Le Sénégal à l’épreuve de la récession: adieu «l’émirat gazier»?

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Le coronavirus est passé par là. Il tue, mais il déstabilise de grands projets économiques et financiers à travers le monde. Le Sénégal, potentiel futur «émirat gazier», est ainsi contraint de revoir ses ambitions à la baisse dans ce secteur. Avec l’urgence de régler dans l’immédiat les conséquences désastreuses d’une récession imprévue.

Les déclarations du Président Macky Sall au journal britannique Financial Times du 23 juin ont sonné l’alerte et font craindre des lendemains difficiles pour l’économie sénégalaise et, surtout, pour les populations. «Si la pandémie de Covid-19 se poursuit, le Sénégal risque la récession économique. […] Cela ne fait aucun doute», a lâché le chef de l’État sénégalais. Après cinq années successives de croissance soutenue d’au moins 6,5%, le pays ne pourra pas dépasser 1% en 2020 «même si tout se passe bien». Le Président Sall, après avoir pourtant tablé sur une croissance d’environ 3% dès les premiers effets de la pandémie, met aujourd’hui le curseur sur les «effets dévastateurs» du Covid-19.

«Cette récession, tous les économistes l’ont vue venir. Nous avons dit à haute voix que le Président Sall était un peu trop optimiste de tabler sur une croissance de 3%. Pour moi, même 1% serait une performance inespérée du fait de notre modèle économique presque entièrement dépendant de l’étranger», souligne l’économiste sénégalais Mbaye Sylla Khouma interrogé par Sputnik.

Il y a de l’eau dans le gaz… et le pétrole

Pour un pays comme le Sénégal, explique à Sputnik un ex-haut fonctionnaire du ministère de l’Économie et des Finances, la récession est «une baisse d’activité qui se traduirait par d’importantes moins-values fiscales par rapport aux prévisions. Quand on sait que 85 à 90% des recettes fiscales vont au paiement du service de la dette et aux salaires des fonctionnaires, on peut dire que la survie dépendra de la perfusion des bailleurs et de coupes sombres dans les programmes d’investissement publics de l’État». En plus de «la désorganisation de la campagne agricole, les secteurs secondaire et tertiaire seraient très affectés», précise cet ancien fonctionnaire qui a préféré gardé l’anonymat.

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Un autre gros souci s’est imposé au gouvernement, c’est la remise en cause des grands projets bâtis autour des hydrocarbures. Depuis 2014 en effet, le Sénégal est dans le cercle des futurs grands producteurs de gaz et, dans une moindre mesure, de pétrole grâce aux découvertes des compagnies Kosmos Energy, Cairn, Woodside Energy et de leurs partenaires. Les réserves de gaz sont estimées à 700 milliards de mètres cubes. Celles de pétrole, autour de 500 millions de barils, devaient permettre au Sénégal de produire «une moyenne de 100.000 à 120.000 barils/jour» à partir de 2021. Aujourd’hui, cette échéance n’est plus tenable, confirme Macky Sall qui table sur un retard «d’un à deux ans» dans l’exploitation du gaz et du pétrole.

«Ce que le Président Sall n’a pas dit, c’est: que fait-on justement à partir du moment où on sait avec certitude que le pétrole et le gaz ne seront pas là aux dates indiquées?», interpelle Mbaye Sylla Khouma.

«C’est toute une stratégie qui prend l’eau»

Entre investissements prévus mais plombés par le Covid-19 d’une part et d’autre part les nouvelles stratégies envisagées, le Comité d’orientation stratégique des secteurs du pétrole et du gaz (COS PETROGAZ) créé par Macky Sall s’échine à trouver un juste milieu qui ferait aboutir les projets initiaux.

«Les compagnies et les techniciens sont en train d’y travailler pour évaluer», affirme laconiquement à Sputnik Barthélémy Sène, conseiller technique en communication du ministre sénégalais du Pétrole et des Énergies.

En réalité, le Sénégal prévoyait de faire du gaz la ressource fondamentale pour enfin amorcer son projet d’industrialisation en profitant d’une énergie disponible en quantité, en qualité et à un moindre coût.

«Le coût de l’énergie est pour le moment un de nos désavantages majeurs pour attirer des investisseurs dans l’industrie. Donc, avec le projet gaz qui va accuser un grand retard, c’est toute une stratégie qui prend l’eau. Il faudra investir sur les installations de transformation du gaz en énergie mais en achetant la matière première à l’étranger, ce qui donne moins de contrôle comparé à une production locale», analyse Mbaye Sylla Khouma.

Comment atténuer les effets du Covid-19

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Pour l’heure, le Sénégal est obligé de constater qu’«à cause du confinement» le Covid-19 a fortement déréglé «les circuits de production et d’approvisionnement» de tous les projets pétroliers dans le monde, indique un communiqué de Petrosen, la société nationale qui gère les portefeuilles de l’État dans les secteurs du gaz et du pétrole. Une situation compliquée pour certaines compagnies partenaires de l’État mais très impactées par une situation sanitaire imprévue. Cependant, Mbaye Sylla Khouma propose une autre piste.

«Le Covid-19 peut être un accélérateur de la dégradation économique, car il a produit un choc sur l'offre et sur la demande. Néanmoins, il peut aussi être une chance pour nous obliger à accélérer la transformation de notre modèle économique en arrêtant d'être dépendant de l'étranger pour manger et pour se soigner. Si, dès cette année, nous surproduisons en céréales et arachides, nous pourrions atténuer les effets post Covid-19.»

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Synonyme d’appauvrissement des populations et de contraintes macro-économiques lourdes, la récession pourrait s’installer au Sénégal dans la durée. Alors que l’État tient coûte que coûte à ses projets pétro-gaziers porteurs de revenus monétaires, d’autres économistes suggèrent des alternatives.

«Le Sénégal ne sera pas un pays pétrolier mais gazier. Il faut oublier le pétrole et mettre l’accent sur l’agriculture et l’agro-industrie. Faisons de sorte que le pétrole soit une cerise sur le gâteau, mais pour cela faisons déjà le gâteau avec le potentiel agricole», exhorte l’économiste Sylla-Khouma.
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