Tunisie: le chef du gouvernement soupçonné de «conflit d’intérêts» se met à dos le parlement

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Le parlement tunisien a connu une plénière houleuse consacrée à l’audition du chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, sur ses 100 premiers jours de fonction ainsi que sur son plan de sauvetage économique. La session a en effet «dérivé» sur une affaire de «soupçons de conflit d’intérêts» agitant l’opinion publique.

Le 25 juin, le chef du gouvernement tunisien, Elyès Fakhfakh, était venu devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) rendre compte de la prestation de son gouvernement en cent jours. Il a surtout été interpellé sur son implication présumée dans un dossier de «conflit d’intérêts». En cause, un groupement de sociétés spécialisé dans le domaine environnemental, qui traite avec l’État et dans lequel Fakhfakh est actionnaire.

Ce groupement, Valis, a participé à un appel d’offres public lancé en octobre 2019 et remporté deux marchés de 44 millions de dinars (13,7 millions d’euros) à la mi-d’avril 2020, alors que Fakhfakh était déjà chef du gouvernement.

Pratiquement, la majorité des députés, dans cette plénière qui s’est poursuivie jusqu’au petit matin du 26 juin, ont axé leurs interventions sur ce qui est désormais appelé le «Fakhfakh Gate». Le ton était accusateur, voire violent à l’égard d’Elyès Fakhfakh, mettant en cause son intégrité et allant jusqu’à lui demander de démissionner. Pis encore, les deux partis d’opposition, Qalb Tounes et la coalition El Karama, sont allés jusqu’à constituer une commission parlementaire pour enquêter sur ces «soupçons de conflit d’intérêts».

«Nous avons créé cette commission pour vérifier tous les détails sur ce que nous considérons comme un "scandale d’État". Nous possédons déjà plusieurs preuves qu’il s’agit de soupçons de corruption en ce qui concerne le rôle joué par le chef du gouvernement dans l’obtention du marché et l’élaboration même d’un cahier des charges sur mesure», dixit Yadh Elloumi, chef du bloc parlementaire de Qalb Tounes, lors d’un point de presse tenu le 25 juin au siège du parlement.

Le bureau de l’ARP a donné, dans la journée, son accord pour la création de cette commission et a invité les blocs parlementaires à y présenter leurs candidatures.

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Ainsi la plénière a été détournée de son objectif premier, celui d’auditionner le chef du gouvernement sur son bilan des cent premiers jours d’exercice, et sur son plan de sauvetage économique, pour se transformer en un interrogatoire à propos des «conflit d’intérêts». Bien que ce fut quelque part attendu, vu que l’affaire avait suscité la polémique les jours précédents, il faut dire qu’Elyès Fakhfakh a aussi provoqué cette orientation. En effet, il a consacré presque un tiers de son discours d’audition à vouloir apporter des clarifications sur l’affaire en question et à se défendre, avec un ton musclé et même «défiant».

«Quand j’ai quitté le gouvernement de la Troïka (2011-2014) en 2014, j’ai investi mon argent dans des projets avec des amis et un investisseur étranger dans le domaine de la valorisation des déchets. Dans ce domaine, il n’est possible de traiter qu’avec l’État. En devenant Premier ministre, j’ai déclaré mes biens comme le stipule la loi 2018-49 portant sur la déclaration des biens et des intérêts, la lutte contre l'enrichissement illicite et le conflit d'intérêts dans le secteur public. Je n’ai pas commis d’infractions et j’estime que l’article 20, utilisé pour m’accuser de "conflit d’intérêts" est ambigu. Je compte d’ailleurs présenter une initiative juridique pour le rectifier jeudi 2 juillet», a déclaré Elyès Fakhfakh dans son discours devant l’Assemblée.

L’article 20 de la loi 2018-49 interdit au chef du gouvernement et à tous les membres de son cabinet d’avoir une activité commerciale avec l’État durant leur exercice. Fakhfakh a enfin indiqué qu’il vendra ses participations dans la société Valis pour arrêter les «spéculations». Mais plutôt que de s’arrêter à ce stade dans son discours, il a voulu aller encore plus loin en lançant avec un ton de défi:

«Ceux qui veulent mettre en cause ma crédibilité, je leur dirai vous n’y arriverez pas! Allez chercher dans toute mon histoire, depuis mon enfance, et si vous trouverez un seul acte que j’ai commis contre la loi, je quitterai ce poste».

C’est là qu’il s’est attiré les foudres des députés, à commencer par ceux de la Coalition El Karama qui ont quitté l’hémicycle en signe de protestation.

Adnane Belhajamor, analyste politique, estime dans un entretien à Sputnik que:

«Le chef du gouvernement n’a pas convaincu par les arguments de défense qu’il avait présentés. Le conflit d’intérêts existe bel et bien, puisqu’il s’agit d’un marché remporté par une société dans laquelle il est actionnaire, alors que la loi interdit à un chef de gouvernement de faire partie d’une société qui traite avec l’État».

Pour lui, Fakhfakh aurait dû reconnaitre le «conflit d’intérêts» et dire qu’il prendrait les mesures nécessaires pour remédier à cette situation. «Dans d’autres pays, un chef du gouvernement présente sa démission pour une affaire pareille! Mais dans un pays comme la Tunisie, il aurait suffi qu’il dise la vérité et qu’il s’excuse», regrette-t-il.

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Concernant le ton employé par Fakhfakh, Adnane Belhajamor a estimé que ce dernier avait voulu «prendre l’opinion publique de haut et montrer qu’il n’avait rien à se reprocher. C’était sa façon de se défendre, qui n’était pas, à mon avis, le meilleur choix à faire».

Rappelons que le ministre d’État chargé de la fonction publique, Mohamed Abbou a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative sur cette affaire de «soupçons de conflit d’intérêts». Il avait promis que les résultats seraient révélés dans les semaines à venir.

Situation économique catastrophique

Mais la polémique sur le conflit d’intérêts ne doit pas occulter l’importance des déclarations faites par le chef de gouvernement sur la situation difficile du pays et les prochaines mesures à prendre dans le cadre du plan de sauvetage économique après la crise du Covid-19.

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En ce qui concerne le premier volet, Fakhfakh a annoncé que la Tunisie avait enregistré en 2020 un taux de croissance de -6%, un taux jamais enregistré dans son Histoire, même pendant la révolution où il était à -2%. Cela impliquerait l’augmentation du taux de chômage avec 130.000 chômeurs supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 630.000 existants.

Parmi les mesures phares de son plan de sauvetage, dont il a donné quelques bribes en promettant d’y revenir prochainement, l’exécution des projets publics en cours d’une valeur de 3.000 millions de dinars (942 millions d’euros) et de neuf autres projets de partenariat entre public et privé d’une valeur de 2.500 millions de dinars (786 millions d’euros). Fakhfakh a aussi promis des facilités juridiques pour promouvoir l’investissement privé.

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