Maroc: des serial killers nommés scorpions

© Photo Pixabay/StrawberryQueenUn scorpion, image d'illustration
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C’est habituel, les scorpions tuent au Maroc. En ces temps caniculaires, ces arachnides assassins viennent de faire des victimes en série dans la région de Marrakech. Des habitants ont peur, plus que jamais, et des militants associatifs s’indignent.

C’est un assassin redoutable, multirécidiviste, difficile à traquer, qui terrorise les habitants des régions chaudes du Maroc. Chaque année, une quarantaine de personnes succombent à son venin mortel, parmi les 30.000 qu’il pique. Rien que ces deux derniers mois, huit enfants marocains sont morts, envenimés par des scorpions, à Kelâat Es-Sraghna et Rhamna, deux provinces de la région torride de Marrakech.

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Amine est l’une de ses récentes victimes. Il n’avait que cinq ans et vivait dans un douar de la commune rurale de Zemrane Charqia, près de la province de Kelâat Es-Sraghna (80 km au nord de Marrakech). Le petit garçon dormait paisiblement, la nuit du 9 juillet, quand soudain, une douleur atroce au genou l’a réveillé en pleurs. Inquiète, sa famille l’a transporté vers le centre hospitalier provincial Essalama situé à 50 km. C’est le seul de la commune qui soit équipé pour traiter les piqûres et envenimations de scorpions (PES).

«C’était sans doute la pire nuit de notre vie. Le long du trajet, le corps chétif de notre petit Amine n’arrêtait pas de trembler entre mes bras, il était couvert de sueur. Ses cris déchirants résonnent toujours dans ma tête… Après plus d’une heure et demie de route, nous sommes finalement arrivés au centre hospitalier. Son état était si grave qu’il a immédiatement été admis en réanimation. Malheureusement, on n’a pas pu le sauver. Son envenimation était beaucoup trop avancée, d’après le médecin», raconte son oncle Yassine Ben Salah Zemrani à Sputnik, avec des trémolos dans la voix.

Ce membre de la Ligue marocaine pour la défense des droits de l’Homme (LMDDH), avec d’autres jeunes, milite depuis longtemps contre ce fléau qui sème la panique dans sa région. Il met en cause le manque de sensibilisation des habitants et la faiblesse «grave» du système sanitaire, en particulier dans les zones rurales. «L’hôpital Essalama ne dispose que de dix lits en réanimation. Ce n’est pas suffisant pour les 39 communes rurales qui l’entourent. Les ambulances sont quasi inexistantes, surtout la nuit… Plus affligeant encore, la plupart des victimes sont des enfants comme mon neveu», regrette-t-il.

Redoutable tueur d’enfants 

Comme Amine, 43 enfants marocains sont morts, envenimés en 2019 à cause des scorpions, selon le dernier rapport du Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc (CAPM), relevant du ministère de la Santé marocain. Ghizlane El Oufir est médecin toxicologue en charge du programme des piqûres de scorpions au sein de ce centre.

Interrogée par Sputnik sur le fait que ces arachnides tuent surtout des enfants, elle explique que la fragile constitution corporelle des plus jeunes les rend particulièrement plus vulnérables. «Plus la quantité de venin de scorpion injecté est grande et le poids de l’enfant faible, plus le risque de décès augmente. C’est pour cela que les enfants de moins de 15 ans représentent de 95 à 100% des morts liées aux PES chaque année au Maroc», précise-t-elle. Sur les 44 décès recensés l’année dernière, seule une personne était d’âge adulte.

En ce début de période estivale, les scorpions ont déjà tué six enfants, c’est plus que les décès liés au nouveau coronavirus. Nous demandons au gouverneur de prendre le problème au sérieux et de dépêcher la fumigation d’insecticide des douars touchés dans la province de Kelâat Es-Sraghna. Les scorpions de cette zone sont des plus mortels, surtout pour les enfants de moins de 30 kg.

La région de Marrakech-Safi semble être le lieu de crime préféré du tueur au dard fatal. La plupart des cas de décès y sont enregistrés, selon le CAPM.

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«Il y a aussi un autre facteur décisif, c’est le temps post-piqûre. Certes, la majorité des piqûres sont blanches, c’est-à-dire sans venin, mais lorsqu’on est piqué, il faut aller vite à l’hôpital, surtout si la victime est jeune. Parce que si la blessure est venimeuse, c’est une véritable course contre la montre qui commence dès que la personne est atteinte. Malheureusement, dans les zones rurales, la majorité des blessés tarde à se rendre à l’hôpital et privilégie plutôt toutes sortes de remèdes de grand-mère ou de charlatans qui aggravent leur état», déplore le docteur El Oufir.

Charlatans vs scorpions

Hanan habite au douar Laâssilat dans la commune de Kelâat Es-Sraghna. À l’en croire, cette mère de famille trouve pratiquement chaque jour des scorpions cachés sous la pierraille de sa demeure traditionnelle. «C’est devenu une routine pour moi en été. En me réveillant, je fais le tour de chez moi pour vérifier s’il n’y a pas de scorpions. Si j’en vois un, je le tue. Même opération le soir… Ces jours-ci, je suis particulièrement vigilante: mon fils Badr, 11 ans, a été piqué la semaine dernière en jouant près de la maison», explique-t-elle à Sputnik.

«Pour le soigner, on s’est rendu avec son père chez un guérisseur connu dans le douar pour son savoir-faire contre les scorpions. En psalmodiant des versets du Saint Coran, il a sauvé la vie de mon fils. Grâce à Dieu, Badr va mieux aujourd’hui, il n’a plus de fièvre et son pied retrouve sa taille normale. Maintenant je lui donne juste le mélange d’herbes à boire que m’a recommandé le guérisseur et il reprend ses forces.»

Le recours aux charlatans exaspère Rachida Soulaymani Bencheikh. Interrogée par Sputnik, la directrice du Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc mise sur la sensibilisation pour sauver des vies.

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«Depuis 2001, le CAPM a lancé une stratégie nationale qu’il applique chaque année pour diminuer le nombre de piqûres et d’envenimations et surtout de décès au Maroc. On forme du personnel médical et paramédical afin de standardiser la conduite à tenir (CAT), on sensibilise les habitants des régions les plus touchées sur les gestes à adopter ou à éviter face aux PES», précise-t-elle.

En soulignant que 70% des piqûres se produisent à l’intérieur des maisons, la praticienne ajoute: «Cette stratégie a permis de réduire le taux de létalité d’une manière draconienne. On n’est plus aujourd’hui qu’à 0,1% de taux mortalité, alors qu’il était auparavant de 4%. Mais nous n’arrivons toujours pas à diminuer le nombre de piqûres, malgré tous nos efforts. Il s’agit d’un problème qui est lié aux conditions de vie dans le monde rural et aux coutumes bien ancrées dans cette partie de la société», conclut-elle.

Avec ses camarades de lutte au sein de la LMDDH, Yassine milite pour le changement de ces conditions déplorables.

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