En Tunisie, l’immigration clandestine continue nonobstant la crise sanitaire

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Des tentatives successives d’immigration clandestine vers l’Europe ont été déjouées par les garde-côtes tunisiens durant le mois de mai, annonçant la reprise de cette activité malgré la crise sanitaire. Coronavirus ou non, rien ne semble dissuader de jeunes Tunisiens à quitter la précarité pour aller à la rechercher d’«un avenir meilleur».

À l’approche de l’été et avec l’amélioration de la météo –moins de tempêtes en mer et un ciel dégagé –, s’activent en Tunisie des réseaux de passeurs qui assurent les traversées de la Méditerranée pour les immigrés clandestins. Le contexte de la crise du Covid-19 ne semble pas avoir changé ce comportement, puisque les opérations de «harka» (immigration clandestine, comme on la désigne dans le jargon tunisien) ont repris de plus belle.

Dans la nuit du 22 au 23 mai, une embarcation qui transportait 20 immigrés clandestins tunisiens a coulé sur les côtes de la délégation de Tina (Gouvernorat de Sfax). Onze personnes ont pu être sauvées par les garde-côtes, un mort et six disparus sont à déplorer, alors que le capitaine de l’embarcation et son second ont pu nager jusqu’à terre et ont fui les autorités.

Cette tentative d’immigration clandestine n’a pas été la seule du genre. Des opérations similaires ont en effet été déjouées par les garde-côtes, les jours suivants, au départ de Sfax, Nabeul, Kélibia, Bizerte et Mahdia.

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Rien que pour la journée du 23 mai, les services garde-côtes du Sahel, du Centre et du Nord ont fait échouer 10 opérations d’immigration clandestine. Ils ont arrêté 223 personnes, dont 94 de diverses nationalités africaines, comprenant hommes, femmes et enfants. Ils ont également saisi des embarcations, des devises étrangères et de grandes quantités de carburant, d’après un post publié sur la page Facebook du porte-parole de la Garde nationale.

La reprise intensive des opérations d’immigration clandestine malgré le coronavirus ne semble pas étonner Romdhane Ben Amor, du Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES), l’une des organisations qui travaillent beaucoup sur cette question.

«Les réseaux de passeurs ont profité de la crise sanitaire et de la concentration des efforts des forces sécuritaires et militaires sur l’application des mesures du confinement pour reprendre leurs activités. Ces réseaux ont des stratégies bien pensées et savent tirer des bénéfices des crises, dans le but d’augmenter leurs profits et d’assurer la continuité de leurs activités», souligne cet expert à Sputnik.

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Depuis le début de l’année 2020, le nombre d’opérations d’immigration clandestine avortées ne cesse d’augmenter. Selon les chiffres du FTDES, 22 d’entre elles ont été mises en échec au mois de janvier, auxquelles ont participé 316 personnes, dont 42 ont pu rejoindre les côtes italiennes.

Au mois de mai, ce chiffre a grimpé pour atteindre 45 opérations avortées, auxquelles ont pris part 1.051 personnes, dont 251 ont pu rejoindre l’Italie.

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Cette augmentation du nombre d’immigrés clandestins est révélatrice de l’état de détresse et de précarité dans laquelle vit la jeunesse tunisienne, que les conditions créées par la crise du Covid-19 n’ont fait qu’approfondir.

D’après une étude réalisée récemment par l’Institut Tunisien de la Compétitivité et des Études Quantitatives (ITCEQ), 430.000 emplois ont été perdus temporairement à cause de la crise sanitaire, laquelle devrait aussi entraîner une baisse du PIB tunisien de 46,6% durant le deuxième trimestre 2020.

Romdhane Ben Amor indique que la continuation de l’immigration clandestine, nonobstant le coronavirus, est «une forme de protestation contre la situation économique précaire et une expression de l’insatisfaction de la jeunesse tunisienne des choix gouvernementaux, qui n’ont pas répondu à ses besoins sociaux, notamment durant cette crise.»

Et de poursuivre:

«Les jeunes ont perdu espoir dans une vie décente et cherchent une autre alternative leur permettant de réaliser leurs rêves qui se sont évaporés à cause de l’échec des politiques de développement des gouvernements successifs. Dans ce contexte, l’immigration clandestine devient la seule planche de salut.»

La crise sanitaire n’a pas seulement motivé les jeunes Tunisiens à reprendre la voie de l’immigration clandestine, mais elle a aussi encouragé les immigrés africains subsahariens qui travaillaient jusque-là –légalement ou non– en Tunisie, à en faire de même.

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Ces derniers ont été nombreux à perdre leur emploi à cause des mesures de confinement et du couvre-feu, ce qui les a encouragés à tenter leur chance dans la traversée la Méditerranée, pour atteindre ce qu’ils pensent être «l’eldorado européen».

Ainsi, 62% des immigrés clandestins qui ont été empêchés de rejoindre les côtes italiennes durant les dernières opérations avortées sont-ils des Subsahariens, selon le FTDES. Romdhane Ben Amor l’explique par «la précarité qu’ils vivent, puisque la plupart d’entre eux travaillent dans le secteur informel, avec des atteintes récurrentes à leurs droits. La crise sanitaire a donc motivé leur décision de recourir à l’immigration clandestine.»

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