Défaut de paiement, un «désastre à grande échelle» à venir aux États-Unis

© REUTERS / Kevin LamarqueDonald Trump
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Des avis de défaut de paiement sur les loyers sont actuellement envoyés par milliers aux commerçants américains incapables de faire face à leurs échéances. Pour l’économiste Dany Lang, il devient urgent de mettre en place une politique de relance pour faire face à cette crise historique. Il a confié son analyse à Sputnik.
«Il faut s’attendre à un désastre à grande échelle.»

Dany Lang, membre des Économistes atterrés et maître de conférences habilité à diriger des recherches en économie à l’Université Paris XIII, a pris au micro de Sputnik la mesure de la catastrophe économique qui s’apprête à frapper les États-Unis.

Comme l’indiquait récemment Bloomberg, de nombreux commerçants américains, dont l’activité a dû cesser plusieurs semaines afin de lutter contre la propagation du Covid-19, ne sont pas en mesure de payer leur loyer.

Une situation pire que lors de la Grande Dépression?

«Les lettres de défaut des propriétaires se multiplient de plus en plus», a notamment déclaré Andy Graiser, coprésident de la société immobilière commerciale A&G Real Estate Partners. Selon une estimation de CoStar Group, spécialiste de l’immobilier commercial, le montant des loyers impayés atteint 7,4 milliards de dollars pour le mois d’avril. Cela représente 45% des sommes dues.

​Et la situation est partie pour empirer selon Andy Graiser: «Si les propriétaires ne mettent pas leurs demandes de paiement en suspens, vous allez assister à de plus en plus de faillites.»

«Bien qu’insuffisantes, les mesures prises en France sont de nature à mieux soutenir les entreprises que ce qui a été fait aux États-Unis. Pourtant, Paris s’attend à devoir composer avec un taux de chômage supérieur à celui de la crise des années 30. La situation devrait donc être encore pire aux États-Unis, même si l’ampleur du nombre de faillites est difficile à anticiper», analyse Dany Lang.

À la mi-mai, le Congrès américain avait pourtant fourni quelques 2.900 milliards de dollars de soutien budgétaire, notamment destinés aux entreprises, ménages, collectivités locales ou encore prestataires de soins de santé. Pas assez, pour Dany Lang.

«Ce n’est pas en distribuant des chèques de 1.200 dollars aux Américains que l’on va faire repartir l’économie», lance l’économiste faisant référence au geste de l’administration Trump à destination des ménages.

«De plus, l’accès aux soins est très onéreux aux États-Unis», ajoute Dany Lang et environ 16 millions de travailleurs ont perdu l’assurance maladie qui était fournie par leur employeur depuis le début de la crise.

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«Un soutien budgétaire supplémentaire pourrait être coûteux, mais il en vaut la peine s’il permet d’éviter des dommages économiques à long terme et nous permet d’avoir une reprise plus forte», estimait quant à lui à la mi-mai Jerome Powell, patron de la Réserve fédérale américaine.

La situation est d’autant plus inquiétante de nombreux observateurs craignent désormais l’effet domino. De nombreux propriétaires de locaux commerciaux sont privés de conséquentes rentrées d’argent. Or, ces derniers ont également des prêts à rembourser. Cité par Bloomberg, Tom Mullaney, directeur de la restructuration chez Jones Lang LaSalle inc., spécialiste de l’immobilier d’entreprise, affirme qu’«actuellement, la seule chose pire qu’être un commerçant est être un propriétaire de locaux commerciaux».

Dany Lang voit également un risque chez les individus ayant perdu leur emploi:

«Beaucoup de gens qui vont se retrouver au chômage et ne pourront plus payer leur loyer. Leurs propriétaires, qui ne sont pas toujours des milliardaires, vont également rencontrer des problèmes financiers. Il existe aujourd’hui un vrai risque de faillites en cascade. Certaines prévisions que j’ai pu lire faisaient état d’un taux de chômage qui devrait passer la barre des 30% aux États-Unis. C’est plus que pendant la Grande Dépression.»

D’après le membre des Économistes atterrés, le risque économique principal provient de l’accumulation de dettes privées. En février dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tirait la sonnette d’alarme concernant le montant record d’obligations émises par les entreprises, qui avait atteint le montant colossal de 13.500 milliards de dollars à la fin de 2019.

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Dans un rapport, l’organisme rappelait que «depuis 2008, le montant moyen des levées d’obligations d’entreprises s’élève à 1.800 milliards d’euros par an», un chiffre qui représente le double de celui enregistré entre 2000 et 2007.

Pire, la qualité de cette dette a tendance à baisser, estime l’OCDE, qui notait dans son rapport qu’entre 2000 et 2007, 39% des obligations d’entreprises étaient notées BBB, la dernière des notes de la catégorie des investissements jugés comme sûrs par les agences de notation avant de basculer dans la catégorie dite «spéculative». Or, l’OCDE soulignait en février dernier qu’à l’époque, 51% des obligations en circulation étaient notées BBB. Il est fort probable que leur qualité se dégrade davantage avec la crise que connaît actuellement la planète.

La fin du logiciel libéral?

«La dette privée était déjà un problème dans un certain nombre de pays avant la crise du coronavirus, c’est notamment le cas des États-Unis et de la France. Or, c’est la dette privée qui amène les crises et non la dette publique», explique Dany Lang, avant de poursuivre:

«La crise va faire qu’un certain nombre d’entreprises trop endettées ne pourront pas faire face à leurs échéances. Cependant, la Réserve fédérale américaine dispose de plus de marge de manœuvre que la BCE et elle pourrait très bien relancer un vaste programme d’assouplissement quantitatif afin de racheter les actifs de ces entreprises menacées.»

La Réserve fédérale a injecté des milliers de milliards de dollars dans l’économie américaine depuis 2008 par le biais de ses programmes de rachat d’actifs ou «quantitative easing» dans le jargon financier anglo-saxon.

Un arsenal qui n’est pas suffisant pour lutter contre la crise actuelle, selon Danny Lang:

«La solution est de mener une politique de grands travaux à grande échelle, avec des emplois garantis. Il faut que les dirigeants américains aient le courage qu’a eu Franklin Roosevelt avec le New Deal dans les années 30. Bernie Sanders avait un programme à la hauteur des enjeux, mais il est désormais hors course.»

Le candidat à la primaire démocrate, déjà battu par Hillary Clinton en 2016, a en effet vu Joe Biden, son adversaire et ancien vice-Président des États-Unis, prendre une avance insurmontable. Au grand dam de Dany Lang:

«Il faut une politique budgétaire expansionniste et que les États renoncent, pour le plus longtemps possible, à la doctrine de l’équilibre budgétaire. D’autant plus que ce n’est surtout pas le moment d’augmenter les impôts sur l’énergie, la consommation ou ceux des classes moyennes et populaires. Mettre en place les mesures de garanties portées par Bernie Sanders devient urgent afin de stabiliser l’activité à tous les niveaux.»

L’économiste ne compte pas sur une réélection de Donald Trump en novembre pour changer de paradigme économique: «Le logiciel idéologique du gouvernement actuel ne lui permet pas de prendre ce genre de mesures, car elles sont contraires au “tout marché”, au “tout mondialisation” et au “tout pour l’actionnaire”. Je crains fort que le gouvernement américain ne réagisse pas à la mesure de la situation. Il est déjà prêt à laisser de prestigieuses écoles faire faillite. La crise actuelle exige un interventionnisme étatique et non de se fier aux mécanismes de marché.»

Une manière de penser qui, pour Dany Lang, n’a plus d’avenir:

«Le discours libéral habituel qui veut que seules les entreprises en difficulté restent sur le carreau et que cela poussera les autres à innover davantage ne tient pas aujourd’hui. La vague de faillites est trop importante. D’autant plus qu’elle entraînera encore plus de chômage, ce qui aura pour effet de provoquer d’autres faillites. C’est un cercle vicieux.»
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