Covid-19: les Marocains ont hâte de se déconfiner

© Photo Pixabay / rottonaraUne homme porte un masque de protection
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Si partout dans le monde, le déconfinement se généralise progressivement, ce n’est pas encore le cas au Maroc. Astreints à rester chez eux depuis plus de trois mois, les confinés commencent à forcer les portes. Témoignages de Marocains et analyse d’une psychologue à l’appui, Sputnik revient sur le phénomène.

Rassemblements, embouteillages ou encore ruées vers les fast-foods et les plages… Depuis quelques semaines, les scènes de relâchement du confinement se multiplient au Maroc. À Casablanca, ville la plus touchée par le virus dans le pays, les passants sont de plus en plus nombreux dans les rues. Le vacarme de la circulation et les concerts des klaxons, quasiment inaudibles il y a encore quelques jours, sont eux aussi de retour. Pourtant, le confinement est toujours en place, pour au moins une semaine dans l’ensemble du territoire. Certains médias avancent même une probable prorogation de quelques semaines.

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses photos et vidéos relayées abondamment attestent de cette impatience grandissante de la population. Entre plage pullulant de baigneurs à Essaouira et attroupements de jeunes dans les quartiers populaires des grandes villes, la lassitude se fait sentir. Certes, les autorités marocaines lâchent un peu de lest, mais elles resserrent la vis par endroits pour éviter le pire.

À Essaouira, les gendarmes ont dû intervenir à cheval pour évacuer une plage bondée de monde en dépit du confinement.

D’autres images, prises cette fois-ci à Casablanca et à Rabat, montrent des files d’attente interminables devant les enseignes de restauration rapide, qui venaient de rouvrir leurs portes.

Les fast-foods ont uniquement été autorisés à livrer des repas ou à les proposer «à emporter». La demande est telle que des kilomètres de bouchons se forment devant ces enseignes. Les files sont parfois interminables.

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Depuis le début du confinement à la mi-mars au Maroc, 91.623 personnes ont été poursuivies pour violation de l’état d’urgence sanitaire. Parmi elles, 4.362 ont été déférées devant la justice après leur arrestation. Elles risquent jusqu’à trois mois de prison et une amende de 1.300 dirhams (environ 121 euros).

Jusqu’à présent, des barrages de police ont été érigés dans les zones les plus fréquentées des grandes villes. Les policiers se font aider par une application de traçage lancée en avril dernier. Son principal objectif est de limiter les déplacements.

«On commence à craquer»

Les manifestations de relâchement n’étonnent guère Raja El Mouatarif. Interrogée par Sputnik, la présidente de la Société marocaine des psychologues cliniciens (SMPC) estime que de tels incidents sont inévitables après un aussi long confinement. Elle rappelle que le Maroc a opté pour un confinement total et non pas progressif.

«Le changement a donc été assez brutal pour les gens… Du jour au lendemain, leurs habitudes ont été bouleversées, leurs rapports sociaux aussi», argumente la psychologue.

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Elle estime que cette situation a créé un sentiment de privation et de frustration intense qui s’est accru suite aux prolongements annoncés. «Tous ces facteurs font que certaines personnes se lassent et commencent à craquer», conclut-elle.

C’est le cas de Mehdi*, 23 ans. Étudiant en commerce à Casablanca, il vit seul avec sa mère et avoue ne plus pouvoir tenir longtemps sans sortir.

«Déjà que d’habitude, je ne m’entends pas très bien avec ma mère, avec le confinement, ça a empiré! Ces jours-ci, on se dispute quasiment chaque jour… Je me sens comme un prisonnier, l’ambiance est devenue invivable», confie-t-il à Sputnik.

Pour Raja El Mouatarif, rien de surprenant: l’exacerbation des tensions familiales ou conjugales est une conséquence directe du confinement. «La cohabitation forcée, ajoutée au contexte anxiogène de la crise, sont propices aux querelles dans les foyers», explique la psychologue. Elle parle en connaissance de cause. Tous les jours, elle vient en aide à des personnes en souffrance psychique à cause de la situation de pandémie et de confinement. La présidente de la SMPC est aussi coordinatrice d’une cellule d’écoute psychologique.

«Depuis le début de l’épidémie dans le pays, je reçois de plus en plus de patients qui souffrent de crises de panique dans mon cabinet. Au niveau de la cellule aussi, les appels d’individus souffrants de troubles anxieux et dépressifs liés au confinement et à la pandémie se multiplient», détaille-t-elle.

«Mon moral n’a jamais été aussi bas»

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Fatima*, 28 ans, décrit la période du confinement comme «l’une des expériences les plus dures» de sa vie. Confinée avec son mari et son fils de deux ans et demi, elle passe ses journées à réconforter son petit.

«Mon fils avait l’habitude de se rendre à la crèche tous les jours, à courir, à jouer avec ses camarades. Lui qui aime sortir, il perçoit le confinement comme une punition. Depuis le début de l’état d’urgence, ses crises de colère se sont multipliées… Entre ce quotidien épuisant, le manque de sommeil et la dépendance à la télévision et aux réseaux sociaux, mon moral n’a jamais été aussi bas. Je rêve de sortir et de prendre ma mère dans mes bras», raconte-t-elle à Sputnik, la voix tremblante.

Pour Hicham, 26 ans, c’est la solitude qui commence à peser lourdement sur son moral. Vivant à Casablanca où il travaille, le jeune homme commence à broyer du noir: «Quand on vit tout seul, loin de ses proches, loin de ses amis, c’est déjà difficile. Avec le confinement, c’est encore plus pénible… Heureusement que les appels vidéos de mes parents et de mes deux frères me remontent le moral», explique-t-il à Sputnik.

Une autre épidémie appelée anxiété 

Un malheur ne vient jamais seul. Le Covid-19 s’accompagne d’anxiété. C’est ce que révèle une récente enquête menée par le Haut-Commissariat au plan (HCP) auprès de 2.350 ménages marocains.

​Près de la moitié de ces derniers (49%) la considère comme la plus lourde peine psychologique causée par le confinement. La peur du nouveau coronavirus préoccupe 41% d’entre eux. Du reste, près du tiers des personnes interrogées (30%) se plaignent de claustrophobie et 24% de troubles du sommeil. Ces maux pourraient s’aggraver si les hypothèses de prorogation avancées par certains médias se confirmaient.

*Prénoms d’emprunt, les personnes en question ayant préféré conserver l’anonymat.

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