Covid-19: le ras-le-bol des soldats en blouse blanche au Maroc

© FADEL SENNAPersonnel soignant au Maroc
Personnel soignant au Maroc - Sputnik Afrique
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Au Maroc, la suppression des congés du personnel soignant a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Près d’une semaine après l’annonce, la colère gronde toujours chez les médecins et les infirmiers qui depuis plus de quatre mois sont sur le front pour combattre l’ennemi invisible qu’est le Covid-19, dans des conditions «dramatiques».

Face à la montée des cas de contamination au nouveau coronavirus au Maroc, le ministère de la Santé a annoncé, lundi 3 août, l’annulation de tous les congés accordés au personnel de santé publique du pays, jusqu’à nouvel ordre.

Les médecins et infirmiers se trouvant déjà en vacances ont aussi été rappelés à leur poste sous 48 heures. Cette décision impromptue est vivement contestée. Le personnel soignant est sorti, au lendemain de l’annonce, exprimer sa colère. Mardi 4 août, infirmiers, médecins et techniciens ont pris part à des manifestations et des sit-in symboliques devant plus de 51 établissements hospitaliers à travers le royaume. En scandant divers slogans incendiaires, pancartes de protestation à la main, ils crient leur fatigue à qui veut les entendre. 

Reportage vidéo avec interview des contestataires qui se relaient au micro du média marocain hespress.com pour exprimer leur désarroi.

Le docteur Mustapha Hamdi, 26 ans, travaille au sein du service de soins intensifs et de réanimation du Centre hospitalier universitaire de Tanger, où la pandémie est particulièrement virulente. Le jeune médecin n’a pas pu participer aux manifestations en raison de la nature de son travail. Il n’empêche, il se dit tout aussi révolté par la récente décision du département du ministre Khalid Ait Taleb, la qualifiant d'«aléatoire».

À bout de souffle

«L’épuisement physique et surtout mental que nous ressentons tous n’a pas d’égal. La charge de travail est titanesque avec des journées de garde de plus de 12 heures. Sans repos, la fatigue commence réellement à se faire sentir. En outre, il y a de plus en plus de personnel médical qui est infecté. Ce n’est pas très motivant de voir ses collègues, ses amis, tomber gravement malades du jour au lendemain, certains y laissent leur vie… Sans parler de la pression constante et de l’isolement que nous endurons depuis des mois, loin de nos proches. On ne peut continuer à ce rythme», confie-t-il à Sputnik, avec des trémolos dans la voix.

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Pour lui, la source du problème réside dans les nombreux dysfonctionnements dont souffrent les hôpitaux publics du pays.

«Les équipements de protection manquent, le personnel manque, les places manquent. Et face à cela, la situation épidémiologique est hors de contrôle ici à Tanger. Rien que dans le service de réanimation du CHU où je travaille, tous les lits sont occupés. Il y a même des patients par terre… C’est dramatique. Et malheureusement, ça va de mal en pis. Nous déplorons de plus en plus de décès liés au Covid-19 chaque jour et à chaque fois, c’est douloureusement blessant», regrette le jeune médecin.

La seule région de Tanger Tétouan Al Hoceima (nord du Maroc) compte 23,21​​​​​​​​​% des cas testés positifs du pays.

Souffrance silencieuse

Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes affichent leur soutien aux «héros en blouse blanche» sous le hashtag «#معاناة_في_صمت» (souffrance en silence).

#souffrance en silence, campagne nationale de soutien au corps soignant marocain. Au Maroc, le personnel soignant a été privé de son congé annuel, il travaille dans des conditions désastreuses et très dangereuses avec un manque d’équipements de protection. Il ne peut pas se faire dépister en cas de doute de contamination. Il vit une pression psychologique intense chaque jour sans aucun soutien matériel, psychologique ou mental… Malheureusement, la liste est longue.

La plupart s’indignent de voir le chef du gouvernement autoriser certains ministres à prendre leurs vacances et en priver le corps médical. El Othmani a seulement imposé à son équipe de passer les congés uniquement au Maroc. C’est une «inacceptable politique du deux poids-deux mesures» que dénoncent des internautes.

Un secteur meurtri

Mountadar Alaoui est secrétaire général du Syndicat indépendant des médecins du secteur public (SIMSP), le plus représentatif de la santé au Maroc. Contacté par Sputnik au sujet des protestations, il dénonce une «anomalie profonde» et «structurelle».

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«Depuis 2011, nous ne cessons de répéter les mêmes revendications: c’est peu dire que les autorités ne nous écoutent pas... La crise sanitaire aura au moins eu le mérite de mettre à nu les fragilités de notre système de santé, souligne-t-il. Le secteur de la santé a été pendant longtemps terriblement meurtri. Maintenant, ça suffit, il faut que cela change!»

«Nous exigeons l’amélioration des conditions d’accueil des patients dans les établissements, mais aussi de meilleures conditions de travail pour le personnel de santé. Le budget alloué par le gouvernement au secteur doit être augmenté, il ne dépasse pas les 6%. Or, l’OMS préconise entre 12% et 15% du budget de l’État. La plupart des infrastructures sanitaires sont défaillantes et nous manquons cruellement de bras», proteste Mountadar Alaoui.

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Le syndicaliste pointe du doigt «les atermoiements et la valse-hésitation sans fin» du ministère de la Santé. «À chaque fois, le ministère avance des excuses pour ne pas répondre positivement à nos différentes doléances. Cette fois, c’est le corona», lance-t-il, amer. Mountadar Alaoui estime le nombre de membres du personnel soignant contaminés par le nouveau coronavirus depuis le début de l’épidémie à 360, rien que dans le secteur public.

Dialogue sous haute tension

Après avoir été la première à monter au créneau pour dénoncer l’annonce controversée de la suppression des congés, la Fédération nationale de la santé (FNS), affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT), veut aller plus loin. «Dans les jours prochains, d’autres manifestations plus importantes vont avoir lieu au niveau des délégations régionales», prévient Rahal Lahssini, vice-secrétaire de la FNS, en réponse à Sputnik. «Nous exhortons les autorités à agir et vite parce que la situation est grave. Les décisions hâtives et unilatérales du ministère ne font qu’empirer les problèmes. C’est consternant», regrette-t-il.

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Convoquée mercredi 5 août 2020 par le ministère de la Santé, la Fédération nationale de la santé s’est retirée de la réunion qui a eu lieu ce jour-là. «Il ne régnait pas une atmosphère de dialogue. C’était une audition plus qu’autre chose», argumente Rahal Lahssini.

Pour tenter de calmer les esprits, Khalid Ait Taleb a modifié le protocole de prise en charge des cas positifs. Le principal changement est l’instauration, pour les cas asymptomatiques, du suivi à domicile afin de soulager les hôpitaux. Une décision que les interlocuteurs de Sputnik jugent «insuffisante», parce que «superficielle».

Au Maroc, le rythme de la pandémie s’accélère depuis quelques semaines. Selon les derniers chiffres du ministère de la Santé marocain, pas moins de 1.144 nouvelles contaminations ont été recensées à travers le pays. Au jeudi 6 août, le royaume totalisait 29.644 cas positifs, 449​​ décès et 20.553 guérisons. Les soldats en blouse blanche restent donc fortement sollicités.

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