La Chine, première puissance économique mondiale «plus vite que prévu»?

© AP Photo / Ng Han GuanLa Chine a rendu hommage à ses victimes du coronavirus, 4 avril 2020
La Chine a rendu hommage à ses victimes du coronavirus, 4 avril 2020 - Sputnik Afrique
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Les investisseurs étrangers se ruent de plus en plus sur les obligations chinoises. Alors que la pandémie de coronavirus a mis l’économie mondiale à genou, la dette chinoise fait office de valeur refuge. De quoi mener à un véritable changement économique? Pierre Picquart, géopolitologue et spécialiste de la Chine, livre son analyse à Sputnik.

Pékin a la cote, du moins chez les investisseurs du marché obligataire. Comme le souligne le Wall Street Journal, la part des capitaux étrangers servant à acquérir de la dette chinoise augmente à son rythme le plus rapide depuis 2018. Et le marché est colossal. Deuxième économie mondiale, la Chine a besoin d’investissements étrangers afin de financer sa transition vers une économie moins dépendante des exportations.

​La part de ces derniers dans le marché de la dette chinoise reste cependant marginale: 4%. Mais le rythme auquel elle croît a de quoi impressionner. En mars, 2.260 milliards de yuans (282 milliards d’euros) d’obligations chinoises étaient détenus par des étrangers. Le montant avoisine désormais les 4.300 milliards de yuans (537 milliards d’euros).

Pour Pierre Picquart, géopolitologue et spécialiste de la Chine, ces chiffres n’ont «rien d’étonnant», comme il l’a confié au micro de Sputnik:

«La Chine est l’autre mastodonte économique mondial avec les États-Unis. Elle a un régime économique stable, un territoire gigantesque, une croissance qui devrait être au rendez-vous. Il est même surprenant que ces chiffres ne soient pas plus hauts. La Chine est une puissance économique et financière incontournable.»

Il faut dire que Pékin a agi pour attirer les investisseurs étrangers. Jusqu’à la mi-2017, il était difficile pour ces derniers d’accéder au marché obligataire chinois. C’est la mise en place du programme «Bond Connect» qui leur a permis d’investir dans la dette de l’Empire du Milieu via le marché de Hong Kong. Le fait de ne pas avoir à ouvrir un compte de trading séparé en Chine continentale a sérieusement simplifié le processus d’investissement.

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De plus, en 2019, les obligations d’État ainsi que les titres de certaines banques d’État ont été inclus dans l’indice Bloomberg Barclays. Dorénavant, les obligations chinoises sont également incluses dans l’indice JPMorgan. Ces manœuvres financières ont eu pour effet une hausse à deux chiffres de la part des détenteurs étrangers de dette publique chinoise libellée en yuans.

Pékin: une politique monétaire modérée

La situation économique pourrait être favorable à la Chine au moment où les investisseurs étrangers cherchent des valeurs refuges. L’économie mondiale est actuellement prise dans un tourbillon. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une chute du PIB mondial de l’ordre de 4,9% en 2020. Dans ce marasme, la Chine surnage. Pékin fait partie des rares pays à pouvoir espérer un peu de croissance cette année. Le FMI prévoit une hausse du PIB de l’ordre de 1% pour la Chine, quand les principales économies de la planète devraient faire face à des récessions record: -8% pour les États-Unis, -5,8% pour le Japon, -6,3% pour l’Allemagne ou encore -11% pour la France.

«Les autorités chinoises sont prudentes en matière de pronostics de croissance cette année. En avoir serait un petit miracle quand on voit les récessions terribles auxquelles vont devoir faire face les autres puissances économiques», explique Pierre Picquart.  

De plus, les États-Unis, l’Union européenne ou le Japon ont dégainé un arsenal colossal de mesures de soutien à l’économie. La Réserve fédérale américaine (FED) s’est dite prête à injecter 2.300 milliards de dollars pour faire face au désastre économique.

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Les pays membres de l’Union européenne sont enfin parvenus à un compromis sur le plan de relance de 750 milliards d’euros et le budget la période 2021-2027, de 1.074 milliards d’euros. Tokyo fait également tourner la planche à billets à plein régime. Sans parler du fait que ces trois Banques centrales ont abaissé leurs taux directeurs à des niveaux d’une faiblesse inédite. Certains observateurs craignent qu’une telle orgie de liquidités ne conduise à la dépréciation des monnaies et à une inflation hors de contrôle.

Pékin, de son côté, a choisi de maintenir une politique monétaire modérée et a préféré faire le choix des mesures fiscales pour stimuler l’économie. Le tout alors que les Bons du Trésor chinois à 10 ans offrent un rendement aux alentours de 3%, quand l’équivalent américain a un rendement d’environ 0,6% et l’allemand autour de 0,45%. De quoi séduire les investisseurs.

«Les États-Unis souffrent particulièrement de cette crise. On peut imaginer que les investisseurs décident de se diriger davantage vers de la dette chinoise. Mais je ne pense pas qu’ils délaisseront la dette américaine. Les États-Unis restent la première puissance économique et militaire de la planète et ont toujours beaucoup de rayonnement», analyse Pierre Picquart.

Liu Dongmin, membre de l’Institut d’économie mondiale et de la finance de l’Académie des sciences sociales de la République populaire de Chine, pense que la manière dont son pays a géré l’épidémie de coronavirus joue en sa faveur: «Je pense que la raison principale est que la Chine gère bien les conséquences de l’épidémie. La puissance économique de la Chine s’est intensifiée. Par conséquent, les produits financiers correspondants deviennent plus stables.»

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«Nous constatons que les rendements des obligations d’État chinoises sont beaucoup plus élevés que ceux des titres similaires dans les pays occidentaux, qui, d’une part, ont été les plus touchés par l’épidémie. D’autre part, les économies de ces pays se développent depuis de nombreuses années à un rythme beaucoup plus lent que la Chine. En conséquence, nous voyons des taux d’intérêt très bas, zéro, et même négatifs. Il en résulte une dette chinoise qui devient plus attrayante pour les investisseurs», ajoute-t-il.

«Une récente session parlementaire à Pékin a été dédiée à la période post-Covid et la priorité a été donnée à la relance économique et à la lutte contre le virus. Des objectifs sains et clairs ont été dessinés. C’est l’avantage d’être une nation unifiée quand des pays comme les États-Unis ou les nations européennes doivent composer avec des atermoiements politiques», souligne Pierre Picquart.

Si elle a été inégale, la reprise économique a clairement été une réalité en Chine. D’après les chiffres de Pékin, le pays a bénéficié d’une croissance de 3,2% au deuxième trimestre, après une chute de 6,8% lors des trois premiers mois de l’année.

La Chine, bientôt première puissance économique mondiale?

Liu Dongmin souligne que l’augmentation des investissements étrangers dans la dette chinoise est bénéfique pour son pays et notamment pour la dette locale: «Je crois, en plus de la dette publique, que nous pouvons offrir aux investisseurs étrangers des obligations des gouvernements locaux. Nous nous félicitons de leurs achats par les investisseurs étrangers sur le marché interbancaire afin que la dette publique chinoise et la dette des autorités locales deviennent des actifs de plus en plus sûrs aux yeux des investisseurs internationaux.

Pour nous, il est sans aucun doute avantageux que la part des investisseurs étrangers parmi les détenteurs d’obligations chinoises augmente. Parce que, d’une part, cela joue un rôle positif dans l’internationalisation du yuan et, d’autre part, cela témoigne de la qualité de la gouvernance. Si nous pouvons augmenter la part des investisseurs étrangers parmi les détenteurs de nos titres de créance, nous aidons les autorités à améliorer la gestion de la dette. Après tout, ce n’est que lorsque nous apprendrons à bien gérer la dette que la demande pour ces produits augmentera – la dette publique et la dette des gouvernements locaux par les étrangers.»

​Les obligations émises par les autorités locales jouent un grand rôle dans la reprise économie chinoise. Au cours des cinq premiers mois de l’année, elles ont mis sur le marché 3.200 milliards de yuans (400,2 milliards d’euros). L’argent doit servir à la construction de «nouvelles infrastructures»: réseaux 5G, centres de données, industries intelligentes, etc. Selon le quota annuel approuvé par le gouvernement central, cette année, ces titres peuvent être émis pour 4.730 milliards de yuans (591,9 milliards d’euros).

«La Chine est technologiquement très en avance dans un certain nombre de domaines, dans la communication et l’innovation, notamment dans le développement de cette fameuse 5G qui fait tant débat», souligne Pierre Picquart.

D’après un rapport du cabinet d’étude américain Rhodium Group, les capitaux étrangers entrant en Chine de par des fusions et acquisitions se sont élevés à 8 milliards d’euros lors des cinq premiers mois de l’année. Ce montant dépasse en volume et en valeur les transactions chinoises faites à l’étranger. C’est une première en 10 ans.

D’après Pierre Picquart, la situation économique actuelle pourrait être favorable à Pékin:

«Lors de la crise financière de 2008, la Chine avait anticipé et très bien géré sa relance économique en lançant de plans d’investissement de grande importance, pragmatiques et innovants. De ce fait, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale en 2010 en dépassant le Japon. D’ailleurs, les États-Unis et l’Europe veulent faire de même aujourd’hui. Pékin a des moyens financiers très importants pour rebondir et le coronavirus pourrait faire de la Chine la première puissance économique mondiale plus vite que prévu.»
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