En Tunisie: l’affaire de l’intoxication par l’eau de Cologne dévoile une dure réalité

© Sputnik . Valeriy ShustovLa cité de Kairouan (Tunisie), connue pour son caractère historique et religieux
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En Tunisie, l’intoxication d’une soixantaine de personnes et le décès de sept autres consécutivement à la consommation d’alcool frelaté a provoqué beaucoup d’émoi. Au-delà de la tragédie, c’est la précarité de la population et l’indifférence de l’État qui sont pointées du doigt.

Les Tunisiens commençaient à peine à souffler après l’allègement des mesures du confinement qu’une tragédie vint secouer leur quotidien. Le 25 mai, à Hajeb Laâyoun, dans la région de Kairouan (centre), des dizaines de personnes entre 25 et 60 ans se sont trouvées intoxiquées après avoir consommé en guise d’apéritif une eau de Cologne mélangée à un taux élevé de méthanol, faute de pouvoir se procurer de l’alcool.

Leur état de santé s’est rapidement détérioré à cause du méthanol dont les graves effets sur le système nerveux, le foie et les reins sont connus des spécialistes de la santé.

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Bilan: 66 personnes intoxiquées, dont 33 sont en réanimation, et sept décès. Les autorités sanitaires ont même appelé tous ceux qui ont consommé cette eau de Cologne à se présenter aux urgences afin de se faire examiner car les symptômes de l’intoxication pourraient apparaître jusqu’à 72 heures après la consommation.

Quatre personnes ont été arrêtées pour leur implication présumée dans cette affaire, selon ce qu’a annoncé le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Kairouan le 27 mai. Il s’agit d’un homme et d’une femme, originaires de Hajeb Laâyoun, qui détenaient chacun un commerce et vendaient de l’alcool frelaté, et deux autres personnes, originaires de Sfax qui auraient fabriqué elles-mêmes l’eau de Cologne en question. Un cinquième individu serait aussi impliqué dans l’affaire, mais il a été laissé en liberté.

De timides réactions officielles

Malgré l’ampleur du drame, aucun responsable politique ne s’est rendu sur les lieux pour s’enquérir de l’état de santé des victimes. Les déclarations officielles ont été rares. Il a fallu attendre trois jours après la tragédie pour que le ministre de la Santé s’exprime sur la question dans une conférence de presse, organisée le 27 mai, à propos l’évolution de la situation épidémiologique en Tunisie. Il a déclaré que son ministère avait déployé les efforts nécessaires pour prendre en charge les victimes et qu’il était nécessaire de faire face au phénomène de l’addiction chez les jeunes.

Face à la timide réaction des officiels, la population de Hajeb Laâyoun s’est insurgée le 26 mai en organisant un sit-in de protestation devant le siège de la délégation où les citoyens ont mis la responsabilité de ce drame sur le dos de l’État, qui «continue à marginaliser les pauvres et les zones intérieures du pays».

Dans une déclaration au micro de la radio associative locale Dream FM, Mahjoub Rebhi, un des sit-inneurs, a pointé du doigt:

«Le système corrompu de l’État qui ne cesse de maintenir les jeunes dans la précarité, les poussant à consommer des substances qui les mettent dans un état d’ébriété constante afin de ne pas se rendre compte de leur réalité misérable».

Il a réclamé au gouvernement de «revoir le système de développement dans la localité de Hajeb Laâyoun qui a été longtemps marginalisée».

L’affaire a suscité aussi l’indignation au niveau de l’opinion publique. L’artiste Atef Ben Hassine a publié une vidéo dans laquelle il a qualifié de «honte» ce qui venait d’arriver et en s’adressant au chef du gouvernement pour l’accuser «d’ignorance des problèmes de la Tunisie profonde et de l’état de désespoir qui pousse les citoyens vivant dans la pauvreté, à consommer n’importe quoi pour fuir leur dure réalité».

Conservatisme et précarité

Le drame a levé le voile sur la situation très difficile qui règne à Kairouan. D’un côté, la précarité dont souffre le gouvernorat en enregistrant le plus haut niveau de pauvreté dans le pays qui est de 34,9%, selon les statistiques publiées en 2015 par l’Institut national des statistiques (INS).

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De l’autre, le conservatisme qui caractérise sa société, vu la particularité religieuse de la ville et son histoire, étant la première localité bâtie par les conquérants arabes musulmans au VIIe siècle en Afrique du Nord et qui a toujours été un centre important de la culture musulmane dans la région. Cette image d’une ville sainte a engendré l’interdiction de la vente d’alcool légalement en son sein, et même dans les localités qui l’entourent.

«Cela a obligé les gens à consommer de l’eau de Cologne, de l’éthanol et d’autres substances étranges pour se divertir, surtout dans un contexte où il n’y a ni culture, ni art, ni aucun autre moyen de distraction et où règne le conservatisme. Quant à ceux qui peuvent se déplacer dans les autres gouvernorats de la côte, où se trouvent les bars et les hôtels, ils risquent très souvent leur vie dans des accidents routiers en conduisant en état d’ébriété», explique à Sputnik Hassouna Mosbahi, écrivain originaire de Kairouan.

Il affirme que le drame qui vient d’avoir lieu ne l’étonne pas et qu’il avait déjà écrit sur la consommation clandestine d’alcool et ses conséquences désastreuses en essayant de sensibiliser les politiciens à ce problème, mais rien n’avait été fait pour y remédier.

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Pour expliquer les causes du drame, le sociologue Sofien Jaballah, interrogé par Sputnik, avance deux pistes:

«D’un côté, le caractère conservateur et traditionaliste de Kairouan, qui oblige ceux qui veulent consommer de l’alcool à le faire clandestinement, avec les moyens de bord. De l’autre, la crise sanitaire et les mesures de confinement qui ont interdit le déplacement entre les gouvernorats et rendu impossible l’approvisionnement.»

Dans tous les cas, Jaballah estime que ce n’est pas la première fois que les habitants de Kairouan consomment de l’eau de Cologne en guise d’alcool, sauf que cette fois-ci, cette substance a été mélangée avec le méthanol, «ce qui a provoqué la catastrophe».

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