Ryanair: au moment de la reprise, un «chantage au licenciement» pour baisser les salaires

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Face à la proposition «brutale» de la direction de Ryanair, «baisses de salaire ou licenciements», le personnel navigant tente d’adopter une attitude pragmatique et entame des négociations autour de l’accord de performance collective. Jean Patrikainen, pilote chez Ryanair depuis dix ans, décrypte le conflit pour Sputnik.

Bras de fer dans les cieux. La compagnie irlandaise Ryanair, qui compte assurer 40% de son programme de vol normal à partir du 1er juillet, «sous réserve de la levée des restrictions gouvernementales sur certaines destinations», fait pression sur son personnel navigant, afin de réduire ses coûts d’exploitation, en l’absence d’aides étatiques.

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Malgré le contexte de crise économique qui frappe le monde depuis la pandémie de Covid-19, l’idée de proposer au personnel en France de baisser son salaire pendant cinq ans pour éviter des licenciements passe mal. En précisant que le personnel de la compagnie «est entré en négociation», Jean Patrikainen, pilote chez Ryanair depuis dix ans et président de la section Malta Air (une nouvelle filiale de Ryanair en France) au sein du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), «déplore la communication brutale et désagréable de la compagnie lors de la présentation de leurs propositions».

«On nous a dit que si on n’acceptait pas leur proposition dans la semaine, ils engageraient le plan de licenciement. On a décidé de passer outre et de coopérer avec eux, tout en restant inflexibles sur le respect du règlement», informe le pilote au micro de Sputnik.

Le deal proposé par la compagnie, «sous chantage de licenciement», précise le pilote, consiste à réduire les salaires pendant une période de cinq ans, avec une baisse de 20% la première année, et en récupérant 4% du salaire perdu chaque année suivante.

La pause due au Covid-19, «un désastre» pour le métier de pilote

Les pilotes ont accepté cette proposition «à condition de ne pas licencier».

«Nous avons une attitude coopérative, mais cela ne veut pas dire que l’on est contents. Cela ne nous fait pas plaisir, mais on a choisi cette voie-là d’une façon pragmatique et conforme à la loi. Entre deux maux, on choisit le moindre», détaille Jean Patrikainen.

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Une décision difficile à prendre, mais le personnel navigant de la petite filiale de Ryanair installée en France depuis un an, qui compte huit avions et 80 pilotes, voit l’ombre menaçante de sa grande cousine British Airways planer au-dessus de leurs têtes. La compagnie britannique, plombée par la chute du trafic aérien s’apprête en effet à licencier 12.000 personnes.

«Dans notre métier, ce Covid-19 est un désastre. On n’a pas volé depuis trois mois et la reprise sera à un rythme très réduit», déplore Jean Patrikainen.

L’une des particularités du métier de pilote, avec ses fortes responsabilités, est que quand il perd son emploi, «un commandant de bord aura du mal» à se faire réembaucher au même poste à cause des règles d’ancienneté, correspondants à différents échelons: «la plupart des compagnies aériennes lui proposeront d’être embauché en tant que co-pilote, il faut tout recommencer à zéro», explique le président du SNPL-Malta Air.

«Comme le maintien de l’emploi est important, on a préféré coopérer. Pour l’instant, on n’a rien signé et les négociations sur la mise en place de l’accord proprement dit vont commencer», assure Jean Patrikainen.

Il ne s’agit pourtant pas du premier coup de projecteur médiatique et social sur Ryanair. Déjà en 2010, deux syndicats du domaine aéronautique, l’Union des navigants de l’aviation civile (UNAC) et le SNPL avaient porté plainte auprès du parquet d’Aix-en-Provence contre la compagnie aérienne irlandaise.

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Ils lui reprochaient notamment de «refuser de mettre en œuvre les dispositions du Code du travail» français. La compagnie a été condamnée en 2014 et le tribunal d’Aix «a confirmé le courant jurisprudentiel en matière de travail dissimulé». C’était également l’année où le Comité européen du dialogue social pour l’aviation civile avait lancé une enquête sur les «faux indépendants» du secteur aérien.

«Aujourd’hui, c’est particulier, puisqu’avec la perspective de restriction du trafic suite à la crise [sanitaire, ndlr], les employés du syndicat sont en position très défavorable pour négocier. Imaginez une grève? Ça n’aurait aucun effet, puisqu’il n’y a pas de vols», souligne Jean Patrikainen.

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Puis, en 2017, une décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a interdit à Ryanair d’imposer constamment le droit irlandais. L’affaire, amorcée à l’aéroport de Charleroi en Belgique, a néanmoins a duré six ans, suite à la saisie de la justice locale par le personnel de cabine afin que leur soit appliqué le droit du travail belge,

L’année dernière, Malta Air, une nouvelle filiale de Ryanair, à qui la compagnie irlandaise à bas coûts transfère ses activités en France, a été montré du doigt par le SNPL, qui lui a demandé d’appliquer le droit français, en particulier en matière de temps de repos des équipages. Des conditions de travail françaises que Jean Patrikainen juge «bonnes»: «cinq jours de vol suivis de quatre jours de repos».

L’accord de performance collective sur la table des négociations

Cloués au sol, avions et pilotes arrivent au bout du «minimum réglementaire»: on ne peut pas transporter de passagers si on n’a pas piloté d’avion pendant 90 jours, sans faire de «reprise technique», avec trois décollages et trois atterrissages. Aujourd’hui, la compagnie a repris ses vols «techniques» à vide, ainsi que des entraînements «très poussés et prévus tous les six mois» en simulateur de vol: le pilote est soumis à différents scénarios de pannes et de vols dans des conditions météo difficiles, pour revalider sa licence.

«Dans notre métier, ne pas pratiquer est très problématique. C’est pour cela que nous préférons ne pas nous arrêter et avons accepté l’option avec réduction des salaires avec la garantie de maintien de l’emploi. Nous attendons désormais l’accord de performance collective [APC]», explique Jean Patrikainen à Sputnik.

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Malgré la vocation de l’APC, voté lors du quinquennat de Macron le 24 septembre 2017, comme moyen de sauver l’emploi, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, met en garde contre son utilisation dans le cas de Ryanair. Pourtant, ce procédé commence à faire son chemin dans l’aéronautique, avec par exemple son adoption le 11 mai dernier au CSE de Derichebourg Aeronautics Services, l’un des principaux sous-traitants d’Airbus.

«La compagnie s’est engagée par écrit. En négociant, on va vérifier tous les termes avec nos juristes», assure le pilote de Malta Air.

Dans cette «situation brutale et inacceptable au début», comme la qualifie Jean Patrikainen, les pilotes de la filiale française de Ryanair comptent sur le caractère «provisoire» de la situation. Ils restent lucides sur le fait que «nombreux sont ceux qui y ont laissé des plumes». «On verra bien comment la production reprend», conclut le pilote, fataliste.

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