Gabon: Charles M’Ba ou la tentation de la corruption

© AFP 2023 JOEL ROBINEPlateforme pétrolière de forage offshore de la compagnie Elf Gabon, au large de la ville de Port Gentil le 29 mai 1990.
Plateforme pétrolière de forage offshore de la compagnie Elf Gabon, au large de la ville de Port Gentil le 29 mai 1990. - Sputnik Afrique
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Invité de Sputnik Afrique, Charles M’Ba, ex-ministre des Finances gabonais, décrypte les conséquences sur son pays d’un système endémique de corruption autour de la manne pétrolière. Lui qui a travaillé pour le groupe Elf considère que, certes condamnable, «la corruption est un mode de gestion» dont il faut tenir compte. Portrait.

Charles M’Ba, ancien ministre délégué aux Finances du Gabon, n’a jamais renoncé à l’idée de revenir aux affaires. Invité de Sputnik Afrique, cet ancien du groupe Elf a accepté de commenter «de l’intérieur» l’impact de la corruption sur la situation actuelle de son pays dans lequel cette pratique semble omniprésente.

À la 22e place en Afrique sur 54 pays, selon le dernier indice de perception de la corruption de Transparency International rendu public en février 2020, le Gabon occupe la 123e place sur le plan mondial. À titre de comparaison, la France est en 23e position dans ce classement 2019, sur 180 pays et territoires. Une situation de corruption endémique qui fait notamment rage depuis la mise en exploitation des gisements de pétrole au Gabon par Elf, racheté en 2006 par Total.

Se disant réformiste, Charles M’Ba ne cache pas son admiration pour Omar Bongo, un homme «auprès de qui j’ai toujours beaucoup appris», dit-il. Il réserve cependant sa plus grande fierté à son père, administrateur et gaulliste revendiqué, «qui venait déposer son véhicule de fonction à chaque fois qu’il devait régler une affaire personnelle», se souvient-il avec émotion.

Expert-comptable de formation, Charles M’Ba s’est présenté aux Présidentielles de 2017, avant de rallier le camp de Jean Ping, opposé au Président sortant, Ali Bongo. Mais c’est durant ses 20 ans de carrière au sein du groupe Elf, à Libreville puis à Paris, qu’il a véritablement pris conscience de pratiques s’apparentant à de la corruption. Il dénonce particulièrement l’évaporation fiscale, responsable selon lui, du «maintien au pouvoir du clan Bongo par l’achat de consciences».

Rétrocommissions

Pour cet insider, le FMI et la Banque mondiale ont raison de dire que la corruption est endémique au Gabon, «mais encore faut-il en comprendre les causes profondes», insiste-t-il. Car entre le petit fonctionnaire d’État mal payé et l’exécutif qui use et abuse de la corruption à des fins d’enrichissement personnel ou pour se maintenir au pouvoir, «il y a un monde», selon lui.

Sans excuser des pratiques qui ont pour conséquence de «détourner l’argent public et donc, d’affaiblir les politiques de développement», il veut néanmoins écarter tout manichéisme: «Il faut un corrupteur pour qu’il y ait un corrompu et peu importe qui commence», a-t-il martelé au micro de Sputnik France.

«La corruption, c’est une volonté concordante du corrupteur et du corrompu. En ce qui concerne le Gabon, je n’étais pas là au début des années 70, quand le Président Omar Bongo a jeté les bases d’une coopération avec Elf pour l’exploitation du pétrole gabonais. Mais on peut en constater les dégâts, aujourd’hui encore», a-t-il déclaré lors de son passage dans nos studios.

De retour au pays en 2005 à la demande du Président Bongo, il est d’abord nommé directeur général des marchés publics pendant un an, avant d’entrer au gouvernement en 2006. Deux postes qui ont fait de lui un acteur à part entière d’un système qu’il ne connaissait pas encore coté gabonais, et qui lui ont permis de «mieux appréhender les réalités de terrain», reconnaît-il.

«Les détournements de fonds publics sont justiciables partout dans le monde. Mais chaque pays a son niveau de tolérance et, plutôt que de dire que l’on veut éradiquer la corruption, mieux vaut s’employer à énoncer comment on va s’y prendre concrètement pour le faire!», estime l’ancien ministre.

Il cite l’exemple d’opérateurs économiques, notamment dans le pétrole, présents en Afrique. 

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Mais si l’affaire Elf, jugée en 1994, a donné lieu à de l’enrichissement personnel illicite dans le cadre de rétrocommissions, «pour lesquelles les bénéficiaires français ont été condamnés, il serait toutefois abusif de dire que c’était des corrupteurs!», estime-t-il.  

Le «bonus» pétrolier

Son expérience dans les affaires lui a néanmoins appris qu’il y avait des spécifiés dans les contrats d’exploration et de partage de la production.Car s’il y a des appels d’offres et des soumissions, explique-t-il, l’attributaire «paye un bonus qui est l’équivalent d’un droit d’entrée» afin d’obtenir d’explorer le gisement convoité, révèle-t-il.

«Au Gabon, comme dans beaucoup de pays dans le monde où se concluent des contrats pétroliers et gaziers, il peut arriver que ce droit d’entrée n’aille pas dans les caisses de l’État, mais sur des comptes privés. Ce n’est plus de la responsabilité de l’attributaire, dans ce cas, si l’argent a été détourné, mais du corrompu», insiste Charles M’Ba.

Ces pratiques, inhérentes à la manière dont sont conduites les affaires, surtout dans les hydrocarbures, «prévalent toujours», selon lui, et pas qu’en Afrique:

«Elf n’a pas seulement procédé ainsi avec le Président Bongo, mais avec tous les caciques, que ce soit en Chine, au Kazakhstan ou en Russie, où Christophe de Margerie [l’ex-patron de Total, ndlr] est mort en mai 2019 dans un accident d’avion», précise-t-il.

Cette zone grise n’a toutefois jamais empêché des dirigeants d’Elf de «défendre les intérêts du pays mieux que les dirigeants du pays eux-mêmes», témoigne encore Charles M’Ba.

Pour ce serviteur de l’État, qui a le service public chevillé au corps, les manipulations politiques au sommet font partie des règles du jeu.

Montrer l’exemple

Il cite notamment le cas de la commission d’enquête Zondo en Afrique du Sud qui, depuis août 2018, passe au crible les deux mandats de l’ex-Président Jacob Zuma. Ce dernier avait été poussé à la démission six mois plus tôt du fait d’allégations de corruption de plus en plus prononcées.

Pour Charles M’Ba, ce zèle pourrait aussi s’expliquer par un règlement de comptes politique au sein de l’ANC, duquel le Président actuel, Cyril Ramaphosa, serait sorti vainqueur. La lutte contre la corruption servirait donc en définitive davantage les pouvoirs en place que la vertu publique.

«Nous devons nous réjouir de cette initiative prise par l’Afrique du Sud. Jacob Zuma avait beaucoup à se reprocher et il n’était plus en mesure de montrer l’exemplarité. Mais quand on est à la tête d’un État, la place est très convoitée. Il faut apprendre à se garder de ses amis comme de ses ennemis», conclut le responsable gabonais.
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