Reprise des cours: «on a vite compris que c’était plutôt de l’ordre de la grosse garderie»

© AP Photo / Thibault CamusDes enfants dans une école française
Des enfants dans une école française - Sputnik Afrique
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Alors que 4.000 établissements dans les zones vertes ont rouvert le 18 mai pour les classes de 6e et de 5e, Manon Le Bretton, professeur de français et membre des Constituants, témoigne de sa rentrée chaotique, entre appréhensions et sentiment d’assurer une «garderie». Elle explique à Sputnik pourquoi cette rentrée serait un échec.

Les douze millions d’élèves et les 800.000 enseignants seront-ils tous présents à la rentrée de septembre? À quelques semaines des vacances d’été, il est difficile de répondre par l’affirmative.

Depuis deux semaines dans les départements classés «vert», l’école primaire a repris de façon très progressive et le collège a commencé son déconfinement le 18 mai. 185.000 élèves de 6e ou de 5e ont ainsi fait leur retour en classe cette semaine dans 4.000 établissements, a affirmé Jean-Michel Blanquer, qui a encouragé les parents à renvoyer leurs enfants en cours: «chaque élève gagné est une bonne nouvelle pour notre pays». Le ministre de l’Éducation nationale a par ailleurs suscité une énième polémique sur les réseaux sociaux, après avoir déclaré qu’il «était moins dangereux d’aller à l’école que de rester à la maison».

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Au début du confinement, le 20 mars, trois professeurs avaient dénoncé, dans les colonnes de Sputnik, le concept de «continuité pédagogique», qualifié de pur artifice de «communication» de la part du ministère. Après une semaine de rentrée scolaire, qu’en est-il? Le protocole sanitaire a-t-il bien été respecté au sein des établissements et comment a-t-il influé sur le contenu des cours?

Un protocole trop strict ou des parents trop frileux?

Manon Le Bretton, professeur de français dans un collège à Castelnaudary, dans l’Aude, et membre des Constituants, a repris le chemin de son établissement ce 18 mai. Après quatre journées de cours, elle décrit une phase de préparation éprouvante, «très complexe, très anxiogène» pour la direction, pour les enseignants et les parents d’élèves. Son collège de 800 élèves constitue «une grosse machine», avec une section ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire), une SEGPA (Section d’enseignement général et professionnel adapté) et un internat. Elle raconte ainsi souffrir d’une progression «à tâtons», courant «derrière la direction qui courait derrière les informations».

De fait, les consignes ont régulièrement changé entre la communication d’Emmanuel Macron et celle de son ministre. Initialement présentée comme obligatoire, la reprise s’est finalement réalisée sur la base du volontariat pour les parents. L’enseignante confie en outre avoir travaillé un moment sur «la réouverture pour les 6e et les 3e et en cours de route, quinze jours avant, on a finalement appris que c’était les 6e et les 5e

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Le protocole très cadré mis en place dans le collège de Manon Le Bretton «est allé au-delà de ce qui était exigé», notamment avec l’obligation pour chaque élève et enseignant de porter un masque par demi-journée. Celui-ci peut seulement être retiré pour se rendre à la cantine, où les élèves mangent «sur des tables éloignées». Dans l’enceinte de l’établissement, les collégiens «ne font pas un pas dans le collège sans être sous la supervision d’un surveillant ou d’un enseignant». L’application de ces mesures très strictes ne permet pas, selon Manon Le Bretton, d’accueillir davantage d’élèves.

«Évidemment à deux ou trois élèves par classe, ça n’a pas posé de difficultés pour respecter les protocoles, par contre c’est très lourd pour eux. À la fin de la journée, ils étaient psychologiquement épuisés. C’est un jour par semaine et ce n’est pas dit qu’on les voit très régulièrement […] La grosse hypocrisie de ce truc, c’est que ça ne fonctionne que parce qu’une grosse majorité de parents décident de ne pas les renvoyer. Si vraiment tout le monde disait OK, ça se passe bien donc on les renvoie […] ça serait absolument invivable.»

Ainsi, dans son établissement, «chaque niveau est accueilli un jour par semaine». Sur les quelque 180 élèves que comprend chaque niveau (6e, 5e, etc.), seul un petit nombre d’élèves franchit effectivement les portes de l’établissement. Ainsi, lundi 18 mai, 29 élèves de 5e ont eu cours sur place, la plupart des classes rassemblant «deux ou trois élèves» chacune, la plus importante réunissant «huit élèves». Mardi 19, les 6e étaient une quarantaine.

Quelle «continuité pédagogique»?

Selon la femme politique, la décision de l’exécutif de rendre facultatif le retour des élèves a pour objectif de «reporter la responsabilité sur les parents (et les établissements) en cas de contamination», mais aussi «d’éviter une véritable bronca des parents d’élèves». Pour une première semaine de rentrée pour le collège, Manon Le Bretton estime qu’«au vu du taux de retour, on peut vraiment parler d’un désaveu massif du gouvernement

Selon l’enseignante, les objectifs pédagogiques et sociaux annoncés comme primordiaux par la Rue de Grenelle sont «complètement passés à la trappe».

«C’est très paradoxal, on a vite compris que c’était plutôt de l’ordre de la grosse garderie […] Pour ce qui est de l’objectif pédagogique, on n’a quasiment pas pu en parler. Pour ce qui est de l’objectif garderie pour libérer les parents pour qu’ils puissent retourner travailler, c’est loupé aussi, puisque les élèves sont pris en charge un jour par semaine.»

Pour ce qui est de la «continuité pédagogique», c’est-à-dire du contenu réel des cours, Manon Le Bretton minimise immédiatement: il s’agit seulement pour l’instant d’une «prise de contact» et «l’heure est très vite passée». La mission sociale très tôt affichée par le ministère, à savoir de ramener en cours les élèves qualifiés de «décrocheurs» n’a pas non plus été couronnée de succès. Dans ce département, l’un des plus pauvres du pays et ne bénéficiant pas d’une couverture Internet idéale, les «décrocheurs», ce sont ceux qui ne «viennent déjà pas» quand l’école est obligatoire. Alors, quand la reprise des cours est ainsi facultative, «on n’a aucune chance de les avoir». Les enseignants de ce collège n’ont pas reçu non plus les meilleurs élèves, mais plutôt le profil des «élèves lambda», avec comme première motivation, «l’envie de sortir un peu, de voir du monde».

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Manon Le Bretton constate, impuissante, que parmi les enfants qui ont repris, nombre d’entre eux «ne reviendront pas» à cause du contexte sanitaire «extrêmement contraignant». Elle-même, mère de deux enfants scolarisés, ne les a pas remis en cours. Elle est loin d’être une exception: selon elle, «l’écrasante majorité des enseignants n’ont pas remis leurs enfants» en classe.

S’inquiétant à juste titre du risque sanitaire, elle craint également d’entretenir le «contexte beaucoup plus anxiogène», en ayant à «fliquer les élèves en permanence, tout le temps à faire respecter le respect de la distance sociale». Autre point noir pour la prof de français, la gestion décriée de la crise sanitaire par le gouvernement pourrait avoir des conséquences à long terme sur le rapport à l’école obligatoire:

«La défiance envers les instances de pouvoir, du gouvernement en particulier, la parole gouvernementale dans cette séquence est absolument catastrophique sur ce qu’on peut anticiper par la suite. Les gens se méfient énormément, ils ne se sont pas sentis accompagnés de façon sécurisée et rassurante et donc ils sont obligés de faire des choix eux-mêmes, au radar et à tâtons.»
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