Une «tuerie de masse mondiale» provoquée par la Chine: Trump cherche-t-il un bouc émissaire?

© AP Photo / Alex BrandonDonald Trump
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Pékin est sous le feu des critiques pour sa gestion de la crise du coronavirus. L’Australie et les États-Unis ont demandé l’ouverture d’une enquête et une violente guerre des mots est en cours. Pékin est bien décidé à contre-attaquer. Mary-Françoise Renard, économiste et spécialiste de la Chine, a confié son analyse de la situation à Sputnik.
«Un cinglé en Chine vient de publier un communiqué accusant tout le monde, à l’exception de la Chine, pour le virus qui a tué des centaines de milliers de personnes.»

Coutumier des saillies remarquées sur Twitter, Donald Trump a attaqué avec virulence la Chine le 20 mai. Pourtant, le Président américain ne s’est pas arrêté là:

«Merci d’expliquer à cet abruti que c’est l’incompétence de la Chine, et rien d’autre, qui a provoqué cette tuerie de masse mondiale!», a-t-il ajouté, sans préciser à qui il faisait référence.

Le 18 mai, le locataire de la Maison Blanche déclarait déjà que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) était une «marionnette de la Chine». De fait, depuis plusieurs semaines, Donald Trump critique sévèrement l’OMS et la gestion de la crise du coronavirus par Pékin.

Une diplomatie chinoise plus «agressive»

D’après lui, les autorités chinoises auraient menti et seraient en partie responsables de la catastrophe sanitaire qui frappe la planète et a déjà causé la mort de plus de 323.000 personnes.

«Donald Trump est essentiellement dans une démarche électorale avec l’élection présidentielle de novembre dans le viseur. Il est en campagne et, dans le camp des Républicains, les sentiments anti-chinois sont très répandus. D’autre part, il faut garder à l’esprit que la Chine devient une puissance rivale des États-Unis et ces derniers ont beaucoup de mal à l’accepter», analyse Mary-Françoise Renard, économiste, professeur à l’Université d’Auvergne et responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine.

En face, Pékin dément formellement les accusations des États-Unis. Washington et Canberra ont réclamé l’ouverture d’une enquête internationale concernant la manière dont le Covid-19 s’est répandu à travers le monde après avoir été pour la première fois identifié dans la ville chinoise de Wuhan. Une démarche jugée «politisée» par Pékin.

«La diplomatie chinoise est devenue agressive avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, contrairement à la période précédente où Pékin souhaitait plutôt faire profil bas sur la scène internationale. Un tel revirement est surprenant pour les Occidentaux», explique Mary-Françoise Renard.

L’Organisation mondiale de la santé se trouve prise entre le marteau et l’enclume. Donald Trump reproche à l’organisation onusienne d’avoir ignoré plusieurs rapports concernant l’émergence du virus, qui dateraient d’après lui du mois de décembre.

​De plus il affirme que l’OMS est trop indulgente avec les autorités chinoises concernant leur gestion de la crise.

«Quant à savoir si la Chine a bien géré l’épidémie de coronavirus, c’est aux médecins de répondre. Mais d’après leur sentiment, il semble que cela soit plutôt le cas. La Chine n’étant pas le pays de la transparence, il était difficile d’obtenir des informations fiables au début de la crise. Mais des mesures ont été prises rapidement et il ne faut pas oublier qu’à l’époque, le niveau de danger représenté par ce virus était difficilement quantifiable», explique Mary-Françoise Renard. Avant d'ajouter:

Les actions mises en place en Chine ont été assez radicales et le sentiment qui prédomine sur le territoire chinois est celui d’une plutôt bonne gestion de la crise.»

Mi-avril, Donald Trump a suspendu le financement américain de l’OMS. Le 18 mai, il a carrément menacé de le geler de manière définitive si elle ne s’engageait pas à des «améliorations notables» dans un délai de 30 jours.

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Pour le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, le Président américain cherche à «salir les efforts de la Chine face à l’épidémie» de Covid-19. Zhao Lijian a demandé aux États-Unis de «cesser de rejeter la faute» sur Pékin et de se concentrer plutôt sur la lutte contre le coronavirus, qui a déjà contaminé plus de 1,5 million de personnes aux États-Unis et fait plus de 90.000 morts.

La tension monte également entre la Chine et l’Australie depuis que cette dernière a demandé l’ouverture d’une enquête internationale sur la réponse donnée par Pékin à la crise du coronavirus. La Chine a récemment pris une série de mesures commerciales punitives envers l’Australie, pour qui Pékin est son principal partenaire commercial. Dernière en date? Des droits de douane de 80,5% sur les importations d’orge australienne.

Bientôt de nouvelles guerres commerciales?

«Dire que je suis déçu est un euphémisme», a lancé David Littleproud, ministre australien de l’Agriculture. Officiellement, Pékin justifie cette décision par les subventions et le dumping australiens qui aurait «porté un coup considérable au secteur national». Mais le timing interroge, d’autant plus qu’à la suite de la demande d’enquête australienne, l’ambassadeur de Chine à Canberra, Cheng Jingye, avait brandi la menace d’un boycott des produits australiens.

D’après Mary-Françoise Renard, «la Chine est entrée en conflit avec l’Australie et a donc décidé de prendre des mesures commerciales qui sonnent comme des représailles.»

Pour Weihuan Zhou, expert en droit économique international à l’Université de Nouvelles-Galles du Sud (Australie), la dernière mesure commerciale restrictive prise par la Chine envers l’Australie est une «conséquence naturelle» d’une enquête gouvernementale sur les importations de céréales en provenance d’Australie. Il a cependant souligné auprès de l’AFP que le moment était révélateur.

«Il faut garder à l’esprit que l’attitude des autorités chinoises est aussi destinée à la population du pays, qui est très nationaliste. Le but est de démontrer que la Chine est devenue une grande puissance, capable d’imposer sa volonté à ses partenaires sur un certain nombre de sujets», souligne Mary-Françoise Renard.

L’Australie a menacé de porter l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). «Nous allons désormais travailler avec les autorités chinoises, calmement et méthodiquement, et nous nous réservons le droit d’aller devant l’OMC pour qu’un arbitre indépendant tranche cette question», a lancé David Littleproud.

​Le coronavirus pourrait-il être à l’origine de nouvelles guerres commerciales? Mary-Françoise Renard n’y croit guère: «Du côté de l’Europe, il est possible que s’engage enfin une réflexion sur la dépendance vis-à-vis de l’étranger, où la question de l’indépendance dans certains secteurs se poserait.» Elle poursuit:

Cependant, beaucoup parlent de la remise en cause de la mondialisation. Je n’y crois pas. Cela serait extrêmement coûteux et compliqué. En revanche, la montée en puissance de la Chine et son agressivité pourraient pousser certaines nations, dont les pays européens, à aller vers plus d’indépendance dans des secteurs stratégiques, comme celui de la santé. Mais cela ne signifie pas pour autant le déclenchement d’une guerre commerciale.»

En attendant, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, a assuré le 18 mai que son organisation avait «rapidement» et «souvent» sonné l’alarme concernant la pandémie de coronavirus.

Il a ajouté qu’une enquête indépendante sur la réponse donnée par l’organisme onusien et ses États membres face à la crise serait lancée «le plus tôt possible, au moment approprié». 

Concernant la guerre commerciale entre Washington et Pékin, il est difficile d’anticiper la suite, selon Mary-Françoise Renard: «Il faut que la crise actuelle se tasse et que les relations commerciales internationales reprennent de manière plus “habituelle”.» Elle conclut:

«J’ai récemment dialogué avec des chercheurs américains sur ce sujet et la seule chose qui apparaît claire est que les engagements pris par les deux pays avant la crise du coronavirus ne pourront pas être tenus pour le moment. Quant à savoir qui des États-Unis ou de la Chine fera le prochain mouvement, c’est toute la question.»
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