Jean-Serge Bokassa: les instructeurs russes sont là pour aider l’armée centrafricaine

© AFP 2023 FLORENT VERGNESDes recrues des Forces armées centrafricaines (FACA)
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Alors qu’il a soutenu le Président Touadéra lors des Présidentielles de 2015, Jean-Serge Bokassa explique à Sputnik comment il s’est retrouvé en porte-à-faux. Son revirement politique, lié à l’installation d’instructeurs russes à Bérengo, la résidence familiale des Bokassa, ne signifie pas pour autant qu’il est opposé à une présence russe en RCA.

Voilà une controverse inattendue sur la présence russe en République centrafricaine. Dans ce pays en proie depuis 2013 aux affrontements entre groupes armés et milices, malgré la signature le 6 février 2019 à Khartoum d’un treizième accord de paix, l’armée nationale est exsangue. D’où l’installation en 2018 à Bérengo, l’ancien palais présidentiel de Jean-Bedel Bokassa, d’instructeurs russes, qui ont réussi à former près de 4.000 hommes en RCA, selon les chiffres officiels.

Comme ses prédécesseurs avant lui, le Président Faustin-Archange Touadéra n’a eu de cesse d’appeler ses «partenaires» à la rescousse. Lors de sa visite officielle en France, en septembre 2019, il a réclamé une levée de l’embargo sur les armes, comme il l’avait fait en 2017 avec Vladimir Poutine à l’issue d’une rencontre à Sotchi. En février dernier, son ministre conseiller à la Communication et Porte-parole de la Présidence, Albert Mokpem Yaloké, a encore réitéré au micro de Sputnik le besoin crucial en armes lourdes du pays «pour rendre nos troupes opérationnelles aux côtés des soldats de l’Onu.»

Invité Afrique de Sputnik France, Jean-Serge Bokassa, seizième enfant de l’empereur Bokassa 1er, qui a été Président de la RCA pendant les dix années précédant son accession autoproclamée au trône de 1976 à 1979, ne conteste pas cette nécessité de remettre sur pied l’armée centrafricaine.

Ce qu’il récuse, en revanche, c’est la manière dont le Président Touadéra est passé «par-dessus sa tête» pour imposer l’installation d’instructeurs russes dans la demeure familiale des Bokassa à Bérengo (40 kilomètres de Bangui), où repose aujourd’hui, auprès des siens, la dépouille de Jean-Bedel Bokassa.

«J’étais au gouvernement à ce moment-là. Or, je n’ai été consulté d’aucune façon, aussi incroyable que cela puisse paraître. Nous sommes dans un pays en crise où l’État n’existe plus. Il me semble qu’il était inutile de rajouter une autre crise à celle déjà existante», s’insurge au micro de Sputnik France le fils Bokassa.

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Revenant sur l’épisode mouvementé de son départ, le 14 avril 2018, du Gouvernement Sarandji, ce responsable politique qui a occupé pendant deux ans le poste très envié de ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et de l’Administration du Territoire, explique pourquoi il a préféré jeter l’éponge.

Ancien ministre de la Jeunesse et des Sports de François Bozizé, il avait rallié au 2e tour le vainqueur des élections présidentielles de 2015. En tant que candidat indépendant, il n’avait recueilli que 6,56% de suffrages au 1er tour, parmi 30 candidats. Devenu ministre le 11 avril 2016, il renonce à assister au Conseil des ministres pour signifier son désaccord.

«On ne peut pas se réveiller un matin et décider que l’on vient installer des tentes autour de la dépouille de Staline. Dans un environnement de crise, il faut savoir poser des actes conciliants en ayant la garantie d’être dans un processus consensuel. Mais cela n’a pas été le cas en RCA: au contraire, la décision présidentielle a été brutale. La famille l’a mal vécu, mais tous ceux qui sont soucieux de l’histoire de leur pays l’ont aussi très mal pris», regrette Jean-Serge Bokassa.

Niant tout antagonisme avec l’actuel Président ou idée «revancharde» qui aurait pu lui donner l’envie de se présenter contre lui aux Présidentielles prévues le 27 décembre en RCA, il regrette néanmoins qu’il y ait eu «un ensemble d’entraves à mes missions» pendant qu’il était ministre.

«Je soutiens la présence des instructeurs russes en RCA»

Un épisode qui a révélé, selon lui, un mode de gouvernance ne correspondant pas du tout à ses valeurs républicaines. «Je l’ai supporté un temps, mais ensuite c’est devenu intenable», confie-t-il.

«L’installation des instructeurs russes à Bérengo n’a pas été le facteur déterminant pour expliquer que je me sois désolidarisé de l’action politique [du Président Touadéra, ndlr] et que j’ai mis fin à notre collaboration. Ça a tout simplement été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase», insiste l’ancien ministre.

Très critique à l’égard du Chef de l’État centrafricain, il lui reproche notamment sa gestion de la crise en RCA. La traduction la plus édifiante de son manque de gouvernance se trouvant, selon lui, dans «la collaboration avec les groupes armés qui n’en finissent pas d’endeuiller le pays», affirme-t-il.

«Je soutiens la présence des instructeurs russes en RCA, car mon père a été l’un des fondateurs de l’armée centrafricaine. Quand je vois l’état de déliquescence dans lequel elle se trouve aujourd’hui, je ne peux qu’espérer la voir retrouver sa capacité opérationnelle et la voir renouer avec ses missions régaliennes. Nous ne pouvons plus aujourd’hui vivre en vase clos», s’insurge le candidat de la plateforme citoyenne MKMKS (Kodro Ti Mo Kozo Si, en langue locale) qui veut dire «Ton pays avant tout», aux Présidentielles de fin d’année.

Tant mieux, poursuit-il, si les instructeurs russes peuvent y contribuer: «C’est pour cela que j’approuve leur présence». Il en avait même reçu quelques-uns alors qu’il était en poste à Bangui pour leur expliquer sa position. Une position d’autant plus affirmée que son père avait joué un rôle fondamental dans le rapprochement de la RCA avec la Russie au moment de la Guerre froide, rappelle-t-il.

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La Centrafrique est un pays très enclavé. C’est pourquoi elle doit rester ouverte à tous ceux qui veulent l’aider: Russes, Américains, Chinois, Français… Il se refuse à faire une sélection, «sauf vis-à-vis de ceux qui bafoueraient les lois de la République» et à condition que cette aide venue de l’extérieur «nous aide vraiment».

«Il nous faut des modèles, à l’instar de Jerry Rawlings au Ghana ou bien de Thomas Sankara au Burkina Faso ou encore de Patrice Lumumba en RDC. Ils se sont sentis investis d’une mission et ont essayé de gouverner par l’exemplarité, à l’instar de Barthélemy Boganda, le premier Président de Centrafrique. Quand on arrivera à créer les conditions d’un environnement [favorisant l’état de droit, ndlr], la confiance reviendra», prône-t-il.

Dans le contexte délétère qui prévaut en RCA depuis août 2012, date d’apparition de la Seleka (coalition ethnique de groupes rebelles d’obédience musulmane pour chasser du pouvoir le Président Bozizé), le manque de confiance a poussé les Centrafricains les uns contre les autres. Le retour de conditions sécuritaires favorables «pourrait leur donner envie de s’investir à nouveau dans le pays», fait-il valoir.

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Le partenariat multilatéral qu’il envisage pour son pays concerne aussi les États frontaliers, sans lesquels tout règlement sécuritaire de la crise est impossible.

«Rien ne pourra se faire pour le retour de la sécurité en RCA sans la collaboration étroite du Tchad, du Cameroun, du Soudan ou du Congo-Brazzaville. Une rébellion existe parce qu’elle est alimentée. Avec une approche de bon voisinage, on pourrait faire l’économie de temps et de moyens pour régler cette crise, notamment en coupant les routes [de retraite possible, ndlr] aux rebelles», suggère-t-il.

Dénonçant l’accord de Khartoum signé par les autorités avec 14 groupes rebelles pour ramener la paix en RCA, il déplore les tueries récentes qui se sont produites dans le nord du pays, à Ndélé, causant la mort de plus de 40 personnes. Non seulement cet accord est «violé en permanence», argue-t-il, mais les unités mixtes (conventionnelles et non conventionnelles) qu’il devait mettre en place «peinent à voir le jour».

«Pour moi, cet accord est caduc. La plupart des groupes armés qui jouissent aujourd’hui de toute l’attention et de tous les privilèges –au détriment des victimes qui n’ont que leurs yeux pour pleurer– ont signé pas moins de treize accords avant celui-là, qu’ils n’ont jamais respectés. Pendant combien de temps allons-nous continuer à entretenir cette crise?», demande-t-il.

Loin d’accabler la MINUSCA, comme le font la plupart des leaders politiques de la région, il rejette la responsabilité sur le Président Touadéra.

«Ce n’est pas la communauté internationale qui a été élue. Au Chef de l’État, donc, de prendre les décisions qui respectent la volonté du peuple centrafricain. Il n’a pas été élu non plus pour qu’il y ait cohabitation avec les groupes armés, mais pour ramener la paix et la sécurité ainsi qu’une justice équitable dans le pays. Et aussi pour que les Centrafricains retrouvent leur liberté [de mouvement, ndlr], car c’est le premier maillon de la sécurité», fait-il valoir.

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Qu’en est-il des richesses minières dont regorge le pays? Depuis l’affaire des diamants offerts par l’empereur Bokassa 1er à Valéry Giscard d’Estaing, alors Président français, –diamants qui lui aurait couté sa réélection en 1981 face à François Mitterrand–, la capitale, Bangui, manque toujours cruellement d’infrastructures de base. La situation est encore pire dans l’arrière-pays.

«Les plus belles ressources ne sont pas forcément dans le sous-sol. Le développement d’un pays se faisant par et pour les hommes qui y vivent. Je préfère quant à moi investir dans les ressources humaines. Former nos jeunes, c’est un vrai défi. Mais, hélas, jusqu’à présent, force est de contester une absence de vertus et de patriotisme en RCA», regrette pour sa part Jean-Serge Bokassa qui promet d’arrêter le népotisme, le clientélisme et l’enrichissement clanique s’il est élu.
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