La France veut accélérer la «bi-bancarisation» des émigrés africains en Europe

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Les transferts de fonds des migrants vers l’Afrique ont souffert de la crise pandémique. En réduire les coûts pourrait renverser cette tendance. Un avocat spécialiste de la question, Me Alain Gauvin, explique à Sputnik pourquoi il faut encourager la bi-bancarisation en France et en Europe. Entretien.
«La bi-bancarisation permet à un expatrié d’accéder à des services bancaires dans son pays d’accueil et dans son pays d’origine. Elle permettrait de réduire le coût des transferts d’argent et d’atténuer la baisse des virements des diasporas africaines prévue pour cette année», explique à Sputnik Alain Gauvin, avocat associé au cabinet panafricain Asafo & Co, qui travaille sur le sujet de la présence et de l’activité des banques étrangères en Europe depuis plus de 15 ans.

Alors que la pandémie de Covid-19 est en train d’atteindre sa «vitesse maximale» en Afrique,  la plupart des économistes craignent que le pire ne reste à venir. Principal facteur aggravant, la diminution des transferts d’argent envoyés par les immigrés à leurs familles demeurées au pays: ils représentent 10% du PIB, voire davantage dans certains cas.

© Photo Asafo & Co Maître Alain Gauvin est un spécialiste du droit bancaire et financier exerçant en Europe et en Afrique.
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Maître Alain Gauvin est un spécialiste du droit bancaire et financier exerçant en Europe et en Afrique.

Or, pour 2020, la Banque mondiale appréhende une chute d’au moins 20% de ces virements à l’échelle de la planète. Tandis que ceux effectués chaque année par les diasporas africaines devraient atteindre une baisse record de 23%, selon ces prévisions.

«Pour toute personne expatriée résidant en France et qui souhaite bénéficier de services bancaires, que ce soit au Maroc, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou ailleurs, cela nécessite de la part des banques des pays d’origine de pouvoir commercialiser leurs services dans le pays d’accueil. Ce qui peut soulever un certain nombre de difficultés», poursuit Me Gauvin au micro de Sputnik France.

Une loi adoptée en 2014 en France permet aux banques des pays bénéficiaires de l’aide publique au développement (APD) de commercialiser certains de leurs services, après avoir obtenu le feu vert de l’autorité bancaire française. Cette loi a fait l’objet de propositions d’amendements introduites, le 2 juillet dernier, à l’Assemblée nationale française par la députée de Seine-Maritime Sira Sylla, qui est d’origine sénégalaise.

Compte tenu d’un certain nombre de désaccords, le nouveau texte pourrait maintenant être introduit dans la loi sur le développement qui a été reportée au début de l'année prochaine.

Diminuer le coût des transferts

Comme l’a expliqué la députée LREM en charge des diasporas, le but de ces amendements, présentés dans le cadre du projet de loi de Finances rectificative (PLFR), est de «pérenniser, faciliter et inciter les virements d’argent entre la France et l’Afrique». D’autant que les montants transférés par les migrants, notamment vers l’Afrique, sont très importants:

«En 2019, les transferts d’argent effectués par les diasporas africaines représentaient un volume global de près de 76 milliards d’euros, soit plus de la moitié de l’aide publique au développement à destination de l’Afrique. Et les transferts d’argent effectués depuis la France vers l’Afrique s’élevaient à plus de 12 milliards d’euros», a commenté Sira Sylla.

Ces fonds, a-t-elle souligné, servent essentiellement à «combler les besoins vitaux des familles des diasporas». Et représentent, selon elle, un «formidable levier de développement économique des pays africains dont le potentiel de croissance n'est plus à démontrer».

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Toutefois, contrairement au volume des montants virés, les commissions appliquées pour effectuer les transferts ne baisseront pas en 2020. Tandis que si les frais d’envoi sont de l’ordre de 10% pour l’Afrique subsaharienne, voire de 20% pour l’Afrique australe, ils varient entre 5% et 7% pour les autres continents, note la députée LRM qui siège dans la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Par conséquent, déplore-t-elle, «les transferts d’argent vers l’Afrique s’avèrent être les plus onéreux au monde».

Elle a donc proposé, en plus de la recommandation d’Alain Gauvin d’assouplir les modalités de commercialisation des services bancaires étrangers en France, un certain nombre de réductions d'impôt. Notamment pour des investissements effectués «dans un état figurant sur la liste du Comité d'aide au développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)» ou bien, à titre expérimental et pour une durée d’un an, «à des personnes physiques domiciliées en France». Celles-ci pourront déduire fiscalement le montant des commissions de transferts de fonds de l’impôt sur le revenu brut global.

Lutter contre les trafics

À l’instar d’Alain Gauvin, qui a recommandé un assouplissement de la loi de 2014 pour accélérer la bi-bancarisation, 59 députés et deux personnalités ont appelé récemment à la défiscalisation des transferts financiers des migrants.

«Un tel texte pourrait être voté par tous les bords politiques. Ce dispositif de bi-bancarisation ne coûte rien et surtout, c'est un facteur fondamental pour cimenter le partenariat entre l'Europe et l'Afrique», plaide l’avocat qui partage son temps entre l’Europe et l’Afrique, dont le Maroc, l’un des pays du continent où les transferts de fonds des migrants contribuent le plus à la richesse nationale.

En plus de d’accroître le montant global des transferts et, donc, de contribuer au financement du développement de l’Afrique, l'essor de la bi-bancarisation permettrait aussi d’avoir une meilleure traçabilité de ces virements «afin de mieux lutter contre les trafics et le blanchiment d’argent», insiste-t-il.

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À ce titre, Alain Gauvin préconise d’élargir la liste des produits commercialisables en France. «Aujourd’hui, une banque étrangère a la possibilité d’offrir des services de crédit, des moyens de paiement, de l’ouverture de comptes bancaires –ce qui n’est déjà pas si mal–, mais ce que l’on souhaite, c’est élargir ces services aux placements d’épargne collectifs», explique-t-il au micro de Sputnik France. 

L’autre piste serait, selon lui, d’étendre la liste des établissements financiers étrangers «autorisés à être partenaires des banques africaines» ou même «filiales des banques africaines» afin qu’ils puissent commercialiser leurs services en France.

«Ce serait la meilleure façon de drainer davantage l’épargne des diasporas africaines vers leur pays d’origine, à des coûts inférieurs à ceux que pratiquent les sociétés de transfert d’argent. Sur ce terrain, le Maroc a une longueur d’avance par rapport à d’autres pays du continent», affirme Me Alain Gauvin.

Faire bouger l’Europe

S’il existe bien un dispositif dans la loi de 2014 permettant à des établissements financiers africains de commercialiser leurs services en France, seules deux banques marocaines ont pu, jusqu’à présent, exercer dans l’Hexagone.

Quant à l’Europe, aucun texte communautaire ne régit aujourd’hui, de façon unique ou au moins harmonisée, la commercialisation des services financiers africains en Europe. Certaines autorités bancaires nationales perçoivent même, dans cette commercialisation, «une atteinte aux monopoles bancaires nationaux: fâcheuse (et peut-être volontaire) méprise», relève-t-il.

C’est pourquoi il espère que la France, avec l’aide du Maroc notamment, parviendra à «sortir l’Europe de sa torpeur sur un sujet concret qui permette d’avancer sur la voie d’un partenariat Europe-Afrique transformé». Et pour cela, insiste-t-il, il lui faut montrer l’exemple.  

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