Agriculture locale: «les Québécois ne veulent plus travailler dans les champs»

CC BY-SA 4.0 / Judicieux / Paysage agricole, Saint-Malachie (Québec), septembre 2019
Paysage agricole, Saint-Malachie (Québec), septembre 2019 - Sputnik Afrique
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Avec le Covid-19, l’autonomie alimentaire est redevenue un thème d’actualité au Québec. Toutefois, l’agriculture locale dépend encore de travailleurs saisonniers migrants, qui continuent d’affluer pour les récoltes. Selon certains témoignages, il faudrait huit travailleurs québécois pour remplacer un seul travailleur mexicain. Mythe ou réalité?

Dans la Belle Province, la pandémie de Covid-19 a relancé le débat autour de la souveraineté alimentaire.

Comme d’autres chefs d’État à travers le monde, François Legault, Premier ministre québécois, envisage de restaurer l’autosuffisance de son État en matière de nourriture et de médicaments. Jusqu’à présent, une très grande quantité de fruits et légumes consommés par les Québécois proviennent des États-Unis et de pays latino-américains, comme le Mexique.

«Avec la pandémie qui sévit, le gouvernement semble reconnaître enfin la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement de certains secteurs de l’industrie québécoise et le rôle qu’elle peut jouer», peut-on lire dans le rapport de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques du Québec, publié le 13 avril dernier.

Le débat relancé, certains observateurs ont aussitôt rappelé qu’une grande partie de l’agriculture reposait toujours sur les travailleurs saisonniers, ce qui entrerait selon eux en contradiction avec le principe même d’autosuffisance. 

Chaque année pour les récoltes, les producteurs agricoles font appel à des travailleurs étrangers, en grande majorité latino-américains. Récemment, la presse a appris qu’un producteur de fraises et de framboises de l’île d’Orléans, près de Québec, avait préféré affréter un avion pour faire venir 166 travailleurs mexicains plutôt que de tenter de recruter au Québec. Les compagnies aériennes ayant suspendu la plupart de leurs activités, la facture s’élève pour l’entreprise à 140.000 dollars canadiens (91.600 euros).

Agriculture locale: des travailleurs latinos à la rescousse

«L’agriculture québécoise aura besoin de combien de Mexicains et de Guatémaltèques de plus pour augmenter de 1% son taux d’autosuffisance alimentaire? Ils sont déjà 16.000 à venir et ils fournissent l’équivalent de ce que feraient 32.000 Québécois», écrit Michel Morisset, professeur honoraire d’histoire et de politiques agroalimentaires à l’Université Laval, dans Le Devoir.

«Nous avons posé la question aux Québécois: ils ne voulaient plus faire ce travail. Les Québécois sont un peu devenus des enfants gâtés. On ne manque de rien, donc plus personne n’est motivé pour faire les travaux plus durs. À l’opposé, les travailleurs mexicains sont extrêmement motivés. Ils peuvent gagner ici en une heure ce qu’ils gagnent en une journée au Mexique», affirme à Sputnik Daniel Mercier, ex-propriétaire d’une vaste plantation de sapins en Beauce.

Située au sud de la capitale de Québec, la Beauce est l’une des régions où arrivent chaque année quelques centaines de travailleurs mexicains et guatémaltèques. Daniel Mercier, qui a planté 40.000 sapins chaque saison pendant 40 ans, explique qu’il n’aurait pas pu se passer d’eux à partir des années 2010, lorsqu’il y a eu «un changement de mentalité et de démographie». «Je ne peux pas vous dire s’il faut huit Québécois pour remplacer un Mexicain, mais il en faut plusieurs, ça c’est certain», nous confie-t-il. Ces dernières années, son entreprise a d’ailleurs écoulé des sapins de Noël jusqu’au Mexique.

«C’est incroyable à quel point les Mexicains sont dévoués. Au début, je voulais faire travailler mes travailleurs 8h par jour et 5 jours par semaine, mais ils m’ont demandé s’ils pouvaient travailler 10h par jour et 6 jours par semaine. Je n’ai pas pu refuser […] Il y a une vraie pénurie de main-d’œuvre, mais il y aurait encore des Québécois disponibles. Les travailleurs étrangers sont le poumon économique de l’agriculture. Dans un avenir rapproché, le nombre de travailleurs saisonniers va doubler», poursuit l’entrepreneur beauceron. 

Certains organismes affirment pourtant que l’emploi de travailleurs étrangers représente dans certains cas une nouvelle forme d’exploitation au Canada.

Travailleurs étrangers: une nouvelle forme d’exploitation?

Ainsi, selon un rapport publié en 2017 par des membres de l’Université du Québec à Montréal, les pratiques de recrutement de certaines fermes imposent un mauvais climat de travail à certaines catégories de travailleurs guatémaltèques. En contractant une dette envers leur employeur à leur arrivée au Québec, des travailleurs se retrouvaient en conséquence dans une trop grande situation de dépendance envers eux.

Avocat spécialisé en immigration, Maxime Lapointe rappelle toutefois que des règles strictes régissent le Programme des travailleurs étrangers temporaires du gouvernement fédéral, grâce auquel des étrangers peuvent venir travailler au pays de l’érable.

«C’est important que beaucoup de surveillance soit faite. Les employeurs ont de nombreuses obligations. Les employeurs doivent notamment leur fournir un logement selon certaines exigences. […] Le Programme des travailleurs étrangers temporaires oblige les employeurs à fournir un salaire équivalent à celui qu’ils verseraient aux Québécois», précise l’avocat basé à Québec.

Dans le contexte de la pandémie, le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau, a lancé un vaste programme d’aide financière destiné aux personnes ayant perdu leur emploi. De nombreux producteurs locaux estiment qu’en rendant admissibles les étudiants à ce programme, Ottawa nuit encore davantage à l’embauche de citoyens canadiens par les producteurs agricoles. Le fédéral permettra aux étudiants d’empocher un montant de 1.250 dollars canadiens (818 euros) par mois au lieu d’avoir à travailler cet été.

Toutefois, selon Roméo Bouchard, l’un des leaders du mouvement démondialiste au Québec, «la problématique des travailleurs saisonniers est aussi liée au modèle industriel adopté par les grands joueurs de l’industrie».

«Si les Québécois ne veulent plus travailler, c’est aussi parce que les conditions de travail sont celles du modèle de la mondialisation qui tend à baisser les salaires. Les Québécois qui travaillent encore dans le domaine se retrouvent souvent dans les petites exploitations alternatives», observe Roméo Bouchard.
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