibles retombées pénales?

Une peur du juge plus forte que celle du virus?

Le vote à l’unanimité d’un amendement au Sénat, au projet de loi prorogeant l’État d’urgence sanitaire, précédé la veille de la publication dans le Journal du Dimanche (JDD) d’une tribune cosignée par 157 parlementaires de la majorité, en dit long sur la fébrilité dont fait part l’exécutif face à ce qui pourrait advenir après la pandémie.

Censée initialement «protéger les maires pénalement, mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement», l’amendement sera élargi à tous, vraisemblablement pour des raisons constitutionnelles. Reste l’impression, dénoncée par certains avocats, qu’il s’agissait d’une «autoamnistie». Pour autant, l’objectif principal de cet amendement, rassurer les maires qui furent, après les soignants, jetés au front, n’est clairement pas rempli.

En effet, comme le précisait à Sputnik l’avocat Fabrice Di Vizio, cette initiative législative n’altère en rien la responsabilité pénale des élus qui prennent la décision, par exemple, de rouvrir les écoles alors que le Conseil scientifique s’est publiquement prononcé contre. Une responsabilité, dont s’est dédouané bien plus efficacement l’État, en communiquant aux maires et chefs d’entreprises des listes particulièrement exhaustives de mesures à respecter dans le cadre du fameux déconfinement.

Les édiles qui, à l’occasion du congrès annuel des maires en décembre, réclamaient à Emmanuel Macron plus de responsabilités ont finalement été servis…

«Je vois leurs visages, celui des gens morts, morts, car on n’avait pas de matériel pour les intuber», témoignait encore cette infirmière au Parisien.

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La soignante, qui n’était visiblement pas novice dans les services de réanimation, avertissait que «s’il y a une deuxième vague, je n’irais pas…». Un témoignage terrible, qui, là encore, jette la lumière sur les carences dont l’hôpital a jusqu’à présent souffert durant cette crise.

Si le bilan n’est pour l’heure pas politique, sur le plan humain, il s’avère toujours aussi douloureux pour la France. Le 17 mai, soit à la veille de la première semaine de déconfinement, on apprenait que le Covid-19 avait tué 483 malades au cours des dernières 24 heures, soit près de 60% du bilan enregistré le même jour aux États-Unis, pays pourtant six fois plus peuplés que la France.

Une statistique morbide peu relayée dans les médias qui, comme Jérôme Salomon, mettent aujourd’hui l’accent sur la diminution du nombre de lits occupés en réanimation, et qui pourtant invite à réfléchir sur la manière dont se sont libérés les lits en question…

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