Crise anglophone au Cameroun: le dialogue de toutes les controverses

© AFP 2023 ALEXIS HUGUETDes soldats camerounais dans la Sud-Ouest du Cameroun.
Des soldats camerounais dans la Sud-Ouest du Cameroun. - Sputnik Afrique
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Au Cameroun, les leaders séparatistes emprisonnés annoncent avoir rencontré des émissaires du gouvernement camerounais dans le but d’obtenir un cessez-le-feu en zone anglophone. Alors que pour Yaoundé, cette information «n’est pas conforme à la réalité», elle suscite néanmoins beaucoup d’espoir.

Le fait est inédit et s’affiche encore à la une des médias ce lundi 6 juillet au Cameroun et à l’étranger. Dans un communiqué diffusé vendredi 3 juillet, via ses avocats, sur les réseaux sociaux, Juluis Ayuk Tabe, le président autoproclamé de l’Ambazonie –nom de l’État que les séparatistes anglophones veulent créer– a indiqué avoir rencontré, avec neuf autres de ses codétenus, des émissaires du gouvernement en vue de discuter d’un cessez-le-feu dans le Cameroun anglophone, selon une recommandation des Nations unies.

«Hier, 2 juillet 2020, neuf d’entre nous ont rencontré une équipe de la République du Cameroun afin d’initier un cessez-le-feu consécutif à l’appel de l’ONU», informe Julius Ayuk Tabe, leader séparatiste anglophone en détention à la prison principale de Kondengui à Yaoundé depuis 2018.

Dans son communiqué, le leader séparatiste indique que les discussions sont toujours en cours. Il ajoute par ailleurs qu’il reste attaché «à la restauration de l’indépendance de la patrie».

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Cependant, et alors que l’information alimente encore les conversations, dans un autre communiqué rendu public ce lundi 6 juillet, René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication, relève sans apporter davantage de précisions que cette information «n’est pas conforme à la réalité». Le porte-parole de Yaoundé «réaffirme la disponibilité du gouvernement à rechercher des solutions pacifiques dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, notamment par le dialogue».

À quoi jouent les autorités? Dans son communiqué, constate Aristide Mono, politologue, Yaoundé «ne dit pas clairement qu'il n'y a pas eu de rencontre. Il dément davantage les informations sur la rencontre. Il dément le compte-rendu de son interlocuteur qui ne cadrerait pas avec la réalité des échanges».

«C'est une tentative d'extinction d'une information gênante, d’autant plus que le gouvernement s'est vu doublé dans la communication par l'interlocuteur. Il pensait conserver l'exclusivité et maîtriser les étapes de préparation de l’opinion à accepter ce qui s’apparente à un revirement», poursuit l’analyste politique au micro de Sputnik.

En effet, la position initiale de Yaoundé a toujours été de refuser tout dialogue avec les séparatistes.

Une annonce bien accueillie

L’annonce de cette rencontre discrète, première du genre depuis le déclenchement de ce sanglant conflit il y a trois ans, est globalement saluée par l’opinion et beaucoup y voient un fléchissement dans la position du pouvoir de Yaoundé. Agbor Balla Nkongho, leader anglophone, fervent défenseur des droits de l’Homme et un des avocats des chefs séparatistes, loue ce début de solution dans un message sur son compte Twitter. 

Dans une récente déclaration, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) et farouche opposant de Paul Biya, salue quant à lui «la conversion, bien que fort tardive, du gouvernement à l’idée que c’est par un cessez-le-feu, un dialogue inclusif et sincère, et des négociations directes avec les leaders séparatistes qu’il est possible de mettre fin à la guerre civile désastreuse qu’il a, de façon totalement irresponsable, déclenchée depuis bientôt quatre ans dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de notre pays».

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Pour l’ancien candidat à la présidentielle de 2018, ce début de concertation avec les chefs séparatistes consacre «l’échec, que nous avions prédit, du fameux grand dialogue national qui, en réalité, était un monologue entre le RDPC [parti au pouvoir, ndlr], ses alliés et l’administration».

Yaoundé était jusqu’ici hostile à toute négociation avec l’aile dure des séparatistes favorables à la sécession. Cependant, «la posture triomphaliste» affichée par le leader séparatiste qui a cru devoir célébrer ce début de victoire par la publication exclusive des dessous de la rencontre pourrait, selon Aristide Mono, compromettre la suite des négociations.

«Je pense que cela pourra corrompre l'état d'esprit de la négociation entamée qui sera désormais habité par les replis des uns et des autres sur leur orgueil parce que sur le plan symbolique, personne ne veut perdre la face devant l'opinion. Surtout que l'opposition a très vite récupéré ce qui s'apparentait à un début de victoire des leaders séparatistes. Mais quel dénouement espérer après tout cela?», s’interroge-t-il.

Vers un retour de la paix?

En mars dernier, au plus fort de la pandémie de Covid-19, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a lancé un appel en faveur d’un cessez-le-feu dans le monde. Au Cameroun, selon le bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale, seule l’APLM-Socadef, une des milices acquises à la cause séparatiste, y a répondu favorablement.

Alors que toutes les solutions explorées jusqu’ici pour mettre un terme au conflit meurtrier dans les régions anglophones du Cameroun ont échoué, Louison Essomba, politologue et enseignant à l’université de Douala, pense qu’il était temps de changer de stratégie.

«Cent ans de négociations valent mieux qu'un seul jour de guerre. Il était temps que l'on puisse penser à une stratégie politique de restauration de la paix. Les Nations unies ont, dans leur mission d'assurer la paix internationale, pris une résolution demandant le retour à la paix par la négociation», indique-t-il au micro de Sputnik.

Pour Aristide Mono, ce changement de stratégie pourrait s’expliquer par «la difficulté dans laquelle se trouve le gouvernement de mettre un terme à une crise qui lui coûte cher aussi bien sur le plan matériel que sur le plan humain, avec de lourdes répercussions sur l’économie».

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«Ce fléchissement de la position du pouvoir peut aussi être lié à la pression de la communauté internationale qui a toujours milité pour des discussions avec les leaders séparatistes connus et reconnus», souligne-t-il, avant de préciser cependant que «les chances de réussite de ces pourparlers dépendent beaucoup plus de la bonne foi du gouvernement à conduire effectivement le processus d’entente avec les groupes séparatistes.»

En 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État indépendant. Dans ces deux régions, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et des groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes d’exactions des deux camps. Depuis, les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon des ONG, et au moins 700.000 déplacés. En avril dernier, alors que les hostilités se poursuivaient toujours sur le terrain, Yaoundé annonçait un plan de reconstruction desdites localités.

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