Faillite de la seule raffinerie de pétrole du Maroc: une affaire d’État sans l’État

© Sputnik . Evguéni Samarine  / Accéder à la base multimédiaUne raffinerie de pétrole (archive photo)
Une raffinerie de pétrole (archive photo)  - Sputnik Afrique
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À l’arrêt depuis cinq ans, la Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage (Samir) se meurt. Au nom de la souveraineté énergétique nationale, des voix s’élèvent pour la sauver.

Alors qu’elle était un fleuron industriel dont s’enorgueillissait le royaume, la Samir, la seule et unique raffinerie de pétrole du Maroc, est à l’arrêt depuis août 2015. Date à laquelle son actionnaire majoritaire (67,27%), le groupe saoudien Corral Petroleum Holdings AB, s’est déclaré incapable d’honorer ses engagements financiers. L’établissement a par la suite été mis en liquidation judiciaire, en juin 2016.

Pour tenter de changer le cours de cette triste histoire, le Front national pour le sauvetage de la Samir s’active depuis juillet 2018. Constitué d’hommes politiques, d’experts, de syndicalistes et d’acteurs associatifs, ce collectif est à l’origine d’un projet de loi visant la renationalisation de la raffinerie. Texte que l’Union socialiste des forces populaires, parti de la majorité au pouvoir, a introduit le 10 juillet dernier dans le circuit législatif. Le vice-président du Front, Mohammed Benmoussa, s’en est réjoui lors d’un webinaire que cet économiste a animé, le 17 juillet, pour faire renaître le dossier Samir de ses cendres.

Participant à cette rencontre virtuelle, l’ancien ministre marocain du Travail et de la Formation professionnelle Abdelouahed Souhaïl a reconfirmé, par sa présence, le soutien du Parti du progrès et du socialisme (PPS) –dont il est membre du bureau politique– au projet de loi pour le sauvetage de la raffinerie. L’ancien ministre a déploré le silence assourdissant du gouvernement sur ce dossier.

«Les conditions opaques de la privatisation de la Samir constituent le péché originel dont l’État est aussi responsable», a-t-il souligné.

Souhaïl fait allusion aux bonnes relations qu’entretenait le Maroc avec l’Arabie saoudite et qui ont facilité la prise en main de la raffinerie marocaine en 1997 par son repreneur saoudien Mohammed Hussein Ali Al-Amoudi. Alors que l’entreprise était à 100% étatique avant.

Sauvetage politique

Interrogé par Sputnik sur «l’affaire la Samir», l’économiste et analyste politique marocain Driss Aïssaoui souligne qu’à la base, la privatisation de la raffinerie était purement politique et que la solution ne pourra être, naturellement, que politique.

«La proximité d’Al-Amoudi avec les cercles du pouvoir du Moyen-Orient a sûrement joué en sa faveur lors de la privatisation en 1997 puisque le Maroc voulait renforcer ses relations avec ces pays-là. Maintenant, on ne peut imaginer une solution à ce problème si complexe sans une autre intervention politique.»

L’actuel ministre de l’Énergie, des Mines et de l’Environnement marocain garde le silence à chaque fois qu’une question lui est posée sur le sort de la Samir. Dans son intervention dans une réunion parlementaire tenue le 1er juin dernier, Aziz Rebbah s’est limité à affirmer que le Maroc avait besoin du raffinage mais que le dossier (de la Samir) était devant la justice, qui est «indépendante». 

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En réaction, le Front national pour le sauvetage de la Samir déplore cette «fuite en avant» et «l’absence de l’État» dans ce qu’il considère comme une «affaire d’État».

Driss Aïssaoui estime que le Maroc est en position de faiblesse du fait de sa dépendance totale, dans le domaine de l’énergie pétrolière, à ses importations, dont une partie provient d’Arabie saoudite. «Maintenant, il y a urgence à trouver une solution à un problème qui a beaucoup trop duré. C’est pour cela que l’initiative pour la renationalisation de la Samir a du sens», conclut-il en réponse aux questions de Sputnik.

La plus grosse faillite du Maroc

Les enjeux dans cette affaire sont colossaux. Il faut remonter à l’origine du problème pour en comprendre l’ampleur.

Dirigée par le Saoudo-Éthiopien Mohammed Hussein Ali Al-Amoudi, 43e plus grande fortune mondiale en 2009 selon le magazine américain Forbes, Corral Petroleum Holdings AB invoquait, en 2015, de graves difficultés de sa filiale Corral Holding Maroc, créée spécialement pour la Samir. Signe avant-coureur: en 2014, soit un an avant sa faillite, la filiale avait déclaré plus de 3,4 milliards de dirhams de pertes (plus de 300 millions d’euros). Une vertigineuse descente aux enfers avait alors commencé avec une débâcle financière que les experts expliquent par une gestion calamiteuse des fluctuations des prix du pétrole.

Participant au webinaire du Front national pour le sauvetage de la Samir, Mehdi El Mezouari, membre du bureau politique de l’USFP, affirme que le vrai problème était surtout celui de la mauvaise gouvernance.

«La Samir était une grosse caisse noire qui avait toutes les facilités de l’État. Pire, il n’y avait aucune régulation, aucun contrôle, ni aucune réglementation», déplore-t-il.

Pour lui, la faillite de la raffinerie a commencé avec la déclaration de la cessation de paiements en 2015. À ce moment-là, l’administration de la Douane marocaine avait aussitôt exigé ses arriérés à la Samir au titre de droits d’importation, qui s’élevaient à 16,7 milliards de dirhams (plus d’un milliard d’euros). D’autres créanciers ont suivi.

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Au total, 40 milliards de dirhams (3,7 milliards d’euros) ont été réclamés au raffineur par quelque 400 créanciers. L’affaire s’est compliquée jusqu’à aboutir à sa mise sous liquidation judiciaire. Une décision qui a été élargie aux biens des ex-dirigeants de la raffinerie, notamment Mohammed Hussein Ali Al-Amoudi et le directeur général de l’entreprise, le Saoudien Jamal Baamer. Les deux hommes n’ont plus jamais remis les pieds au Maroc dès que la justice a commencé à décortiquer ce gros dossier, laissant 950 salariés sur le carreau.

Face au silence des autorités marocaines, Al-Amoudi est passé à l’offensive en portant plainte contre le Maroc, en 2018, devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Cette structure de la Banque mondiale chargée de l’arbitrage international garde toujours ce dossier en instance. Il risque de ressurgir à tout moment, préviennent les membres du Front pour le sauvetage de la Samir. Le patron de Corral Petroleum Holdings AB, dont le siège est à Stockhlom, prétend que l’État marocain a violé les protections accordées à son groupe en vertu du traité bilatéral d’investissement conclu en 1990 avec la Suède.

Cherche repreneur désespérément 

Même s’il a été attaqué, le gouvernement marocain garde le silence, tout comme les acquéreurs potentiels qui ne se précipitent pas au portillon de la Samir. «Depuis que l’entreprise est en liquidation judiciaire en juin 2016, le tribunal de commerce de Casablanca a recueilli 30 offres de reprise de la raffinerie. Les acheteurs éventuels reçoivent des signaux contradictoires du gouvernement», regrette le secrétaire général du bureau syndical de la Confédération démocratique du travail de la Samir dans une déclaration à leseco.ma. Une autre manière de déplorer l’absence de l’État.

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Pour sortir l’établissement de l’impasse, Mohamed Benmoussa estime qu’il est temps que l’État reprenne ses actifs en convertissant sa dette, qui représente près de 70% des créances globales de l’entreprise, en capital, et en devienne l’actionnaire majoritaire.

«Le Maroc doit faire ce qu’ont fait les Britanniques et les Américains pour sauver de grandes entreprises en difficulté, et comme pourraient le faire les Français avec Air France. Nous pensons qu’il est de l’intérêt de notre pays de prendre le lead en récupérant les actifs de la Samir, de redresser ensuite l’entreprise, pour envisager enfin sa reprivatisation d’une manière gagnante et transparente», conclut le vice-président du Front.

Celui-ci assure que la quasi-totalité des partis politiques marocains appuient le projet de loi visant la renationalisation. Reste à transformer ce soutien en action concrète. Mais les membres du Front s’accordent tous à dire que la bataille est loin d’être gagnée.

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